Ukraine : pourquoi le pouvoir joue l'affrontement

Toujours majoritaire au Parlement et confronté à une opposition plus divisée qu'il n'y paraît, le président Ianoukovitch ne compte pas céder à la rue.

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Des policiers antiémeute stationnent devant le Parlement où sont campés des manifestants antigouvernementaux, le mardi 3 décembre.
Des policiers antiémeute stationnent devant le Parlement où sont campés des manifestants antigouvernementaux, le mardi 3 décembre. © SIPA

Temps de lecture : 4 min

Les milliers d'opposants ukrainiens qui siègent devant le Parlement n'ont pas eu raison du gouvernement. Pour l'heure en tout cas. La motion de défiance, proposée par trois groupes de l'opposition contre l'exécutif, a été rejetée mardi par la Rada (Le Parlement), majoritairement acquise au Parti des régions du président Viktor Ianoukovitch. Tandis qu'un nombre croissant de diplomates et de députés marquent leurs distances avec les méthodes de répression de l'exécutif, seuls 186 députés ont soutenu le texte, alors qu'une majorité de 226 voix était requise. "Cette décision montre que le rapport de force dans les institutions politiques ukrainiennes n'est pas favorable à l'opposition", souligne Alexandra Goujon, maître de conférences à l'université de Bourgogne, qui estime qu'"il n'existe pas de porte de sortie à cette crise politique".

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Ultime pied de nez à l'opposition, le président Ianoukovitch, qui a provoqué la colère de la rue en refusant vendredi un accord d'association avec l'Union européenne, était aux abonnés absents mardi. Le chef de l'État s'est même payé le luxe de quitter l'Ukraine pour rejoindre la Chine où il doit effectuer une visite de trois jours. C'est donc son Premier ministre Mykola Azarov qui a été chargé de s'expliquer devant le Parlement. Loin d'annoncer sa démission, le chef du gouvernement s'est contenté de demander "pardon" pour les violences policières qui ont fait des dizaines de blessés samedi matin à Kiev. "Je vais en tirer des conclusions fermes et il y aura des remaniements au sein du gouvernement", a-t-il ajouté.

Le spectre de la Révolution orange

"Si le traumatisme de la répression a déstabilisé la majorité, elle n'a pas changé le rapport de force au sein du Parlement", explique Georges Mink, directeur de recherche au CNRS et professeur permanent au collège d'Europe. "Au lieu de jouer la carte de l'apaisement, en présentant la démission d'Azarov, le président Ianoukovitch a choisi la stratégie de l'affrontement."

Le parallèle avec la Révolution orange est inévitable. En novembre 2004, l'annonce de la victoire au second tour de la présidentielle du même Ianoukovitch provoque des manifestations monstres d'opposants criant à la fraude. L'ampleur inédite de la mobilisation entraîne l'annulation pure et simple du scrutin et l'organisation d'un nouveau vote, qui voit le candidat de l'opposition pro-européenne, Viktor Iouchtchenko, l'emporter. Six ans plus tard, ce dernier rendra pourtant le pouvoir à Ianoukovitch, n'ayant pas tenu ses promesses de réformes économiques et sociales.

"Viktor Ianoukovitch a tiré les leçons de la Révolution orange de 2004, où la stratégie de négociation avait accéléré un nouveau processus électoral qui s'est retourné contre lui", note Georges Mink. Surtout que la rue est aujourd'hui moins nombreuse et plus morcelée qu'il y a neuf ans. "Le pays est divisé entre le camp de la stabilité - les générations plus anciennes tournées vers la Russie, la minorité russe [qui représente 17,3 % de la population, NDLR] et les oligarques partisans du statu quo - et le camp pro-européen, composé d'un ensemble hétéroclite de partis libéraux, nationalistes et de jeunes", explique Georges Mink, qui rejette la théorie d'un pays qui serait scindé en deux entre l'Ouest favorable à l'Europe et l'Est pro-russe.

Mainmise de la Russie

De la même manière, si l'actuel président ukrainien est volontiers accusé par l'opposition d'avoir "vendu l'Ukraine à la Russie", l'image d'une marionnette soumise aux ordres de Moscou paraît exagérée. Dès son élection à la présidence, en 2010, l'ancien Premier ministre affiche sa volonté d'intégrer à terme l'Union européenne. "L'économie ukrainienne a tout intérêt à intégrer l'Union européenne", explique Georges Mink. "Le marché unique européen permettrait de moderniser et d'assainir considérablement un secteur gangréné par la corruption."

Mais cette perspective de rapprochement vers l'Europe irrite au plus haut point la Russie, soucieuse de conserver dans son giron l'un des anciens fleurons de l'empire soviétique. Moscou possède d'ailleurs de nombreux leviers de pression sur son ancien territoire, allant de ses ventes de gaz à Kiev à ses importations de produits ukrainiens. Des arguments de poids, alors que l'Ukraine est empêtrée dans une crise économique qui la rend particulièrement vulnérable.

Présidentielle de 2015

Ainsi, lorsque la Russie a sommé Viktor Ianoukovitch de ne pas céder aux sirènes de l'Europe, le président ukrainien, candidat autoproclamé à sa succession en 2015, n'a eu d'autre choix que de s'exécuter. "Le président ukrainien, qui sait qu'il sera jugé sur son bilan économique, ne peut se permettre de se priver du soutien politique et financier de Moscou", souligne Alexandra Goujon. "Or, nombre de partisans pro-européens y ont vu le non-respect de sa promesse d'ouverture sur le Vieux Continent et sont de fait descendus dans la rue", ajoute la spécialiste de l'Ukraine.

Si le non infligé vendredi à l'Europe a servi d'électrochoc, les leaders de l'opposition ont depuis élargi leurs revendications. Ils réclament désormais la chute du gouvernement ainsi que la libération d'opposants, dont celle de l'ancienne Premier ministre Ioulia Timochenko, emprisonnée depuis deux ans. "Pour certains, la mobilisation a clairement servi de prétexte dans leur lutte contre le gouvernement", remarque Georges Mink.

Au sein de l'opposition également, la présidentielle de 2015 est dans toutes les têtes. Les trois leaders, le libéral Arseni Iatseniouk, le nationaliste Oleg Tiagnibok et le boxeur Vitali Klitschko, cachent à peine leur volonté de provoquer l'organisation d'un scrutin anticipé, même s'ils ne sont pas encore tombés d'accord sur une candidature unique. Si ce dessein est encore vain, les opposants peuvent au moins se targuer d'avoir porté un coup très dur à la popularité du président Ianoukovitch.

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Commentaires (10)

  • pygargue

    Ianoukovitch a renversé le gouvernement de Ioulia Timochenko et de Viktor Iouchenko, donc il a pris le pouvoir avec l'aide du tovaritch poutine Quand on fait voter des morts ou des personnes inexistantes sur les listes électorales, il n'y a rien de démocratique. Point. Mieux, des russes venus de russie en cars pour voter "légalement" dans des élections Ukrainiennes.
    Poutine est un nostalgique de l'URSS et fera tout pour récupérer ses satellites perdus, la Géorgie en a fait les frais avec l'ossetie du sud soudainement devenue russe ou l'abkazie. Russifiée d'urgence.

  • pygargue

    On l'a vu en Géorgie, 1/3 de leur territoire occupé par l'armée rouge, on verra aussi que l'Ukraine sera la prochaine cible russe, les soviets en ont la triste habitude. Quand ils ne réussissent pas diplomatiquement ils cognent.
    Poutine est un expert es chantage, a du sang est-allemand sur les mains.
    @ dur l'hiver : ces adorateurs de la Russie n'ont sans doute pas vécu la-bas assez longtemps ou vu grand chose de l'Europe de l'est, proposons leur un voyage sans retour, ils seront heureux de gouter à la mafia érigée en institution nationale.
    Je suis allé faire 10 000 kms en voiture dans les pays de l'est en 1991 avec un ami, juste avant la chute de l'URSS, on ne peut pas dire que les Polonais, Tchécoslovaques, Hongrois, ex Allemands de l'est, tombaient en adoration devant les russes, plutôt le doigt et le bras d'honneur bien haut devant les troupes soviétiques qui commençaient à débarrasser leur plancher. Le dégoût du soviet était bien présent, y compris chez les Ukrainiens d'Uzgorod, ville frontalière avec la Slovaquie. Vladimir Illitch peut se la raconter, il n'y changera rien de rien, il n'est qu'un tout petit bonhomme face aux humains qui veulent leur liberté et vivre avec l'Europe, même si celle- ci est actuellement malade, en voie de guérison.

    L'ère soviétique est donc revenue et les Ukrainiens n'en veulent plus, Ianoukovitch a trompé l'Europe et en bon aparatchik soviétique préfère le lit de poutine.

  • edgar

    Je ne vois aucune raison (bonne ou mauvaise) pour laquelle l'U. E veut à tout prix le rapprochement de l'Ukraine avec notre salmigondis de pays. Qu'avons nous à y gagner ? Vraiment si quelqu'un ou Le Point pouvaient éclairer ma lanterne.