
Après trente heures de garde à vue, Claude Guéant, a finalement été mis en examen, samedi 7 mars, pour pour « faux » et « blanchiment de fraude fiscale en bande organisée ». Le coup est rude pour l'ancien secrétaire général de l'Elysée et ministre de l'intérieur, poursuivi pour avoir reçu sur son compte un virement suspect de l'étranger de 500 000 euros.
D'après l'intéressé, la somme proviendrait de la vente en 2008 de deux tableaux du peintre hollandais Andries van Eertvelt à un avocat malaisien. Mais l'argument tient difficilement : d'abord, les œuvres d'Andries van Eertvelt n'ont jamais atteint une telle cote, ensuite, les tableaux et leur acquéreur restent introuvables. Des juges parisiens ont lancé une commission rogatoire internationale en Malaisie, sans réponse pour le moment.
L'affaire est d'autant plus délicate pour l'ancien homme fort de la « Sarkozie » qu'elle s'inscrit dans le cadre plus large de l'enquête sur le financement de la campagne du candidat UMP en 2007. Si aucun lien n'a été établi à ce jour, les juges s'interrogent sur une éventuelle connexion entre les 500 000 euros versés à M. Guéant et l'argent libyen dont aurait, selon d'anciens dignitaires kadhafistes, bénéficié Nicolas Sarkozy en 2007.
Quel rôle l'ancien secrétaire de l'Elysée est-il soupçonné d'avoir joué dans ce dossier ? Quelles sont les autres affaires qui le menacent ? Tour d'horizon.

- Le financement de la campagne de 2007
Le clan sarkozyste est soupçonné d'avoir organisé un financement illégal de la campagne présidentielle avec l'aide du dictateur libyen Mouammar Kadhafi. L'homme d'affaires Ziad Takieddine, ancien proche de plusieurs responsables de droite, comme Brice Hortefeux et Jean-François Copé, aurait servi d'intermédiaire. Le site d'information Mediapart, qui avait révélé l'affaire pendant l'entre-deux-tours de l'élection présidentielle de 2012, met en avant un document d'un ex-dignitaire libyen, censé prouver ce financement illégal, document dont l'authenticité pose toujours question.
D'après Mediapart, Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, s'est rendu à plusieurs reprises en Libye entre 2005 et 2007 pour y rencontrer de hauts dignitaires du régime Kadhafi. Selon Ziad Takkiedine « M. Guéant donnait des indications bancaires à M. Bachir Saleh », ex-directeur de cabinet de Kadhafi, qui « faisait des comptes rendus écrits de ses visites en France, destinés à M. Kadhafi ». Des accusation qualifiées par l'ancien ministre « d'affabulations ».
Une information judiciaire a été ouverte en 2013 par le parquet de Paris pour « corruption active et passive », « trafic d'influence », « faux et usage de faux », « abus de biens sociaux », « blanchiment, complicité et recel de ces délits ».
- L'affaire Tapie-Lagarde
Moins exposé mais bien présent, l'ancien secrétaire général de l'Elysée apparaît en marge d'une autre affaire importante : le litige vieux de vingt ans qui oppose Bernard Tapie au Crédit lyonnais. Les enquêteurs soupçonnent Claude Guéant d'avoir forcé la main au ministère de l'économie, dirigé à l'époque par Christine Lagarde, pour que le dossier soit tranché par un tribunal privé. Or, c'est cet arbitrage qui a permis à Bernard Tapie de toucher 405 millions d'euros d'argent public, dont 45 millions au titre du préjudice moral.
Stéphane Richard, directeur de cabinet de la ministre de l'économie de l'époque, mis en examen, a confirmé lors de son audition que des réunions décisives avaient eu lieu à l'Elysée, où étaient présents M. Guéant et certains des principaux protagonistes du dossier. L'ancien ministre de l'intérieur n'est toutefois pas mis en examen dans ce dossier.
L'affaire dans son ensemble pourrait être rééxaminée à partir de la fin de l'année, la cour d'appel de Paris ayant déclaré recevable, mardi 17 février, le recours en révision engagé contre la sentence arbitral.
- Les primes en liquide
Lorsque le domicile et le cabinet d'avocat de M. Guéant ont été perquisitionnés dans le cadre de l'affaire Tapie-Lagarde et d'un éventuel financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, les enquêteurs ont trouvé la trace d'achats en liquide, pour une somme d'environ 20 000 euros. D'où proviennent ces liquidités ? M. Guéant a assuré que ces sommes lui avaient été versées lorsqu'il était directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur. « Cela vient de primes payées en liquide. Elles n'ont pas été déclarées, car ce n'était pas l'usage. A posteriori, on se dit que c'était anormal. D'ailleurs, ça a été modifié », assurait-il. Or, les « fonds spéciaux » des ministères ont été supprimés en 2002 par Lionel Jospin.
Un rapport remis au ministre de l'intérieur le 10 juin a conclu à la survivance, pendant quelques années, de ces primes prélevées dans les fonds destinés aux frais d'enquête et de surveillance de la police nationale. M. Guéant aurait ainsi touché, au nom du cabinet du ministre, entre 10 000 et 12 000 euros par mois en liquide de 2002 à 2004.
Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris pour « détournement de fonds publics ». C'est dans ce cadre que Claude Guéant avait été placé le 17 décembre 2013 en garde à vue par les enquêteurs de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Garde à vue dont il est sorti libre, sans mise en examen.
- Le tableau ivoirien
Claude Guéant est décidément amateur d'art. Reçu en Côte d'Ivoire par le président Alassane Ouattara alors qu'il était ministre de l'intérieur, il s'est vu offrir une œuvre du peintre ivoirien James Houra. Le tableau orne le mur de son cabinet d'avocat. Or, selon une circulaire de François Fillon :
« Les cadeaux offerts aux membres du gouvernement ou à leur conjoint, dans le cadre de l'exercice des fonctions gouvernementales, notamment à l'occasion des visites effectuées à l'étranger (…) sont, pour leurs auteurs, la manifestation de la volonté d'honorer la France. C'est donc à l'Etat qu'ils s'adressent, au-delà de la personne du récipiendaire (…). Il est par conséquent normal qu'ils n'entrent pas dans le patrimoine personnel du ministre ou de sa famille. »
M. Guéant se défend en assurant que l'œuvre n'a que peu de valeur — de 2 000 à 25 000 euros, selon l'entourage du peintre. Mais s'il a bien conservé ce tableau, il est passible d'une sanction. Comme bien d'autres ministres et hauts fonctionnaires qui ont « emprunté » des œuvres appartenant au patrimoine national.
- L'emploi fictif
En mai 2013, le parquet de Nanterre a ouvert une information judiciaire contre X pour « détournement de fonds publics, complicité et recel ». En cause, l'emploi supposé fictif de Philippe Pemezec. Maire UMP du Plessis-Robinson (Hauts-de-Seine), ce dernier est embauché en 2008 au cabinet de la ministre du logement, Christine Boutin, en tant que « chargé de mission sur l'accession sociale à la propriété ». Interrogés par les enquêteurs, tant Mme Boutin que son directeur de cabinet d'alors, Jean-Paul Bolufer, ont assuré que l'embauche de M. Pemezec leur avait été imposée par Claude Guéant, alors secrétaire général de l'Elysée.
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