Après Charlie Hebdo : « L’hystérie sécuritaire ne protège pas »

Après Charlie Hebdo : « L’hystérie sécuritaire ne protège pas »

Comment réagir, en tant que démocratie, à l’horreur ? Cette question est au cœur du terrorisme. Et elle s’impose une nouvelle fois après l’attentat contre Charlie Hebdo. Jean-Pierre Dubois est juriste et président d’honneur de...

Par Xavier de La Porte
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Un homme manifeste contre le Patriot Act, adopt aux Etats-Unis aprs le 11 Septembre,  Boston, le 28 juillet 2004
Un homme manifeste contre le Patriot Act, adopté aux Etats-Unis après le 11 Septembre, à Boston, le 28 juillet 2004 - Michael Springer/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP

Comment réagir, en tant que démocratie, à l’horreur ? Cette question est au cœur du terrorisme. Et elle s’impose une nouvelle fois après l’attentat contre Charlie Hebdo.

Jean-Pierre Dubois est juriste et président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, qu’il a dirigée entre 2005 et 2011. Nous l’avons joint au téléphone.

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Rue89 : Quel est pour vous le premier risque à prévenir après ce qui s’est passé ?

Jean-Pierre Dubois : Ce qui vient d’arriver a été beaucoup comparé au 11 Septembre. C’est à mon avis à nuancer parce que, même si c’est terrible, le choc est moins effroyable qu’il ne l’a été aux Etats-Unis.

En revanche, l’effet de sidération est tel – chez les journalistes, mais dans l’ensemble de la population – qu’il y a un risque fort de réactions disproportionnées, et donc dangereuses.

N’oublions pas que le 11 Septembre a donné aux Etats-Unis le Patriot Act, et tout ce qu’il signifie en termes de restriction des libertés publiques et d’abaissement des exigences démocratiques.

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La logique de guerre qu’essaient de nous imposer ces criminels peut être prise au mot. Ça a été la réponse de Bush en 2001. Et, en France, on l’entend déjà dans la bouche de certains responsables de l’extrême droite, et pas seulement : Ivan Rioufol, du Figaro, a tenu des propos assez similaires.

Et en un sens, cette logique de guerre affleure déjà. Dans toute l’Europe, on voit croître une xénophobie et une islamophobie dont les causes ne sont pas à chercher seulement dans la crise économique qui nous touche. En Scandinavie aussi, où la crise est moindre, on observe ces phénomènes. Il y a un véritable trouble identitaire qui touche l’Europe et la France.

Le risque est donc celui d’une crispation sécuritaire, mais qui, de surcroît, désigne un ennemi de l’intérieur en la personne du musulman.

Il faut bien être conscient qu’il y a là une alliance objective entre le Front national d’un côté, et les criminels extrémistes de l’autre. Les uns comme les autres cherchent cette crispation. C’est leur but, car elle est mortelle. Mortelle pour la démocratie et la paix sociale.

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Ben Laden a gagné en 2001 parce qu’il voulait que Bush fasse ce qu’il a fait.

Il ne faut pas satisfaire ceux qui veulent que disparaissent la liberté et la démocratie.

D’accord, mais qu’opposer à l’argument pragmatique qui consiste à dire qu’il faut renforcer les lois antiterroristes pour que ces actes ne se reproduisent plus ?

Jean-Pierre Dubois  la Fte de L'Humanit  La Courneuve, le 9 dcembre 2010
Jean-Pierre Dubois à la Fête de L’Humanité à La Courneuve, le 9 décembre 2010 - SIMON ISABELLE/SIPA

Il n’est pas vrai que donner plus de pouvoir à la police permet d’éviter ce type d’actes.

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Regardez une ville comme Madrid. Les attentats qui ont eu lieu en mars 2004 ont tué 200 personnes et en ont blessé 1 400. Vous imaginez ? Vous imaginez si cela avait eu lieu à Paris hier ?

Eh bien aujourd’hui, quand vous marchez dans les rues de Madrid, vous voyez moins de policiers qu’à Paris avant le massacre à Charlie Hebdo. Ça n’a pas été la réponse choisie par les Espagnols. L’hystérie sécuritaire ne protège pas.

François Hollande est allé dans ce sens mercredi, il a essayé de le dire, mais tiendra-t-il bon ? Jusqu’ici, la réponse française a plutôt consisté à faire voter une loi antiterroriste par an.

Alors même que la réponse sécuritaire est un fantasme, et à deux titres :

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  • il n’existe pas de protection absolue contre de tels actes ;
  • la résistance la plus efficace, c’est de ne pas lâcher sur les libertés. Ne surtout pas faire comme la CIA qui s’est autorisée à torturer, avec les résultats que l’on sait.

Mais c’est un vieux débat. Je me souviens que juste après le 11 Septembre, j’avais été invité à débattre à la BBC avec un professeur de droit. Il disait que les terroristes étant des gens durs, il fallait torturer leurs enfants. Je lui ai répondu que non seulement nous nous déshonorerions en faisant cela – ce dont il se moquait – mais que c’est en faisant cela que la France avait perdu l’Algérie.

C’était pour dire que cela ne sert à rien. Entre plus d’être immoraux, ces moyens sont toujours inefficaces.

Nous sommes aujourd’hui face à une alternative stratégique très grave :

  • faire la guerre comme eux, salement ;
  • tenir bon en tant que démocratie.

Et pour le moment, vous voyez quel côté de l’alternative l’emporter ?

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C’est difficile à dire.

Mais si on regarde les choses depuis quinze ans, il n’y a pas de quoi être optimiste. Tout de suite après le 11 Septembre ont été votées les lois Vaillant, qui n’étaient rien d’autre qu’une réponse sécuritaire précipitée.

Je ne suis pas optimiste parce que peu d’hommes et femmes politiques estiment pouvoir dire la vérité. A savoir : il est impossible de garantir la sécurité totale, et surtout pas en prenant des mesures d’exception attentatoires à la démocratie et aux libertés publiques.

Il faut mener des actions très difficiles à mener : du renseignement, de l’infiltration, du démantèlement de réseaux. Mais surtout pas appliquer des lois d’exception.

Xavier de La Porte
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