Ebranlés par l’attentat terroriste qui a frappé leurs confrères de Charlie Heddo, les caricaturistes algériens expriment leur douleur et leur colère. En signe de deuil, Amine Labter, caricaturiste au quotidien Le Soir d’Algérie, a publié un dessin tout noir, barré seulement du logo de Charlie Hebdo. « J’étais bouleversé, je ne me sentais pas de dessiner. J’ai voulu leur rendre hommage et montrer ma solidarité envers les familles et les proches des victimes. On ne peut pas répondre à un coup de crayon par un coup de balle.»
En dernière page du quotidien Liberté, Ali Dilem montre un homme à terre, écrivant avec son sang sur le mur : « les cons m’ont tuer ». Durement touchée par le terrorisme islamiste dans les années 1990, l’Algérie a perdu de nombreux journalistes qui ont payé de leur vie leur liberté d’expression. « Je croyais en avoir fini avec ces tragédies. Je viens d’un pays qui a connu cette terreur pendant plus d’une décennie, pour que des gens comme moi puissent continuer à dessiner, à s’exprimer. » En 1994, Dilem, menacé par les terroristes islamistes se rend à Paris « pour respirer un peu». C’est là qu’il fait la rencontre des dessinateurs de Charlie. « Parfois, je pensais renoncer à exercer mon métier, je pensais que c’était trop cher payé de risquer sa vie pour un dessin. Mais eux m’ont donné envie de continuer, ils m’ont montré que j’avais une utilité. »
Le jeune Ghilas Aïnouche avait aussi fait récemment connaissance de Charb, Cabu, Tignous et Wolinski, tous quatre assassinés hier. « Quand je suis venu à Paris pour la première fois, je me suis dit, il faut que je vois la Tour Eiffel, le Canard Enchainé et … Charlie Hebdo », se souvient-il. Caricaturiste au quotidien TSA (Tout Sur l’Algérie), il avait rencontré ses idoles en mars dernier au siège de l’hebdomadaire. « Ils ont regardé mes dessins, m’ont encouragé et m’ont invité à participer à leurs conférences de rédaction. Je les ai côtoyés pendant plusieurs mois.Ils sont devenus des amis. » Bouleversé, Ghilas n’a pas de mot assez fort pour condamner l’attaque dont ont été victimes ses confrères: « Contrairement à ce que peuvent penser certaines personnes, les dessinateurs de Charlie Hebdo ne sont pas islamophobes, ils critiquent toutes les religions. Et puis, il ne faut pas oublier que le dessin, c’est une satyre, un moyen de s’amuser et en même temps de faire réfléchir les gens. »
« les musulmans vont payer la facture des fanatiques »
Plusieurs dessinateurs s’inquiètent des répercussions du drame sur la perception de l’Islam et des musulmans. Saad Benkhelif, caricutariste à El Watan qui comme Ghilas a publié ce matin sur son profil Facebook, une photo prise avec Charb redoute de voir se renforcer « le stéréotype du musulman violent, pas ouvert au dialogue. » « Les musulmans vont payer la facture de ces fanatiques », deplore-t-il . « Ce drame va encore donner une mauvaise image de nous. Mais il ne faut pas oublier les gens bien, ceux qui font leur travail avec amour, comme Mustapha Ourad, le correcteur de Charlie Hebdo, un algérien qui est décédé lui-aussi dans la tuerie d’hier. Ceux-là restent malheureusement dans l’ombre » constate Ghilas.
Contrairement à d’autres capitales étrangères comme Londres, Berlin ou Amsterdam il n’y a pas eu de rassemblement de soutien hier soir à Alger. « Ce n’est pas un automatisme pour nous de nous rassembler dans la rue, explique Amine. Déjà, à Alger, tout rassemblement est interdit. C’est l’héritage des années noires, l’état d’urgence n’est pas levé ici. Alors les gens ont exprimé leur soutien autrement, notamment sur les réseaux sociaux. »
Le message des caricaturistes algériens est quoiqu’il en soit sans ambiguité. « On va dire à ces gens qu’on va continuer à dessiner » conclut Saad Benkhelif.
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