Des combattants liés à Al-Qaïda tenaient toujours jeudi la ville syrienne d'Azaz près de la frontière turque, conquise aux rebelles non-jihadistes, provoquant la colère d'une partie de ses habitants qui demandent leur départ.

Combattants liés à Al-Qaïda dans la ville syrienne d'Azaz, près de la frontière turque.

afp.com/Guillaume Briquet

La scène a pour décor un snack-bar de Nice, en mars dernier. Latifa Ben Ziaten, mère d'un soldat assassiné à Toulouse, première victime de Mohamed Merah, intervient dans un quartier populaire pour mettre en garde contre les discours de haine. On imagine le sujet plutôt rassembleur mais des "dizaines de participants" tournent les talons. "Mal informés, ces derniers pensaient que l'invitée n'était autre que la mère de Mohamed Merah", témoignent les auteurs du livre La France du djihad (1).

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Ainsi aujourd'hui en France, les bourreaux remplissent les salles plus facilement que les victimes. Encore faut-il comprendre comment et pourquoi, sans se laisser happer par la vertigineuse descente aux enfers syriens: au long de l'année 2014, une horreur en a chassé une autre.

François Vignolle, directeur adjoint de la rédaction du journal télévisé de M6, et Azzeddine Ahmed-Chaouch, reporter sur la même chaîne, décortiquent l'attrait de cette guerre civile et religieuse, qui ravage le Proche-Orient, Syrie et Irak en tête, et menace l'Occident. Ils le font à hauteur d'homme: chaque thème abordé (les djihadistes femmes, les départs en famille, la détresse des parents, l'annonce d'un décès...) est incarné par des reportages, comme au poste frontière de Bab Al-Salama, (la porte de la paix !) et des destins individuels.

"Syndrome mère Teresa" pour les jeunes femmes

Difficile d'oublier ces jeunes filles passant du jour au lendemain du culte de la chanteuse Jenifer mode glamour à celui d'Allah version jusqu'au-boutiste (155 Françaises, parfois très jeunes, seraient impliquées dans les filières). Pour celles qui réussissent à partir, les lettres d'au revoir ou d'adieu à la famille se terminent invariablement par: "Je vous aime". C'est le "syndrome mère Teresa", comme le résument les auteurs. Mais ici l'amour se confond avec la guerre.

Au fil des pages, on constate que les terroristes apprennent de leurs erreurs passées. La plupart des jeunes recrues françaises peinent à déchiffrer l'arabe? Les sergents recruteurs légendent leurs textes dans la langue de Molière adaptée à l'Internet. Ils cisèlent des messages percutants où le choc des photos occulte le poids des mots.

Mourad Farès, à lui seul, incarne cette génération. Ce recruteur français ponctue ses phrases de "lol" sur les réseaux sociaux: "Ma grande gueule m'a suivie même ici lol", s'amuse-t-il dans l'un de ses messages. Si loin géographiquement (avant d'être arrêté en Turquie en août dernier puis incarcéré en France, le djihadiste était à plus de 3 000 km de distance), mais si proche culturellement (il a quitté Lyon en 2013).

"L'ère des auto-entreprises du terrorisme"

L'argent, dit-on, est le nerf de la guerre. Et le djihad armé obéit aux mêmes règles. "Un budget oscillant entre 800 et 1 500 euros comprenant les frais d'avion, la nuit d'hôtel en Turquie et la commission laissée au passeur à la frontière, suffit amplement pour atteindre la Syrie. Il faut ajouter la même somme pour couvrir les frais d'hébergement sur place, l'achat d'une arme au marché noir et les dépenses quotidiennes", estiment François Vignolle et Azzeddine Ahmed-Chaouch.

Pour gagner le front, toutes les tactiques sont bonnes, dont la plus simple: vider son compte en banque, louer une voiture et prendre la route vers l'Est, bien au-delà de la porte de Bagnolet. "Nous voici arrivés dans l'ère des auto-entreprises du terrorisme", résume Christophe Tessier, juge d'instruction antiterroriste plutôt avare de paroles.

Candeur au départ - "Ce que vous voulez, c'est mon bonheur. Sachez que là-bas, je serai heureux de servir mon créateur", écrit Medhi à ses parents - douleur sur place. Certains s'y complaisent, se rêvant en héros mais devenant bourreaux. D'autres, comme Ali, dont on lira le récit hallucinant de la fuite, tentent de s'en extraire. Personne n'en ressort indemne. Pas même le lecteur.

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