Communication et médias sociaux : 4 tendances qui vont encore plus compter en 2015

2014 aura constitué un point de bascule significatif concernant l’évolution des stratégies de communication des marques et des entreprises. Plus personne (ou presque !) ne songe désormais à remettre en cause la prééminence du digital devenu véritable pierre angulaire du dispositif de communication de tout acteur public. Même si çà et là, les résistances et les inhibitions persistent à ralentir la cadence, l’avis d’obsèques de la com’ de papa que j’annonçais il y a 12 mois sur ce blog, est maintenant avéré. Plus que jamais, les tendances de fond sociétales et comportementales impulsées par l’immixtion des médias sociaux gagnent du terrain et ringardisent les tactiques cosmétiques et incantatoires. 2015 s’inscrit totalement dans l’amplification de cette tectonique communicante où les parties prenantes ne sont plus des acteurs de seconde zone. Les gagnants seront ceux qui oseront casser les moules mentaux et engager des conversations ouvertes à la lumière de ces 4 tendances.

Sans vouloir paraître excessivement brutal, l’enjeu global de tout communicant en 2015 pourrait parfaitement se résumer à travers le titre du roman d’anticipation de Stephen King, « Marche ou crève » paru en … 1979 sous un pseudonyme ! Dans ce livre, le célèbre auteur américain raconte l’éprouvante randonnée pédestre de cent adolescents à travers une Amérique d’anticipation. Au moindre faux pas, infraction ou défaillance au cours du jeu suivi par des milliers de personnes, chaque participant est d’abord averti puis impitoyablement éliminé s’il ne parvient pas à s’adapter et conserver la cadence pour atteindre le but final.

Cette trame dramatique illustre idéalement l’équation communicante posée depuis quelques années aux marques, aux entreprises et aux dirigeants par l’irruption des réseaux sociaux : comment parvenir à maintenir son autorité, protéger sa réputation et exercer son influence dans un environnement aux contours élastiques où une expression individuelle peut soudainement faire coaguler des groupes d’intérêt et déstabiliser les acteurs les plus statutaires ? Aujourd’hui, nous y sommes et 2015 confirmera inexorablement cet état de fait que le regretté Jean-Marc Lech, co-président d’Ipsos, décrivait dans ce blog en décembre 2013 (1) : « Ma vision est que nous allons vers des formes de sociétés molles aux buts spasmodiques et instantanés et avec des leaders plus ou moins éphémères. L’actualité le montre régulièrement (…) Pour les entreprises, les marques, les dirigeants, l’écoute active des médias sociaux leur permettra d’appréhender au mieux cette gestion délicate des alternances où les pluri-individualités (qu’elles soient de simples personnes ou des groupes plus ou moins étoffés) ne cesseront plus jamais de s’exprimer mais aussi de changer d’avis ! ».

En quoi 2014 a-t-il bousculé les lignes ?

2015 - Mike JeffriesL’année qui vient de s’achever, n’a pas dérogé à l’analyse pleine d’acuité de Jean-Marc Lech. Quantité d’événements sont venus prouver que les tenants de l’étouffoir communicant, du blindage mutique ou du bla-bla primesautier sont en passe de devenir des « has been » générateurs de faillites réputationnelles retentissantes et d’impasses conversationnelles mortifères. En 2014, Mike Jeffries est par exemple l’un de ces dirigeants qui a chuté pour s’être obstiné dans une communication agressive, pédante et unilatérale. Patron depuis 20 ans du distributeur de vêtements américain Abercrombie & Fitch, l’homme a été poussé à la démission le 9 décembre dernier sous la pression d’un fonds activiste. Au-delà de ses résultats commerciaux en berne et de son incapacité à renouveler la créativité de ses collections textiles, Mike Jeffries a également payé cash son absence d’écoute des attaques digitales à répétition dont la marque faisait l’objet depuis 2013 à cause de sa culture discriminatoire envers les personnes au tour de taille plus enrobé que la moyenne. Les impacts résiduels de ce bad buzz implacable combinés aux contre-performances commerciales de la marque ont achevé celui qui dédaignait tenir compte des signaux pourtant ostensibles envoyés par l’écosystème de l’entreprise.

Dans un registre similaire, Lego a dû pareillement rendre gorge face à Greenpeace après avoir essayé d’esquiver la remise en cause de son partenariat commercial historique avec le pétrolier Shell, cible phare de l’organisation écologiste. Devant l’ampleur des contestations en ligne et sur le terrain, le fabricant de jouets danois a fini par résilier son contrat avec Shell après 4 mois de tergiversations. Conscient que son image sympathique et ludique risquait d’être durablement ternie par son association avec une entreprise perçue comme destructrice et polluante, que ses propres valeurs environnementales pouvaient être dévoyées, Lego a cédé sous le poids des 7 millions de vues de la vidéo choc de Greenpeace et des centaines de milliers de clics, tweets, likes et autres piques digitales adressés à la marque. Ces deux exemples parmi tant d’autres doivent plus que jamais inciter à se secouer les neurones et à jeter à la benne ces vaines stratégies de communication abrutissante que quelques officines osent encore vendre aux entreprises et que quelques dircoms frileusement cramponnés à leur fauteuil osent encore acheter.

Tendance n°1 : Le contenu, planche de salut mais attention à la planche pourrie

2015 - Coca ColaCe n’est plus une découverte mais il est de bon ton de le rappeler une énième fois. Le contenu est indéniablement un levier incontournable à activer auprès de ses publics. On ne compte plus les études qui mois après mois, insistent sur les attentes des internautes en matière de contenus. Ainsi, en octobre dernier, Millward Brown et Tumblr ont dévoilé les résultats d’une enquête sur les attentes prioritaires des socionautes vis-à-vis des marques présentes sur le Web (2). Les chiffres sont implacables : 73% des sondés veulent du contenu ludique, 71% du contenu intéressant et 64% du contenu de qualité. Chez les dirigeants et les managers, on retrouve une appétence similaire pour des contenus procurés par une marque. En mars 2014, le site d’information économique Quartz a mis en ligne les principaux enseignements chiffrés d’une étude menée auprès de 940 décideurs (3). Il en ressort notamment que 86% sont intéressés par du contenu de marque, à la condition expresse toutefois qu’il s’agisse d’expertise maison et d’analyses fondées.

Des entreprises se sont déjà engagées sur la voie du contenu éditorial publié à destination de leurs publics. Coca-Cola figure à cet égard parmi les pionniers. Nombreux étaient néanmoins les sceptiques au départ lorsque le géant d’Atlanta avait annoncé fin 2012 l’abandon de son site corporate au profit d’une plateforme de contenus actualisés au gré de l’actualité de l’entreprise, de son environnement mais aussi des propositions de contributeurs externes. La démarche avait effectivement de quoi surprendre tant Coca-Cola n’a pas toujours été un parangon de communication franche et ouverte. Pourtant, force est de reconnaître aujourd’hui que le choix effectué s’avère payant. Un an après le lancement de « Coca Cola Journey », le site a reçu 11,1 millions de visites soit des audiences plus élevées que celles de sites reconnus comme Chicago Sun Times, Ad Age ou encore l’édition US d’Al-Jazeera (4). Cette approche n’est d’ailleurs pas exclusivement réservée à l’univers du B2C comme bon nombre de personnes persistent à le croire. Le B2B est totalement éligible à ce genre de promesse éditoriale. Cisco en administre une preuve éclatante avec son site éditorialisé « The Network » qui s’adresse en priorité aux clients, aux fournisseurs, aux prospects et aux journalistes gravitant dans l’écosystème de Cisco.

2015 - BullshitSi le concept de « newsroom » est indubitablement appelé à prendre de l’essor en 2015 et au-delà, il ne s’agit pas pour autant d’occulter les pièges inhérents et les tentations cachées. Qu’on l’appelle « brand content », « storytelling » ou autre buzz word dont la profession se repaît régulièrement, l’enjeu se situe clairement dans la capacité à éditer des contenus pertinents, utiles et crédibles. Même si à l’heure actuelle, les budgets dédiés aux contenus sont plutôt à la hausse, peu d’initiatives débouchent a contrario sur des réalisations convaincantes sur le fond. Trop souvent, les dispositifs mis en place relèvent de l’hybridation des vieilles formules communicantes jadis en vigueur dans les plaquettes et journaux d’entreprise. Encore toutes pétries de contrôle atavique et de discours savonneux, les entreprises et les marques éprouvent bien des difficultés à dégrafer le corsage étriqué de la doxa corporate. Pour s’en convaincre, il suffit d’aller se balader sur les pages Facebook de celles-ci pour s’apercevoir qu’on demeure en grande partie dans le registre « ceintures et bretelles ». En grande majorité, le contenu y est ludique, publicitaire ou simplement utilitaire.

Dès que des zones de friction apparaissent, la parole se raréfie, voire élude et poursuit son continuum de messages promotionnels. Un exemple flagrant est actuellement fourni par l’enseigne Center Parcs appartenant au groupe Pierre & Vacances. Empêtrée dans le chantier controversé du village loisirs à Roybon, l’entreprise reste étrangement muette sur sa page Facebook. Malgré les commentaires mordants qui essaiment à intervalles réguliers, aucune position, ni aucun argumentaire n’est partagé avec la communauté qui rassemble tout de même à date près de 220 000 personnes. Autant de points de contact susceptibles de vouloir en savoir plus, de devenir vecteur d’influence et pas uniquement de se contenter des photos acidulées de petits daims gambadant dans la clairière. Dans ces conditions, rien ne sert vraiment de créer du contenu si l’on n’est pas capable d’évoquer ouvertement par ailleurs des sujets plus épineux. Les internautes ne sont pourtant plus dupes et exigent au demeurant d’être traités en alter-egos adultes et pas en simples consommateurs prêts à bourse délier, ni à gober la sainte parole marketing.

Tendance n°2 : Les meilleurs contenus capteront l’attention du public

2015 - Tony HaileSur les réseaux sociaux, persiste encore aujourd’hui une agaçante (mais édifiante) idée reçue largement répandue parmi de nombreux communicants et marketeurs (mais pas qu’eux). Pour ceux-ci, il suffit de déployer sa présence digitale pour automatiquement conquérir les cœurs et engranger les followers à vitesse éclair. Formulée ainsi, l’assertion peut sembler à la limite de la caricature. Pourtant, elle n’est que l’exact reflet de croyances encore solidement ancrées dans les esprits. Parce que le digital est intrinsèquement interactif et peut parfois faire boule de neige, il est fréquemment perçu comme un aimant irrésistible pour rallier les communautés. Sur le fond, les adeptes de cette vision n’ont pas entièrement tort. L’internaute n’est pas radicalement hermétique à la perspective d’entrer en contact avec une marque. Selon l’étude TNS Connected Life publiée en octobre 2014, 69% des personnes interrogées se déclaraient enclins à converser avec une marque, une enseigne ou une entreprise.

Il existe en revanche un revers de la médaille qui se dessine de plus en plus nettement. A mesure que les temps de connexion s’allongent, les interactions se multiplient jusqu’à saturation pour réduire par ricochet, le temps d’attention accordé à un contenu. Tant que les médias sociaux étaient encore une « terra incognita », il était relativement facile de frayer son chemin, d’atteindre les cibles visées et de les convertir en lecteurs assidus.

2015 - Web attentionMême si le temps quotidien consacré à la navigation sur le Web et les réseaux sociaux continue d’augmenter, celui-ci ne sera bientôt plus extensible. Déjà, les internautes opèrent leur propre sélection dans le temps qu’ils donnent à la lecture de tel ou tel contenu. Par exemple, sur les 10 marques qu’ils suivent en moyenne, ils prêtent véritablement attention à 3 ou 4 d’entre elles. Autant dire que la concurrence pour émerger du fatras informationnel auquel est soumis le socionaute, est inexorablement appelée à s’intensifier.

A cet égard, les statistiques relevées en 2014 sont intraitables : l’attention d’un internaute peut très rapidement être aussi évanescente qu’une bulle de savon. Or dans un contexte d’infobésité caractérisée, il devient alors très complexe pour une marque ou une entreprise de se distinguer du lot et de recueillir les faveurs du public ciblé. C’est notamment ce que démontre Tony Haile, PDG de Chartbeat, éditeur de logiciels d’analyse de données en temps réel. Dans une tribune publiée pour Time, il souligne que 55% des personnes ayant cliqué sur une page, y consacrent ensuite moins de 15 secondes (5). Un constat qui bat par conséquent en brèche la règle d’airain ROIste pour laquelle le nombre de pages vues est un critère indéboulonnable.

C’est un fait désormais établi. Devant la profusion de contenus à disposition et face à un robinet digital qui dégouline toujours plus, il va falloir faire preuve d’une extrême agilité doublée d’une grande pertinence (voire légitimité) pour capter l’attention toujours plus sollicitée des publics. Encore nettement minoré par nombre de communicants plus soucieux de construire leur Meccano numérique, cet enjeu va pourtant s’imposer très rapidement tant la compétition est amenée à se durcir. Dans cette arène où l’attention sera le sacré Graal d’une stratégie efficace, nul doute que la bataille pour l’engagement (selon le sens sémantique anglo-saxon du terme) va faire rage.

Tendance n°3 : Faites confiance à vos collaborateurs

2015 - Brand ambassadorCela fait des années que les experts rabâchent que les collaborateurs d’une entreprise sont les premiers et meilleurs ambassadeurs de celles-ci. Cela fait également des années que la communication interne est désespérément réduite à la portion congrue avec un babil managérial de moins en moins convaincant et de vagues supports de communication pour faire illusion. Ces dernières années, d’aucuns ont cru détenir enfin la martingale en pondant le concept des « réseaux sociaux d’entreprise » pour relancer la dynamique interne, vivifier la culture d’entreprise et sustenter la fierté d’appartenance des salariés. Force est pourtant d’admettre que l’idéologie de l’outil digital comme levier d’adhésion du corps interne est loin d’avoir atteint les résultats escomptés. Nombreux ont été les salariés à être enjoints à contribuer à l’Intranet, aux wikis et autres babioles vaguement clones de Facebook et consorts tant vantées par les gourous du management à l’ère numérique. Sauf que dans le même temps, les discours empâtés du management convainquent de moins en moins ces mêmes salariés. Dans ces circonstances, comment décemment croire qu’un collectif interne est susceptible d’émerger et de faire croître positivement la réputation de l’entreprise si messages et comportements ne sont pas alignés de façon cohérente

Néanmoins, le suprême paradoxe est qu’aujourd’hui, les collaborateurs n’ont probablement jamais été aussi cruciaux dans une stratégie de communication. De par leur vécu quotidien, ils sont effectivement les mieux placés pour incarner une société. A condition de ne pas être claquemuré par des DRH et des directeurs généraux trop tatillons toujours persuadés que l’interne n’a pas vocation à nourrir l’externe. Cette posture est en effet loin d’être une vue de l’esprit. A l’heure où l’on se gargarise officiellement d’être à la pointe de la transformation digitale et de la marque employeur, 36% des entreprises restreignent encore totalement l’accès des employés aux réseaux sociaux et 57% ouvrent seulement le tuyau à une poignée de salariés autorisés (6). Dans les raisons objectées, c’est d’abord la peur qui prédomine massivement : peur de ne plus contrôler la parole des troupes, peur de gaspiller temps de travail et productivité, peur de divulguer des choses confidentielles ou embarrassantes.

Glassdoor - fiche DanoneIl serait pourtant temps que les décideurs lâchent la bride et cessent de se bercer avec des lubies contrôlantes. La pratique des réseaux sociaux est un fait acquis. Jamais la porosité entre interne et externe n’a été aussi vaste. Jamais non plus, elle ne reviendra en arrière. D’après le 2ème baromètre Cegos (7), 6 salariés sur 10 se connectent quotidiennement aux réseaux sociaux, Facebook étant largement plébiscité devant Linkedin, Google + et Twitter. Contrairement aux fantasmes apeurés du top management, les salariés ne naviguent pas forcément pour médire à l’encontre de leur entreprise. Même s’ils existent des cas de litige et de conflits répandus sur les réseaux sociaux, la teneur des discours ne verse pas dans le syndicalisme radical version lutte des classes. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil aux scores obtenus par quelques fleurons du secteur bancaire hexagonal sur la toute nouvelle version française de Glassdoor, un « job board » qui permet aux salariés de noter leur entreprise. On est loin de la déroute réputationnelle pour les grandes banques qui sont pourtant par ailleurs largement vilipendées par leurs clients. Ainsi, les salariés français de BNP Paribas donnent une note de 3,2/5 (1 équivaut à très mécontent, 5 à très satisfait) et ils sont 70 % à approuver le PDG Jean-Laurent Bonnafé. Du côté de la Société Générale, on rencontre un écho similaire avec une note globale de 3,1/5 décernée par les employés, qui approuvent dans la foulée le PDG Frédéric Oudéa à 74 %.

Pour lever ces peurs et déverrouiller les schémas mentaux, sans doute convient-il d’accélérer la sensibilisation des comités de direction à la pratique du digital. Bien que parmi leurs pairs, certains soient déjà à des années-lumière en termes d’usage des médias sociaux et à ce titre extrêmement clairvoyants, le gros de la troupe reste circonspect, pris de vertige, voire délibérément en retrait de la communication digitale qui pourtant, rebat quotidiennement les cartes de leur stratégie globale d’entreprise. Editée par le site CEO.com et l’éditeur de solutions informatiques Domo, la nouvelle édition du rapport annuel sur les dirigeants du Fortune 500 et leur pratique des médias sociaux (8) est emblématique du fossé qui perdure : 68% des PDGs américains sont encore absents des médias sociaux. En France, la proportion n’est guère plus brillante. Il y a donc encore du travail à accomplir pour que le nécessaire leadership des dirigeants intègre pleinement le digital. En 2015, il sera plus que temps de s’en préoccuper.

Tendance n°4 : le « New Power » est dans la place et n’en partira plus

2015 - SlacktivismLes exemples ont beau abonder et proliférer à la une des médias. Rien n’y fait. Les rigidités comportementales des pouvoirs établis persistent encore grandement à fonctionner comme ils en ont toujours eu l’habitude. C’est pourtant là aussi un fait largement acquis que les réseaux sociaux ont totalement rebattu la donne depuis plusieurs années. L’influence et la capacité à orienter les actions ne sont plus le seul apanage des galonnés à la tête des entreprises et des institutions. De même, les médias ne sont plus les uniques intermédiaires d’avec le corps sociétal longtemps confiné à la marge avec peu de moyens puissants d’expression, si ce n’est les mobilisations massives comme les grèves, les manifestations et les actions d’agit-prop.

A cet égard, 2014 aura à nouveau fourni la démonstration que les sociétés occidentales en particulier ne s’articulent plus selon le paradigme du « top-down ». Si les pouvoirs classiques ont encore la possibilité d’impulser des projets, ils se heurtent à une résistance accrue capable de faire rebrousser chemin ou de tenir tête durablement à l’autorité qui veut imposer. Le gouvernement français en a fait plusieurs fois l’amère expérience avec les « Pigeons » puis les « Poussins » et enfin les « Bonnets rouges » où le digital était à la pointe de l’exacerbation conduisant à un blocage déterminé. Certes, toutes les poussées d’urticaire contestataire ne débouchent pas systématiquement sur des imbroglios communicants. Il n’en demeure pas moins que la puissance des individus est désormais décuplée comme jamais et ne peut plus être tenue pour quantité négligeable.

Le Crédit Agricole en sait quelque chose depuis que l’établissement a eu à affronter plusieurs pétitions en ligne émanant de clients bien décidés à faire valoir leurs droits et à ne pas céder aux injonctions de la banque. En octobre dernier, celle-ci a par exemple accepté de discuter renégociation de crédit avec une cliente qui furieuse d’être menacée de saisie immobilière, s’était fendu d’une pétition sur Change.org ayant recueilli 40 000 signatures. Une autre pétition avait quant à elle recueilli 69 000 signatures. Depuis décembre 2014, le Crédit Agricole a donc décidé d’ouvrir un « profil décideur » sur la plateforme pétitionnaire pour répondre directement aux lanceurs de pétition et aux signataires. Une façon de prendre ainsi en direct le pouls de son écosystème et être en mesure de réagir le cas échéant.

2015 - HacktivismToutefois, cet exemple reste encore bien anecdotique. Même si elle entrouvre çà et là les volets, la communication des entreprises et des institutions reste globalement timorée. Des réseaux sociaux, elle n’en perçoit souvent que l’épiphénomène irritant du buzz à tout prix. Faire le buzz est en effet devenu une obsession chez de nombreux dirigeants et de communicants en mal de gloriole numérique. Tous veulent réitérer le coup de Carambar et sa vraie fausse rumeur sur l’abandon des blagues qui avait mis en ébullition réseaux sociaux et médias en mars 2013. Depuis, c’est devenu exagérément le mètre étalon d’une stratégie digitale où tout est bon pour faire parler de soi, même en déchaînant les passions et les critiques comme l’ont fait cette année les marques Numéricable, Stabilo Boss, Renault, etc en accouchant de campagnes sexistes débiles. Il est dommage que le digital continue d’être appréhendé par ce petit bout de la lorgnette superfétatoire qui ignore tout des mécaniques bien plus subtiles et décisives des médias sociaux.

Au lieu de s’exciter sur des concepts masturbatoires et de se payer des frissons réputationnels totalement vains, marques et entreprises seraient bien avisées d’élargir la focale et considérer le digital comme un fondamental terrain de relations publics sur le long terme. Ceci est d’autant plus nécessaire que la récente étude du cabinet Deloitte montre que 87% des entreprises estiment que la réputation est le risque majeur qui les menace (9). Raison de plus pour enfin prendre de la hauteur et intégrer les nouveaux rapports de force qui prévalent dans un écosystème d’entreprise. Vouloir les ignorer est se condamner à l’impasse d’autant que l’entreprise sera systématiquement rattrapée. De moins en moins, les projets impactant une communauté pourront passer sous le radar sociétal et en catimini. L’expression la plus radicale de cette exigence d’avoir voix au chapitre est probablement celle des « hacktivistes ». Récemment, ces derniers se sont distingués en faisant tomber les sites Web officiels en relation avec le chantier du centre d’enfouissement de déchets nucléaires de Bure dans la Meuse. Leur objectif ? « Attirer l’attention et conscientiser les gens » (10). En 2015, il est fort à parier que ces embuscades vont se multiplier envers les acteurs économiques, institutionnels et politiques, incarnations d’un « Old Power » qui a bien du mal à prendre la mesure de la nouvelle donne communicante.

2015 : Dernier appel avant l’embarquement final ?

2015 - wake up callL’an passé dans mon billet sur les tendances de 2014, j’écrivais que cette année devait être celle du passage à l’acte et non plus de la simple prise de conscience. Douze mois plus tard, je constate quelques avancées. A travers mes lectures, mes discussions professionnelles et les interrogations des entreprises rencontrées, il est clair qu’un net virage a été amorcé. Le temps où ouvrir sa page Facebook était assimilé à la digitalisation de sa communication est dans l’ensemble révolu même si d’aucuns persistent à ne jurer que par la magique « boîte à joujoux digitaux » pour se rassurer et s’accorder des gages de pertinence stratégique. Cependant, les états d’esprit ont encore du mal à considérer le fait que leurs publics sont devenus des interlocuteurs à part entière. S’ils admettent en règle générale l’irruption des influenceurs parmi les cibles à bichonner au même titre que les journalistes, ils rechignent encore à intégrer le poids d’une communauté et les exigences dont elle est porteuse.

Trop souvent encore, les parties prenantes sont vues à travers le prisme consumériste pour lequel on n’hésitera pas à dresser le barnum digital requis. En revanche, lorsque ces mêmes parties prenantes entendent également en savoir plus sur des aspects sociétaux, environnementaux, éthiques, etc, le raidissement des stratégies de communication digitale est patent. Bien que l’économie collaborative soit aujourd’hui portée sur les fonts baptismaux (à juste titre), la communication collaborative peine quant à elle à faire son trou. Les marottes éculées de la com’ de papa perdurent comme des doudous rassurants avec lesquels on peine à couper le cordon. En 2015, il va pourtant falloir pousser les feux de la conversation autrement que par des jeux-concours, des quêtes frénétiques de buzz ou des coups de com’ pour briller dans les cérémonies de remise de trophées professionnels. Au risque d’être un brin anxiogène, le titre du roman de science-fiction de Stephen est maintenant un mot d’ordre avec lequel il va être de moins en moins possible de composer.

Sources

– (1) – « Jean-Marc Lech (Ipsos) : « Les médias sociaux réalisent le village global de McLuhan » – Le Blog du Communicant – 11 décembre 2013
– (2) – John Mc Dermott – « How Tumblr’s making its case to brands » – Digiday – 16 octobre 2014
– (3) – Global Executives Study – Quartz Insights – Mars 2014
– (4) – Omar Akhtar – « How Coca-Cola turned its corporate website into a Buzzfeed-like content machine » – The Hub Comms – 18 septembre 2013
– (5) – Tony Haile – « What You Think You Know About the Web Is Wrong » – Time.com – 9 mars 2014
– (6) – Tom Pick – « The real roadblock to social business success » – Business 2 Community – 13 septembre 2014
– (7) – Marie-Sophie Ramspacher – « L’usage RH des réseaux sociaux émerge » – Les Echos – 7 octobre 2014
– (8) – « Médias sociaux : Où en sont vraiment les dirigeants du classement Fortune 500 ? » – Le Blog du Communicant – 6 décembre 2014
– (9) – Guillaume Scifo – « La réputation, peur majeure pour les entreprises » – L’Atelier.net – 26 décembre 2014
– (10) – Camille Polloni – « Contre les « grands projets inutiles », des Anonymous font tomber des sites » – Rue 89 – 16 décembre 2014

 



7 commentaires sur “Communication et médias sociaux : 4 tendances qui vont encore plus compter en 2015

  1. Maxime  - 

    Au championnat de l’ego surdimensionné et de la réflexion creuse, vous seriez largement gagnant…
    Un bel exemple du « écrire pour ne rien dire » et du communicant qui ne sait pas rédiger.

  2. tunimaal  - 

    Les médias sociaux évoluent à une vitesse telle, et demande un investissement tellement considérable, que s’en occuper prend au final plus de temps que poster un billet sur un blog. Mais j’avoue que c’est un « travail » tout aussi intéressant, qui quand il est bien réalisé est valorisant.

Les commentaires sont clos.