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Le gouvernement espagnol mise sur le gaz de schiste

Madrid veut passer outre la vive opposition des régions et des citoyens à la fracturation hydraulique pour réduire sa dépendance énergétique.

Par  (Madrid, correspondance)

Publié le 26 décembre 2014 à 17h56, modifié le 19 août 2019 à 13h56

Temps de Lecture 4 min.

Puits de d'exploitation de gaz de schiste.

Le gouvernement espagnol a décidé de tout miser sur la fracturation hydraulique, technique permettant d’extraire du gaz et du pétrole de schiste. Et ce malgré la forte opposition de nombreuses plateformes citoyennes et de la plupart des régions concernées, notamment la Catalogne, qui ne veulent pas de cette pratique très controversée et sont allées jusqu’à l’interdire sur leur territoire.

Le bras de fer dure depuis presque deux ans. Pour essayer de vaincre les réticences locales, le ministre de l’industrie et de l’énergie, José Manuel Soria, a introduit, le 12 décembre, plusieurs modifications à la loi sur les hydrocarbures de 1998 pour encourager ce qu’il considère comme une priorité. En effet, plus de 70 permis de recherche ont déjà été autorisés et une soixantaine est en attente de validation, ce qui fait de l’Espagne l’un des pays européens, après la Pologne et le Royaume-Uni, les plus favorables à l’exploitation des gaz de schiste.

M. Soria propose notamment l’imposition d’une nouvelle taxe qui serait prélevée sur l’extraction des hydrocarbures (à hauteur de 8 %) et dont les recettes serviraient en partie à financer les régions et les municipalités où seraient implantés les projets de prospection. Il veut également permettre aux propriétaires des sols d’être intégrés aux projets en obtenant des droits en tant que sociétaires – au lieu d’être expropriés et dédommagés financièrement – ce qui leur assurerait jusqu’à 1 % des bénéfices de la future exploitation.

Enjeu considérable

L’enjeu est considérable, car l’Espagne importe 99 % des hydrocarbures dont le pays a besoin. Or un rapport du conseil supérieur des écoles d’ingénieurs de mines de Madrid, publié en 2013, estime que les réserves de gaz de schiste présentes dans le sous-sol espagnol (principalement le Pays basque et la Cantabrie, le sud des Pyrénées, la vallée de l’Ebre et du Guadalquivir) correspondent à trente-neuf années de la consommation actuelle du pays. Ces estimations, reconnaît Shale Gas España, une plateforme qui regroupe des entreprises cherchant à exploiter les gaz de schiste, sont purement spéculatives, car aucune prospection n’a encore eu lieu en Espagne.

Lire aussi : Gaz de schiste : les estimations des réserves sont-elles fiables ?

En fait, un autre rapport, celui-ci de l’Institut de recherches géologiques et minières espagnol (IGME), commandé par le gouvernement en 2013 et jeté aux oubliettes avant d’être publié par la presse ibérique un an plus tard, est nettement moins optimiste. Il souligne que « de nombreuses études préviennent de la contamination des eaux souterraines, de la pollution de l’air » et des mini-séismes provoqués par la fracturation hydraulique. Pour conclure que l’expérience des Etats-Unis en matière de « fracking » « n’est pas forcément transférable en Espagne » du fait des différences « légales, géologiques, démographiques, économiques et culturelles ».

Lire aussi : Gaz de schiste : alerte sur la toxicité des additifs utilisés

Pour Manuel Peinado, professeur des sciences de l’environnement de l’université d’Alcala de Henares (Madrid) et auteur du livre El fracking, vaya timo (« le fracking, quelle arnaque ! »), le ministre Soria est un « analphabète énergétique ». « Vu notre niveau de dépendance énergétique, il est impossible de compenser nos importations avec du gaz de schiste, assure-t-il. La fracturation hydraulique en Espagne n’a aucun sens. Il suffit de regarder les chiffres. Nous avons consommé 34 milliards de mètres cubes de gaz en 2013, la plupart en provenance d’Algérie. Et nous en avons produit 48 millions. Comment voulez-vous combler la différence ? »

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Bien que les régions ne disposent pas de compétence en matière énergétique, ce que plusieurs décisions du Tribunal constitutionnel, la plus haute instance juridique du pays, sont venues leur rappeler depuis un an, elles ont voulu se mobiliser contre Madrid. La Cantabrie – gouvernée par le Parti populaire du premier ministre Mariano Rajoy – a été la première, en avril 2013, à adopter une loi interdisant la fracturation hydraulique, suivie de la Rioja, de la Navarre et, en février 2014, de la Catalogne.

Guerre d’usure

Le gouvernement catalan a modifié la loi sur l’urbanisme pour empêcher toute infrastructure nécessaire à la fracturation hydraulique. Il a justifié sa décision en arguant que l’extraction de gaz non conventionnel fournirait seulement huit mois de consommation de la région et qu’aux Etats-Unis aucune exploitation n’était inférieure à 12 000 kilomètres carrés, ce qui équivaut à un tiers de la Catalogne.

En Andalousie, le Parlement a commencé à discuter d’un moratoire de deux ans interdisant la fracturation hydraulique. Au Pays basque, qui s’est montré plutôt favorable à l’exploitation du gaz de schiste, une plateforme citoyenne locale a appelé à la mobilisation populaire : elle a réussi à recueillir, début décembre, plus de 103 000 signatures contre la fracturation. En tout, plus de 400 villes espagnoles se sont déclarées « libres de fracking ».

Nacho Modinos, porte-parole de l’Association contre le fracking de la Cantabrie – dont la moitié du territoire est concernée par d’éventuelles prospections – est partisan d’une guerre d’usure : « Au niveau local, nous pouvons retarder toutes sortes de permis, permis de transports ou autorisations environnementales, pour freiner les recherches. Nous avons le soutien de toute la population, surtout dans les secteurs touristique et agricole. »

Le directeur général de Shale Gas España, David Alameda, estimait récemment qu’il était peu probable qu’une compagnie réussisse à obtenir un permis d’exploitation « avant cinq ans ». Du fait de la mobilisation populaire, et malgré les encouragements de Madrid, « personne n’ose être le premier à forer », souligne M. Modinos. Il sait que la bataille sera longue, « car les groupes pétroliers ont beaucoup de temps et beaucoup d’argent. Nous restons sur nos gardes parce que nous savons aussi qu’il est facile d’acheter des volontés ».

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