Rosetta et Philae : une enthousiasmante feuille de route pour 2015 !

Jean-Pierre Bibring, coresponsable scientifique de Philae, dévoile le programme de la mission européenne historique pour cette nouvelle année.

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Rosetta et Philae ont un programme chargé pour 2015.
Rosetta et Philae ont un programme chargé pour 2015. © NASA/JPL

Temps de lecture : 6 min

À l'aube de cette nouvelle année, Le Point.fr a pris le pouls de Rosetta et de son compagnon Philae. En 2014, la mission européenne est devenue historique en réussissant le premier atterrissage sur une comète. En 2015, la sonde européenne et son robot-laboratoire feront encore à coup sûr beaucoup parler d'eux. Jean-Pierre Bibring de l'Institut d'astrophysique spatiale (université Paris-Sud Orsay/CNRS), également coresponsable scientifique de l'atterrisseur Philae, livre et commente pour vous leur programme pour les douze mois à venir...

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Le Point.fr : Avant toute chose, qu'est-ce que Philae et Rosetta nous ont déjà permis d'apprendre sur la comète Tchouri, sur la formation du système solaire ou encore sur l'origine de la vie ?

Jean-Pierre Bibring : Alors que la comète est encore loin du Soleil, et que son exploration ne fait que commencer, Rosetta nous a déjà révélé un grand nombre de ses propriétés, comme sa masse, sa densité, sa structure de surface, et la composition d'un grand nombre de molécules de son environnement immédiat. De nombreux résultats, en débat dans la communauté, vont paraître très bientôt dans des revues scientifiques. Il en est de même pour Philae, qui a procédé à des mesures totalement inédites. Le fait qu'il ait rebondi nous a appris beaucoup sur les propriétés de la pellicule de glace de sa surface, beaucoup plus solide qu'on ne l'avait envisagé ; il nous a également permis de suivre l'évolution de certaines propriétés sur plusieurs centaines de mètres. Par exemple, Philae a pu mesurer le champ magnétique local, et montrer que le matériau cométaire était parfaitement non magnétique. Cette information, pour ne citer qu'elle, renvoie directement aux processus responsables de l'accrétion de matière à l'origine de la formation des planètes : contrairement à une idée assez répandue, les propriétés magnétiques des grains n'ont probablement joué aucun rôle. Beaucoup d'autres résultats sont en cours d'analyse, et des conclusions définitives ne sont pas encore possibles. Par exemple, en ce qui concerne la question de l'origine de la vie, que cette mission doit éclairer, nous sommes en train de coupler les résultats obtenus par les instruments de la sonde Rosetta avec ceux de Philae, du point de vue des composés organiques.

En dépit de l'échec du forage tenté à la dernière minute par Philae, vous avez donc tout de même eu accès à cette fameuse matière organique ?

Absolument. En se posant, à une vitesse assez élevée, voisine de 1 m/s, Philae a soulevé un nuage de matière, composé majoritairement de composés organiques. Une partie de ceux-ci, alors même que Philae a rebondi, sont venus remplir de petits creusets, prévus pour recueillir du matériau cométaire, au sein desquels ils ont pu être analysés par deux instruments dédiés munis de spectromètres de masse. Un grand nombre de composés ont été identifiés, au travers d'une analyse qui se poursuit aujourd'hui, en comparaison avec ce qui a été mesuré en orbite. Bien entendu, nous attendons de pouvoir ensuite prélever, par forage sous la surface, d'autres échantillons et de les soumettre à des analyses encore plus poussées, dès que Philae sortira d'hibernation.

Que peut-on dire du programme de Philae pour cette année 2015 ?

Tout d'abord, nous sommes en train d'accélérer le processus d'identification du lieu où se trouve Philae. Les éléments dont nous disposons nous donnent une idée assez précise d'où il devrait être. Pour autant, nos tentatives de repérage de Philae sur des images prises depuis Rosetta n'ont pas encore été concluantes. Si Philae se trouve bien dans la zone où nous pensons qu'il est, c'est un endroit situé dans l'hémisphère sud, où se profile l'été local, ce qui est favorable du point de vue de l'ensoleillement. Assez rapidement, le Soleil devrait passer au-dessus de l'horizon fabriqué par les falaises auprès desquelles Philae s'est stabilisé et qui, par l'ombre qu'elles procurent, n'ont pas permis de fournir l'énergie nécessaire à la poursuite immédiate des opérations. En revanche, elles pourraient nous permettre de travailler plus longtemps, c'est-à-dire plus près du Soleil, car autant Philae est sensible aux basses températures, autant il ne supporte pas d'être trop chaud : l'ombre pourrait s'avérer alors très bénéfique. Pour l'instant, c'est le froid qui est préoccupant. Dès que nous estimerons que Philae reçoit suffisamment de Soleil, nous devrions tenter de le réveiller et vérifier qu'il a bien supporté cette phase d'hibernation : il ne faudrait pas que la température à l'intérieur de Philae soit descendue en dessous de - 80 °C, car sinon une partie des systèmes électroniques pourrait s'être détériorée.

Ce réveil, initialement annoncé pour le début de l'été, devrait donc désormais intervenir au mois de mars ?

Pour redémarrer l'ordinateur, remettre tous les systèmes de Philae en fonction, puis pouvoir faire quelques opérations scientifiques, il nous faut environ 3 fois 5 watts. Il en avait 5 à la mi-novembre. Tant que l'on ne sait pas exactement ni où Philae se trouve ni la géométrie précise des falaises qui l'entourent, il est très difficile de faire une évaluation rigoureuse du bilan énergétique disponible. Cela peut se produire à partir du mois de février comme, si l'on a moins de chance, quelques semaines, voire quelques mois plus tard. Mais Philae se réveillera !

Une fois réveillé, que comptez-vous lui faire faire ?

D'abord, nous allons étudier son état général, pour évaluer ses performances et capacités après hibernation. Puis, l'un après les autres, les différents systèmes et instruments vont être mis en route, à commencer par les caméras. Et, dès qu'on le pourra, nous envisagerons de refaire un forage. Pour cela, nous allons abaisser notre système pour le rapprocher au maximum du sol. Tous les instruments à bord peuvent être actionnés à nouveau, à l'exception d'un seul, qui l'a déjà été pour mesurer la variation de la température en fonction de la profondeur. On pourrait même tenter de lancer les harpons eux-mêmes, si cela s'avérait nécessaire, pour tirer sur des cordes qui leur sont attachées, pour rapprocher encore davantage Philae de la surface. Ce qui est remarquable, c'est que les images prises par les caméras CIVA indiquent que l'endroit où se trouve Philae est tout particulièrement intéressant. On y décèle une grande diversité de terrains, de structures, de matériaux, dont des blocs de glace très sombre chargée des composés organiques que nous espérons identifier et caractériser. Ils pourraient correspondre aux blocs primordiaux à partir desquels l'ensemble du noyau cométaire s'est formé, lors de l'effondrement du nuage ayant conduit à l'apparition du système solaire. Ces blocs, formés il y a quelque 4,6 milliards d'années et qui constituent notre Graal, sont là, devant Philae, accessibles ! Autant dire que nous attendons avec impatience le moment où nous pourrons les analyser !

Quid de Rosetta ?

La sonde va continuer d'accompagner sa comète jusqu'au périhélie (le point de son orbite le plus proche du Soleil qui devrait être atteint début août 2015, NDLR), puis au-delà, le tout en changeant d'orbite entre 20 et 30 kilomètres de distance environ, plus lorsque la comète deviendra plus active. Mais elle fera aussi des survols plus proches pour mener des analyses à proximité du noyau de la comète. Tout cela va évoluer dans le courant de l'année en fonction du degré d'activité de la comète. Nous adapterons l'orbite de la sonde afin de ne pas lui faire prendre de risques. Car s'il est pour l'instant prévu que Rosetta fonctionne jusqu'à la fin 2015 pour analyser le noyau cométaire, la mission pourrait être étendue en 2016.

Est-il vrai que l'Esa envisage, à terme, de tenter de poser sa sonde sur la comète ?

Personne, pour le moment, n'envisage la forme que prendra la fin de la mission. Ce sera fonction des ressources, surtout du carburant, qui resteront, de ce qui aura été accompli, de ce qui restera à faire. Quand Rosetta se retrouvera à court de carburant, on peut effectivement imaginer descendre vers le sol pour faire quelques dernières mesures à la manière d'une sonde kamikaze, mais il est vraiment très prématuré de poser cette question. Le moment venu, il sera temps de décider le plus sensé à faire...


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Commentaires (3)

  • avenir

    Une preuve que l'humanite, une partie en tout cas, , est capable de se depasser elle-meme.
    Tout n'est pas perdu. Il faut soutenir cette volonte de comprendre le monde dans lequel nous vivons. Cela nous servira a nous debarasser de l'obscurantisme toujours present dans la tete de trop de personnes. En fin de compte, l'esprit scientifique est la seule possibilte de salut.

  • mlingnieur

    Faramineux et époustouflante la manière dont le scientifique vulgarise l'affaire comme s'il s'agissait d'une toute simple petite expérience de laboratoire !

  • Photo73

    Un vrai roman à suspens ! De nombreuses informations ont déjà été acquises, de nouvelles à espérer. Passionnant comme projet.