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Libération
Récit

Deux jours de passages à l'acte islamophobes

Fusillade meurtrière à «Charlie Hebdo»dossier
Tirs ou tags sur des lieux de culte, intimidations : depuis la nuit de mercredi à jeudi, plusieurs attaques ont visé les musulmans.
par Pierre Benetti
publié le 9 janvier 2015 à 13h37
(mis à jour le 9 janvier 2015 à 19h44)

Depuis l'attentat contre Charlie Hebdo, au moins quinze actes visant la communauté musulmane ont été recensés en France. Ces actes étaient récurrents bien avant mercredi, mais force est de constater qu'ils se sont multipliés en deux jours, s'ajoutant à la masse des commentaires et twitts islamophobes sur la toile.

Dès la manifestation de mercredi soir, place de la République à Paris, un homme avait déchiré un Coran devant la foule. Il avait rapidement été expulsé par les manifestants, qui scandaient «pas d'amalgame». Dans la nuit de mercredi à jeudi, plusieurs attaques ont visé des mosquées ou des salles de prière.

Vers 0h30, trois tirs de petit calibre ont visé la mosquée du quartier des Sablons au Mans (Sarthe). Une balle a touché un montant de fenêtre, une autre a «perforé une vitre d'une salle de prière et s'est fichée dans le mur du fond», selon le procureur Philippe Varin. Quatre grenades d'alerte ont également été jetées par-dessus le mur et deux ont explosé, mais la salle était vide. «Nous avons un lien de confiance très ancien avec la communauté musulmane, commente le maire du Mans, Jean-Claude Boulard. Les appels à la paix des imams, ça peut aussi intéresser des non-musulmans.»

A Port-la-Nouvelle (Aude), «un homme seul, à pied», selon une source judiciaire, a tiré deux fois sur une salle de prière mercredi soir, une heure après le départ des fidèles. «Bien évidemment que c'est quelqu'un qui a cru bon de venger je ne sais quoi ou je ne sais qui», a déclaré à l'AFP le procureur de Narbonne, David Charmatz.

Emprise de l’alcool

Jeudi matin, peu avant 6 heures, un engin artisanal a explosé devant un kebab à quelques mètres de la mosquée de la Quarantaine à Villefranche-sur-Saône (Rhône). «Aucune hypothèse n'est privilégiée», a tenu à préciser le procureur du tribunal de Villefranche Grégoire Dulin, qui se refuse à tout autre commentaire aujourd'hui. «C'est évidemment en lien avec ce qui s'est passé à Paris, commente le maire, Bernard Perrut. Ca semble être un acte isolé, mais c'est un symbole lourd, parce que ça fait peur aux gens. Ca amène à sécuriser les lieux de prière.»

A Mâcon, ce sont les inscriptions «Islam on va vous niquer – Charlie» qui ont été peintes sur une artère de la ville. Jeudi encore, un tag «Mort aux Arabes» a été découvert sur le portail de la mosquée de Poitiers, pourtant protégée. Le recteur, l’imam Boubaker El Hadj Amor, a porté plainte. Le suspect interpellé a reconnu les faits, s’excusant et expliquant avoir agi sous l’emprise de l’alcool mercredi soir. Ce midi, après la grande prière du vendredi, environ 500 personnes se sont recueillies devant la mosquée en présence de représentants de toutes les religions.

Dans la même journée, après la minute de silence qui s'est tenue à midi au lycée L'Oiselet de Bourgoin-Jallieu (Isère), un lycéen de 17 ans d'origine maghrébine a été frappé par un groupe de quatre ou cinq personnes sur un parking voisin, après avoir essuyé des insultes racistes. Un médecin lui a prescrit trois jours d'ITT et les agresseurs ont été placés en garde à vue. «Il est important de noter que cet événement a concerné seulement quelques jeunes, après un grand moment de recueillement et de solidarité des élèves et des employés du lycée», remarque le maire de Bourgoin-Jallieu, Vincent Chriqui.

«Tête de sanglier»

Vendredi vers 6h15, un responsable de la salle de prière de Corte (Haute-Corse) a découvert à l'entrée du lieu «une tête de sanglier découpée et des viscères», selon le procureur de Bastia. Un courrier a également été trouvé, disant : «La prévention ça a un temps, la prochaine fois ce sera la tête d'un des vôtres.» «Ce sont des actes qui sont déjà arrivés dans la région, reconnaît le procureur de Bastia, Nicolas Bessone. Cette fois, c'est évidemment en lien avec le drame effroyable de Paris.»

Selon le journal Sud-Ouest, des fidèles ont découvert, ce matin encore, plusieurs tags sur les murs de la mosquée de Bayonne. A la peinture jaune, le mot «Charliberté» a été inscrit sur le portail de la mosquée, ainsi que «assassins» et «sales arabes» sur une poubelle et un mur. Une plainte devrait être déposée dans la journée par le président de l'Association des musulmans de la Côte basque, Abderrahim Wajou. Des inscriptions contre l'islam ont été taguées sur les murs de mosquées en construction à Liévin et Béthune (Nord).

A Bischwiller (Haut-Rhin), ce vendredi matin, des ouvriers travaillant sur le chantier d'une mosquée ont découvert l'inscription «Ich bin Charlie» («Je suis Charlie» en allemand). A Rennes, une façade du centre culturel islamique privé Ennour, qui sert de salle de prière, a été recouvert du mot «dehors», en français et en breton. Là aussi, après le prêche de l'imam, 200 personnes se sont rassemblées devant la salle de prière provisoire, où les tags avaient été cachés pour la prière.

En fin de journée, vendredi, le procureur de la République à Chambéry a annoncé que la thèse criminelle était désormais privilégiée à propos de l'incendie qui a ravagé, jeudi vers 22h, une partie de la mosquée historique d'Aix-les-Bains. La piste accidentelle était pourtant privilégiée depuis la matinée, alors que les dégâts empêchent l'utilisation de la salle de prière pour le moment.

A Vendôme (Loir-et-Cher), deux impacts de balle ont été trouvés sur les portes de la mosquée, selon La Nouvelle République. Enfin, quatre coups de feu ont été tirés dans la nuit de jeudi à vendredi sur la façade d'une mosquée de Saint-Juéry, une ville de 7 100 habitants près d'Albi (Tarn). «Il y a déjà eu des tags, des carreaux cassés, mais on n'a jamais rien dit, raconte Nagach Lkouchi, président de l'association qui gère la mosquée, installé depuis quarante deux ans dans la région. Aujourd'hui, c'est la désolation. On ne peut rien faire. Je n'ai pas peur de dire que c'est du racisme.» «Ces gens qui ont attaqué le journal n'ont rien à voir avec l'islam, poursuit-il. Ils veulent mettre les gens les uns contre les autres» Pour la quatrième fois depuis l'installation de la mosquée dans une zone industrielle, en 2000, Nagach Lkouchi a porté plainte. Des analyses balistiques sont en cours. Dans un communiqué, le maire de Saint-Juéry, Jean-Paul Raynaud, a appelé au calme : «Ne laissons pas les actes irréfléchis d'individus isolés et hors de la réalité imposer un climat de tensions et de divisions.» Une marche citoyenne aura lieu dimanche à Albi.

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