Porte de Vincennes à Paris : "On se dit, à qui le tour maintenant ?"

Porte de Vincennes à Paris : "On se dit, à qui le tour maintenant ?"
Des personnes se recueillent porte de Vincennes après la prise d'otages dans un supermarché casher qui a fait quatre morts. (KENZO TRIBOUILLARD/AFP)

Recueillement, peur et discussions enflammées, samedi, devant le supermarché casher où la prise d'otages d'Amedy Coulibaly a coûté la vie à quatre personnes.

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Une à une, les fleurs sous cellophane s’empilent devant la barricade. Sur plusieurs dizaines de mètres à la ronde, les lieux sont cadenassés, des dizaines de policiers déployés pour empêcher l’accès au supermarché casher du 21 cours de Vincennes où voici 24 heures à peine, quatre personnes ont trouvé la mort, froidement abattues par Amedy Coulibaly.  

De l’autre côté du boulevard, des caméras de télévision sont déployées et une armada de journalistes venus de nombreux pays patientent. De part et d’autres du périphérique, des personnes tentent de s’approcher, repoussées par les policiers, prennent des photos avec leur téléphone portable, traces de sang sur un trottoir, bâtiment du supermarché. Au plus près du lieu, devant les gerbes, recueillis, certains se tiennent par le bras, visages baissés, yeux humides, silencieux.

"Nous sommes venus pour le vivre ensemble"

Paul et Marie, la cinquantaine, en loden, tiennent une rose : "On est venus pour saluer, rendre hommage aux anonymes qui sont morts ici. Ce ne sont pas des gens connus, des symboles de la liberté d’expression comme à 'Charlie Hebdo', mais ils ne doivent pas être oubliés… Pour eux, il n’y a pas eu de minute de silence. Nous sommes venus pour le vivre ensemble, pour dire non à l’antisémitisme. Pour être là".

Benjamin, 21 ans, et Laurine, 18 ans, deux jeunes salariés, sont eux venus spécialement de Compiègne, comme beaucoup, "pour se rendre compte." Ils sont émus : "C’est impressionnant. On a vu les images à la télévision hier, mais on voulait voir par nous-mêmes. Pas spécialement parce que c’était contre les juifs, mais parce que des gens sont morts, ça nous touche."

Dimanche, ils reviendront pour participer à la grande marche parisienne place de la République. On aperçoit ici et là quelques kippas, comme celle de Samuel, commerçant, venu dire sa colère, sa peur : "C’est la première fois depuis la Seconde guerre mondiale que les synagogues sont fermées ! Les gens étaient juste là pour faire leurs courses, avec leurs enfants avant le shabbat, après Toulouse, après Bruxelles, aujourd’hui ce n’est plus la peur, c’est au-delà !" 

"Nous sommes tous des Charlie"

"Nous sommes en danger parce que la France intervient à l’étranger, la guerre se transporte jusqu’ici", estime Raymond, 74 ans. Ce catholique pratiquant, syndicaliste, est venu rendre hommage aux victimes et dire sa colère contre "tous les extrémismes". A côté de lui, un représentant de l’Union des étudiants juifs de France s’emporte : "Nous sommes tous des Charlie, mais nous en avons assez d’être pris pour cible, on se dit, à qui le tour maintenant, on est au-delà de la peur, je comprends que des juifs aient envie de quitter la France !"

A quelques mètres de la barricade où s’accumulent peu à peu fleurs et bougies, un peu partout, sur le trottoir, de petits groupes se forment et discutent, discutent. Parfois même, les voix s’emportent : "C’est aux musulmans de s’adapter à la République", entend-on, ou bien "Moi je suis contre Zemmour". Il est question de racisme, d'antisémitisme, du conflit israélo-palestinien… "J’étais venu pour me recueillir, rendre hommage comme je l’ai fait à 'Charlie Hebdo' hier, mais ici, ce n’est pas l’atmosphère", regrette Olivier, 28 ans, ingénieur du son, issu d’une famille juive. "J’espère du fond de moi-même que ces assassinat vont donner l’occasion d’un sursaut de fraternité et pas d’avantage de haine encore".

En fin de journée, le rassemblement comptait plusieurs milliers de personnes. Dont Manuel Valls, arrivé vers 19h30. Le Premier ministre a observé une minute de silence, puis il a assuré que "la France, sans les juifs de France, n'est plus la France".

Véronique Radier

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