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Nature & environnement

Vos huîtres de Noël, mâchez-les lentement, ce seront peut-être les dernières

L’hécatombe des huîtres creuses de Marennes-Oléron, victimes d’un virus herpès ravageur, n’a jamais été aussi forte. Problème génétique, climatique ou de pollution ? Un extrait de Sciences et Avenir 814.
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Huîtres
Sur un marché à Sydney, on ouvre les huîtres sans ménagement.
© PETER PARKS / AFP

Cet article de Loïc Chauveau est un extrait de Sciences et Avenir 814, daté décembre 2014. Plus d'infos en fin de page pour acheter le magazine en version numérique.

VIRUS. Profitez bien de vos plateaux d'huîtres des réveillons à venir! Ils font peut-être partie des derniers. Car l’huître creuse Crassostrea gigas est très malade. Depuis 2008, larves et naissains meurent en masse dans les pertuis charentais, leur principal lieu de naissance. Cet été, le virus a tué des millions d’huîtres adultes. Le ministère de l’Agriculture a publié en juillet un bilan accablant : avec 80.000 tonnes en 2012, la production a baissé de 26 % en dix ans. Le responsable ? Ostreid herpes virus 1 (OsHV-1). Ce microvariant d’un virus herpétique semble cibler en priorité les huîtres creuses qui représentent 90 % de la production française et européenne. Les plates Ostrea edulis résistent en effet et beaucoup mieux.

D’où vient le pathogène ? Comment l’éradiquer ? Il n’existe à ce jour aucune réponse satisfaisante. Ce qui désespère la profession ostréicole qui a déjà dû, en 1970, abandonner l’élevage de l’huître portugaise Crassostrea angulata ravagée par une épizootie fulgurante, pour cette Crassostrea gigas d’origine japonaise, à son tour en danger. L’heure est à la recherche des causes "car si l’on a déterminé l’arme du crime, on ne connaît pas le nom de l’assassin", selon la métaphore employée par Tristan Renault, directeur de l’unité Santé, génétique et microbiologie des mollusques à l’Ifremer.

Une enquête difficile et contestée

L’Ifremer a repéré OsHV-1 dans la chair d’huîtres charentaises pour la première fois en 1991. Ce virus a été très vite reconnu comme responsable de mortalités récurrentes des mollusques. Le séquençage de son génome par le laboratoire de Tristan Renault à La Tremblade (Charente-Maritime) a révélé un ADN de 120 gènes et 207.000 paires de base. "Cet ADN de grande taille pour un virus est plutôt stable et donc évoluerait peu", note le chercheur. Selon lui, les mortalités beaucoup plus graves qu’auparavant constatées à partir de 2008 proviennent d’un variant viral non décrit jusqu’alors en France. "Nous n’avons que trois hypothèses pour expliquer l’émergence de ce variant, résume Tristan Renault. Soit il s’agit d’une introduction provenant d’un pays tiers, par des eaux de ballast par exemple, soit c’est une évolution récente d’OsHV-1, soit enfin des facteurs environnementaux ont favorisé l’émergence d’une forme minoritaire issue de la biodiversité virale existante." L’hypothèse d’une évolution récente a été écartée car les deux ADN sont assez différents. Mais les deux autres explications restent ouvertes.

L’Ifremer a entamé une collaboration internationale pour comparer des formes virales présentes en Corée, au Japon, en Australie ou en Chine : "Quant à la piste de la biodiversité, elle est ardue car on ne connaît pas grand chose des espèces virales présentes dans le milieu marin", reconnaît Tristan Renault. Ces précautions scientifiques ne passent pas du tout auprès des ostréiculteurs. Certains ont d’ailleurs assigné en justice l’Ifremer pour négligence et défaut de surveillance. Quoi qu’il en soit, l’enquête sur cette mortalité de masse se révèle difficile. Tour d’horizon de ses possibles causes.

Une eau à plus de 16° C active les virus

C’est LE signal environnemental. Les virus se multiplient dès que la température de l’eau excède les 16­°C. C’est ainsi que l’hécatombe débute en avril sur les parcs du pourtour méditerranéen et du Sud-Ouest pour se poursuivre quelques semaines plus tard en Charente-Maritime, Bretagne, puis Normandie. Il semble qu’à cette température, l’huître verrait son métabolisme se "réveiller­" après s’être endormi l’hiver. Son organisme serait à cette période particulièrement vulnérable. En effet, alors qu’elle redémarrerait la reproduction et la maturation de ses gonades, l’huître reprendrait sa croissance, le tout lui demandant beaucoup d’énergie. Il suffirait que le milieu marin ne soit pas suffisamment chargé en éléments nutritifs pour qu’elle s’affaiblisse, la rendant plus sensible à l’attaque de pathogènes. Personne cependant ne connaît les mécanismes en œuvre qui réactivent l’infection virale.

Un patrimoine génétique appauvri

Autrefois monolithique, la profession ostréicole est désormais divisée. En cause ­: la provenance des naissains. Jusqu’en 2000, les ostréiculteurs prélevaient au printemps les larves d’huîtres grâce à des tubes d’acier plongés dans les eaux marines proches des estuaires. Les modifications apportées au milieu naturel ont rendu cette collecte plus aléatoire et l’aquaculture s’est emparée du marché en offrant des naissains nés en écloseries. Ceux-ci peuplent aujourd’hui 30 à 40­% des parcs. Par ailleurs, l’Ifremer a créé au début des années 2000 des huîtres triploïdes, stériles, qui grandissent plus vite et se consomment en période de reproduction (lire S. et A. n° 757, mars 2010; pour l'image ci-dessous, cliquez dessus pour l'avoir en grand).

TRIPLOÏDES. Les écloseries ont adopté cette technologie si bien qu’aujourd’hui 90 à 95% des naissains sont triploïdes. Ces huîtres "non naturelles" ont-elles appauvri le patrimoine génétique et rendu l’espèce plus vulnérable aux pathogènes ? Les ostréiculteurs "traditionnels" n’utilisant que des naissains naturels en sont persuadés. Pour les naissains non triploïdes, les écloseries procèdent par sélection. Les aquaculteurs choisissent des géniteurs remarquables par l’importance de leur chair et leur rapidité de croissance. Mais n’ont-ils pas ce faisant affaibli les caractères de résistance ? Le syndicat des sélectionneurs avicoles et aquacoles français (SYSAAF) s’en défend et met en avant son programme de sélection des individus résistants qui échappent aux mortalités massives. Il semble par ailleurs que le défaut de surveillance du virus dans ces écloseries —reproché à l’Ifremer— ait participé à la diffusion de la maladie. Quant à l’effet d’appauvrissement génétique des triploïdes, le rapport de Jean-Dominique Puyt, professeur à l’École vétérinaire de Nantes, rejoint la position de l’Ifremer : elles n’ont aucun effet génétique ou autre sur les huîtres sauvages.

Une trop forte densité d’élevage

Et si les ostréiculteurs étaient en partie responsables de ce qui leur arrive, avec une trop forte densité d’huîtres ? "Les ostréiculteurs savent bien qu’il y a des zones marines où les coquillages poussent mieux, d’où des concentrations importantes de parcs", souffle Jacques Baron, ostréiculteur à Marennes. Dans ce cas, "les chances de transmission du virus à partir d’huîtres moribondes ou mortes sont élevées", écrit Jean- Dominique Puyt dans son rapport remis à la justice qui souligne également la forte augmentation de densité des parcs entre 1990 et 2008. En théorie, les 10.640 hectares de concessions où sont élevées les huîtres françaises respectent les bonnes pratiques d’élevage qui recommandent de ne pas dépasser les 10 kilos de coquillages par mètre carré. Mais sur bon nombre de sites, il semble que cette règle ne soit pas respectée.

"Les contrôles de l’administration sur les parcs sont rares car les fonctionnaires sont très peu nombreux et les inspections en mer plutôt pénibles", constate Jacques Baron. Les transferts de naissains d’huîtres et de coquillages adultes sont aussi pointés du doigt. Si OsHV-1 a très rapidement infecté quasi tous les bassins ostréicoles, c’est que la totalité des naissains proviennent de Charente-Maritime et du bassin d’Arcachon. Le virus a donc voyagé par camion. Aujourd’hui, il existe quelques zones ostréicoles, notamment en Bretagne, qui sont exemptes du virus. Leurs caractéristiques : utilisation exclusive de naissains naturels, absence de transferts, faible densité des parcs.

La dégradation du milieu marin

Perte de biodiversité, pollutions agricoles et urbaines : ces constats font l’unanimité du monde ostréicole et l’Ifremer reconnaît que ces phénomènes pourraient être un facteur facilitant la diffusion du virus tueur. La mer ne serait donc plus ce qu’elle était : "Autrefois, les dauphins venaient jusque dans les estuaires de la Seudre et de la Charente, on voyait des anguilles en masse et on trouvait des crevettes jusque dans les claires, les bassins d’affinage", regrette Gérald Viaud, président du Comité national conchylicole (CNC). "Tout cela est vrai, mais doit être pondéré, estime Jacques Pigeot, président d’Île d’Oléron, développement durable et environnement (Iodde). Des espèces ont effectivement disparu, mais certaines réapparaissent, comme récemment le crabe de roche qu’on n’avait plus vu depuis des décennies. On en connaît trop peu pour dire des choses définitives."

ENGRAIS. Les chercheurs de l’unité Littoral environnement et sociétés (Lienss, CNRS-université de La Rochelle) sont justement chargés d’évaluer la qualité des milieux marins et estuariens pour la directive-cadre sur l’eau (DCE), adoptée en 2000 par l’Union européenne. Selon ce texte, les "masses d’eau" du littoral doivent être en "bon état écologique" dès 2015, et pour les pertuis charentais, c’est déjà le cas : "Nous procédons deux fois par an à des prélèvements de vases, sables et sédiments où nous recherchons la présence d’un millier d’espèces benthiques indicatrices de la qualité du milieu, comme les vers marins, ou des coquillages sauvages tels que les coques", explique Denis Fichet, chercheur au Lienss. "Ce que nous constatons, c’est que ces zones littorales sont de bonne qualité et qu’elles ne se dégradent pas", assure-t-il. Le rôle des rejets agricoles terrestres est cependant reconnu. Outre les apports en engrais chimiques et pesticides, la culture intensive de maïs perturbe les apports en eau douce nécessaires à la reproduction de l’huître. Cette eau que les marais retenaient autrefois en hiver était relâchée peu à peu tout au long du printemps, provoquant une baisse de salinité favorable au plancton en général et aux larves d’huîtres en particulier. Le maïs oblige à drainer très vite les terres au début du printemps, perturbant ainsi le cycle naturel. Le fait est dénoncé par des ostréiculteurs, amers, qui se sentent délaissés face à l’omnipotente agriculture.

NUMÉRIQUE. Cet article est extrait de Sciences et Avenir 814 (daté décembre 2014). Vous pouvez encore acheter ce magazine en version numérique via l'encadré ci-dessous.

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