Articles récents \ Culture Sophie Deschamps : «le grand macho c’est l’Etat»

Sophie Deschamps est scénariste, auteure de théâtre et présidente de la société des Auteurs et Compositeurs dramatiques (SACD). Rencontre avec une femme en colère contre le rôle que jouent ou plutôt que ne jouent pas les femmes dans la culture. Car elles sont si peu lues, si peu entendues, si peu mises en scène, si peu jouées …

Que pensez-vous de la place qu’occupent aujourd’hui les femmes dans la culture ?

La place des femmes dans la culture est un vrai déni de justice. La SACD a dénoncé ce fait dans une brochure .

Au XIX ème siècle, on a retiré des femmes des livres scolaires, des compositrices ont disparu comme par exemple Augusta Holmès (1) qui était à son époque une « star ». Les femmes ont été éradiquées de la culture. Depuis lors, ce n’est pas un plafond de verre mais une chape de plomb qui pèse sur les carrières des femmes. La loi sur la parité est certes votée, mais au rythme des nominations cela va prendre des années pour rétablir l’équilibre.

Les violences faites aux femmes sont des drames sociaux, mais la question des violences n’est pas l’unique problème de l’égalité entre les femmes et les hommes, il ne faut pas que les actions menées contre les violences faites aux femmes deviennent l’arbre qui cache la forêt.

Les femmes font des carrières en pointillé, qu’elles soient chef d’orchestre, compositrices, réalisatrices, autrices etc. On a aussi remarqué que les femmes ont moins de subventions que les hommes quand elles sont nommées à ;la direction d’un établissement public.

L’égalité des chances entre les femmes et les hommes dans les métiers de la culture n’existe pas.

L’avenir doit apporter plus d’égalité. Nous voulons les mêmes chances pour nos enfants. Pourquoi une fille qui a fait des études de cheffe d’orchestre aurait 0% de chance de travailler ?

Et pour vous, quel rôle joue l’Etat dans cette situation catastrophique ?

La place des femmes dans la culture subventionnée est nulle. Le grand macho c’est l’Etat. 

Il y a trois ans, pour la première fois, une étude révélait que dans les établissements publics (théâtre, opéras..), 85% des directions se déclinaient au masculin et que seules 15% d’œuvres de femmes étaient jouées ! Et la situation ne s’améliore pas.

Personne ne s’étonne qu’un Centre Dramatique National (CDN) ne programme que des hommes. Imaginez le scandale si un CDN ne programmait que des femmes !!

Et puis, selon les règles, un CDN ne peut être dirigé par la même personne plus de onze ans. Mais les hommes restent plus longtemps à leur poste, cela donne encore moins de chance aux femmes.

On a ouvert des écoles audiovisuelles, de théâtre, de cinéma, des conservatoires mais pourquoi faire ? Aujourd’hui, un grand nombre de femmes sortent de ces écoles mais ensuite s’évaporent, étant donné qu’elles ne sont employées qu’à 15%.

A la SACD, il y a 30% d’auteures en spectacle vivant et en audiovisuel. Et pourtant les écoles sont paritaires, quand elles ne sont pas largement féminines. Cela donne la mesure de la difficulté pour les filles d’entrer dans les métiers.

Après la sortie des rapports de Reine Prat (2), rédigés à la demande du ministre de la Culture de l’époque, rien ne s’est passé.

La culture est un secteur en expansion grâce au numérique, entre autres. Or le budget de la culture ne fait que décroître. L’époque où il représentait 1% du budget de l’Etat est loin. L’Etat réduit sans cesse son apport dans ce secteur essentiel à la vie des citoyen-ne-s, à la diversité. Réduire le budget de la culture est une erreur absolue par rapport à l’avenir.

Réduire les budgets ne réduit pas le coût des structures mais bien celui de la création et de la diffusion. Il faudrait différencier les subventions nécessaires aux structures et celles nécessaires à la création et à la diffusion des œuvres.

Quelles sont les propositions de la SACD pour un meilleur accès des femmes aux responsabilités et à la visibilité des femmes dans la culture ?

Nous demandons au gouvernement de créer un observatoire de la culture. Il faut une prise de conscience. Il faut faire des études annuelles.

Il faut que le ministère de la Culture, le CSA, les collectivités territoriales etc. veillent à ce que les directions se féminisent et exigent que tous les jurys et conseils d’administration soient paritaires.

On travaille en direction du public. Une œuvre d’art est un point de vue sur le monde. Si on ne donne à voir, à travers la culture, que des points de vue masculins, on donne à voir des points de vue masculins sur le monde.

Il faut des points de vue féminins dans la création et dans tous les domaines. L’égalité des chances, c’est aussi l’égalité des points de vue, des expressions et des directions.

 

Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine

1 Augusta Holmès est une célèbre compositrice française du XIX éme siècle. Elle est l’autrice de très nombreuses pièces de musique dont plusieurs opéras joués à l’opéra de Paris.

2 Reine Prat a rédigé un premier rapport en 2006 : «Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant. Pour l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation. »

Et un deuxième rapport en 2009 : «Arts du spectacle. Pour l’égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique. De l’interdit à l’empêchement.»

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