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« Méfions-nous de la surenchère sondagière en faveur du FN »

Les résultats et l’interprétation des baromètres politiques d’Odoxa et Opinionway posent des questions déontologiques, estime le chercheur Alexandre Dézé.

Publié le 26 décembre 2014 à 13h21, modifié le 19 août 2019 à 13h56 Temps de Lecture 4 min.

Deux sondages récents publiés en décembre – le baromètre politique mensuel d’Odoxa et le sondage Clai-Metronews de Opinionway – sont venus apporter une nouvelle série de résultats pour le moins favorables au Front national (FN). D’un côté, le parti d’extrême droite arriverait « en tête des intentions de vote pour les élections départementales de 2015 ». De l’autre, Marine Le Pen serait la « personnalité politique de 2014 pour les Français ». Or ces résultats, tout comme l’interprétation qui en a été faite, apparaissent pour le moins discutables.

Pour les élections départementales de 2015, Odoxa attribue 28 % d’intentions de vote au FN au niveau national, « soit 3 points de plus que son scorecanon des dernières européennes ». Outre que la comparaison entre élections départementales et européennes n’a que peu de sens ici tant ces scrutins sont de nature différente, on peut estimer que le niveau d’intentions de vote prêté au FN est également peu fondé. Passons sur le mode de recueil de l’échantillon par Internet, qui tend à produire des effets de surdéclarations en faveur des formations extrêmes, et sur les problèmes de redressement subséquents que cette technique soulève. Il faut tout d’abord rappeler que, dans l’enquête Odoxa, environ la moitié des personnes interrogées ne sont pas certaines d’aller voter. Ce résultat est certes indiqué dans le rapport publié par l’institut, mais nullement dans les différents commentaires médiatiques, donnant l’impression que les intentions de vote frontistes sont garanties.

Méconnaissances des particularités électorales

Plus discutable encore, l’enquête a été réalisée comme s’il s’agissait d’une élection nationale, autrement dit, sans tenir compte des caractéristiques locales du scrutin départemental ni même des particularités du mode d’élection, alors que les candidats ainsi que les suppléants devront se constituer en binôme paritaire. De fait, il faut se poser la question : quelle est la valeur des résultats d’un sondage qui cherche à mesurer des intentions de vote pour un scrutin dont les singularités sont en l’occurrence complètement ignorées ?

Dans le même rapport d’enquête, on apprend également que « les Français estiment qu’il faut désormais considérer le FN comme un parti comme les autres” ». Pourtant, à regarder dans le détail, il s’agit en réalité non pas de « tous » les Français mais de 58 % des personnes interrogées qui ont répondu favorablement à la question : « Vous personnellement, estimez-vous que le FN devrait être à présent considéré comme un parti comme les autres ? » Ainsi, la manière dont sont présentés les résultats ne correspond pas à la question posée, mais elle a pour effet d’accréditer l’idée d’une normalité partisane désormais établie du FN.

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Au-delà du caractère problématique de ces données, c’est le ton utilisé dans le rapport qui ne peut manquer de surprendre. Signé par Gaël Sliman, président d’Odoxa, et présenté le 15 décembre lors d’un « petit déjeuner politique » organisé par l’institut avec Marine Le Pen comme invitée, le document évoque de manière particulièrement contrastée un président de la République qui « demeure incroyablement impopulaire », un Parti socialiste « grand perdant » et un Front national « créant la surprise aux prochaines élections départementales », comme si ces élections avaient déjà eu lieu, avec la « promesse de scores inédits » et de « “cartons” auprès de pans entiers de la population » ! De telle sorte qu’on finit par avoir quelques interrogations sur les intentions de Gaël Sliman.

Absence de déontologie

Il est manifeste que le FN progresse d’élection en élection. Mais on ne peut que regretter cette tendance désormais systématique à la surenchère sondagière et médiatique autour du parti : non seulement elle génère des pratiques où la déontologie et le professionnalisme semblent de plus en plus absents mais, en outre, elle contribue à surévaluer l’importance politique du FN en laissant à penser, par exemple, qu’il se trouverait désormais « aux portes du pouvoir », alors qu’il n’a que 2 députés sur 577, 2 sénateurs sur 348, environ 1 500 conseillers municipaux sur 520 000, etc.

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C’est sans doute cette même logique de surenchère, guidée par la perspective de menus profits, qui a conduit nombre de sites d’information à titrer, à la suite de la publication des résultats du sondage d’Opinionway : « Marine Le Pen élue personnalité politique de 2014 par les Français ». Or, là encore, force est de constater l’écart abyssal entre ce titre et la question de l’enquête à laquelle il est censé correspondre et qui était : « Quelles sont, selon vous, les trois personnalités qui ont le plus marqué l’actualité politique en 2014 ? » A cette question, 42 % des personnes interrogées ont répondu Marine Le Pen, 39 % Manuel Valls et 36 % Nicolas Sarkozy. De fait, Marine Le Pen arrive bien en tête des personnalités qui « ont marqué l’actualité politique en 2014 », mais cela ne saurait suffire à en faire « la personnalité politique de 2014 ».

Figure pionnière de la production et de l’analyse des sondages en France, le politologue Jean-Luc Parodi écrivait en 1985 : « Comme toute drogue, le sondage exige de ceux qui en ont attrapé la passion prudence et mode d’emploi. » On ne saurait trop recommander à ceux qui les fabriquent et les commentent aujourd’hui d’appliquer ce sage conseil. Au risque de construire une réalité artéfactuelle du FN et de devenir complice de son entreprise de dédiabolisation.

Alexandre Dézé est l’auteur de « Le Front national : à la conquête du pouvoir ? », Paris, Armand Colin, 2012.

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