Forensic police collects evidence inside the police station of Joue les-Tours on December 20, 2014, after an assault against police officers by a knife-wielding man who who shouted "Allahu Akbar", and was then shot by the police.

C'est dans ce commissariat de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire) qu'un individu a été abattu après avoir blessé des policiers au couteau et crié "Allah Akbar", selon des témoins présents.

AFP Photo / Guillaume Souvant

Que s'est-il réellement passé à Joué-lès-Tours le 20 décembre? Plus d'une semaine après les faits, plusieurs témoignages semblent contredire la piste retenue par les autorités, celle d'un acte terroriste commis par un individu radicalisé. Selon les policiers, un forcené dénommé Bertrand Nzohabonayo s'est introduit au commissariat de cette ville d'Indre-et-Loire, a blessé plusieurs fonctionnaires à l'arme blanche en criant "Allah Akbar" ("Dieu est grand" en arabe) puis a été abattu dans des circonstances de légitime défense.

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Sur RMC ce lundi, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a assuré qu'il n'y avait "aucune raison de remettre en cause" ce récit et a apporté son soutien aux forces de l'ordre. Joint par L'Express, le parquet de Paris, saisi de l'enquête, soutient la même ligne. "L'hypothèse d'un acte terroriste commis par un individu radicalisé est encore la nôtre et rien à ce jour ne vient sérieusement la remettre en question."

Bertrand Nzohabonayo est-il rentré dans le commissariat de sa propre initiative?

Plusieurs témoins le jour du drame racontent pourtant que Bertrand Nzohabonayo n'est pas rentré de lui-même dans le commissariat mais y a été emmené par la force. Une vidéo diffusée par l'AFP et repérée par Mediapart jette notamment la doute. On y voit un homme interrogé à visage découvert racontant qu'il a vu "quatre policiers prendre le monsieur pour le rentrer à l'intérieur". Il explique que c'est seulement à ce moment-là que Bertrand Nzhohabonayo s'est débattu et que les choses ont dégénéré. Le jeune homme aurait sorti un couteau et blessé les fonctionnaires qui, en représailles, auraient fait feu. Ce qui accréditerait la thèse de la légitime défense.

Sur cette même vidéo, on constate que la police scientifique procéde à des analyses à l'extérieur du commissariat. Mediapart a par ailleurs publié une photo de ce qui semble être le corps de Bertrand Nzohabonayo étendu sur les marches du bâtiment, laissant supposer que le drame ne s'est pas joué à l'intérieur comme affirmé par les autorités. Un cliché relayé sur les réseaux sociaux par les jeunes du quartier et les médias communautaires avec le hashtag "#FergusonEnFrance", en référence à ce drame américain durant lequel un jeune Noir a été abattu par la police.

Plusieurs autres témoignages font également état d'une interpellation qui a mal tourné plutôt qu'une attaque délibérée mais doivent être pris avec prudence: certains jeunes pourraient être tentés de relayer ce qu'ils ont entendu dans le quartier. La famille a en tout cas demandé à ce que les bandes des caméras de surveillance du commissariat leur soient transmises. "Il existe des versions contradictoires, des questions se posent", fait valoir son avocat, maître Jérémie Assous, interrogé par Le Journal du dimanche.

Pour quelles raisons aurait-il été interpellé?

Selon France 3 Centre, Bertrand Nzohabonayo a été interpellé en raison d'une altercation survenue la veille dans un bus de Joué-lès-Tours. Deux jeunes se seraient battus avec un policier, le blessant légèrement. Un incident auquel Bertrand Nzohabonayo n'a pas pu participer étant donné que, selon les recoupages du Point, il se trouvait à Paris à ce moment-là.

L'hebdomadaire indique qu'il a été arrêté le lendemain et ammené de force au commissariat pour qu'il donne l'identité des deux jeunes. Car Bertrand Nzhohabanayo tiendrait le rôle de "grand frère" dans le quartier et serait connu "pour calmer" les jeunes les plus belliqueux lorsqu'ils se frottent aux forces de l'ordre. Il aurait donc pu avoir les renseignements recherchés par la police. D'autant que peu avant le drame, il aurait déjeuné avec sa soeur à 600 mètres du commissariat dans un kebab et serait tombé nez à nez avec une brigade.

Le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) a par ailleurs relevé que le policier blessé lors de l'altercation dans le bus est celui qui a été condamné à 1500 euros d'amende pour violences dans l'affaire de la vidéo "Honte à la police" datant d'août 2013. Des faits très médiatisés à l'époque. Selon La Nouvelle République, le fonctionnaire a été auditionné dans l'enquête sur Bertrand Nzohabonayo même si cela ne signifie pas qu'il y a un lien entre la bagarre dans le bus et l'attaque du commissariat.

Etait-il vraiment un individu radicalisé?

L'acte de Bertrand Nzohabonayo a très vite été présenté comme "motivé par l'islamisme radical". De fait, l'homme a affiché un drapeau de l'organisation Etat islamique deux jours avant le drame sur son compte Facebook. Le Point affirme également qu'il est connu pour des faits de prosélytisme dans son quartier.

Les autorités ont néanmoins reconnu qu'il n'était pas fiché pour des activités terroristes et qu'il avait jusqu'ici uniquement commis des délits de délinquance classique. S'il est indéniable que le jeune homme était converti à l'islam - sa famille est chrétienne - et qu'il était décrit comme très pratiquant, tous ses proches réfutent l'hypothèse selon laquelle il était radicalisé. "Il ne comprenait pas vraiment ce qu'était Daech et ses idées", s'est ainsi étonné ce lundi sur RMC Mina, un de ses amis d'enfance, sans pour autant justifier la présence du drapeau. Son père ne dit pas autre chose. Joint par Libération, il a assuré que Bertrand Nzohabonayo disait des djihadistes "que ce n'était pas des musulmans", même s'il a reconnu que son fils a cherché des réponses dans la foi.

Par ailleurs, selon le même témoin interrogé dans la vidéo de l'AFP, Bertrand Nzohabonayo n'a pas crié "Allah Akbar" lors du drame mais simplement des "Ah" de protestation. Le Point va plus loin et indique qu'un seul témoin non policier a certifié dans la procédure avoir entendu une phrase à connotation religieuse. De son côté, le parquet de Paris fait valoir que la radicalisation de Bertrand Nzohabonayo est "récente mais néanmoins avérée". Son frère, qui lui était bien fiché pour des liens avec la mouvance djihadiste, aurait pu l'influencer.

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