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Attentats : 4 questions sur une couverture médiatique hors normes

Mise en danger d’otages, perturbation du travail de la police… les reproches faits aux médias sont nombreux

Par  et

Publié le 13 janvier 2015 à 21h04, modifié le 19 août 2019 à 13h48

Temps de Lecture 6 min.

L’équipée meurtrière des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly a généré une couverture médiatique hors normes. Depuis le 7 janvier, l’information en continu a fait un pas de plus dans sa généralisation, TF1 et France 2 ayant « cassé » leur antenne pour suivre les événements. Le nombre de sites nourrissant des « live » a encore crû, suscitant une mobilisation sans précédent des équipes Web et papier des médias français.

Cette intensité et le scénario des attaques, avec la réaction en parallèle des forces de l’ordre, a suscité un flot de critiques. Si les responsables de médias interrogés ont le sentiment d’avoir dans l’ensemble bien travaillé, la « séquence » a de nouveau montré les dangers de l’information à haute vitesse, notamment la collision possible avec le travail des policiers. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a d’ailleurs convié, jeudi 15, les médias à une réunion de débriefing pour en discuter. Une première.

  • Les médias ont-ils mis en danger la vie d’otages ?

C’est une des accusations les plus graves : des spectateurs ou des policiers reprochent à certaines chaînes d’avoir évoqué des otages qui étaient en fait cachés, leur faisant courir un risque.

Ainsi, vendredi 9 janvier, France 2 a diffusé un témoignage de la sœur d’un « otage présumé » dans l’imprimerie de Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne), Lilian Lepère, comme l’ont relevé « Arrêt sur images » et Télérama.fr. On apprendra plus tard qu’il était caché sous un évier, à l’insu des frères Kouachi. Interrogée par la journaliste Elise Lucet, cette sœur dit à propos de « l’otage » : « On arrête de l’appeler pour pas que, s’il est caché, cela perturbe sa planque. » Elle affirme aussi ne pas être en contact avec les autorités.

Thierry Thuillier, directeur de l’information de France Télévisions, estime : « On ne peut pas dire que nous avons mis en danger le frère de cette personne. » « A partir du moment où, après la première question, on comprend que la sœur est sans nouvelles de son frère et qu’elle dit cesser de l’appeler pour éviter de le compromettre s’il est caché, on change l’angle de la conversation à l’antenne », assure-t-il, ajoutant que la chaîne a mis la sœur en contact avec la police.

M. Thuillier rappelle que, ce matin-là, « beaucoup de médias parlent d’un ou plusieurs otages » à l’imprimerie. En effet, de l’AFP au Monde.fr en passant par radios et télés, on évoque de possibles otages, même parfois après la libération, à 10 h 20, du directeur de l’imprimerie, Lilian Lepère restant, lui, caché, ce que les médias ignoraient.

Un autre cas a visé BFM-TV. Samedi soir, dans une scène inhabituelle, une femme présentée comme la compagne d’un des otages d’Amedy Coulibaly a lancé : « Vous avez failli faire une grosse erreur, BFM. Vous étiez en direct avec les gens qui étaient dans la chambre froide. Ils vous ont dit qu’ils étaient six en bas, avec un bébé. Et deux minutes après, c’est passé sur BFM. Et le terroriste a regardé BFM… Heureusement qu’il n’a pas vu la bande, sinon mon mari et les cinq autres étaient morts. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Fallait-il passer certaines images violentes ?

La chaîne n’a « jamais été en contact avec les gens retenus en otage dans la chambre froide » et n’a jamais mentionné leur existence dans un bandeau à l’écran, a répondu Hervé Béroud, directeur de la rédaction. BFM-TV reconnaît que le journaliste Dominique Rizet, en plateau, a évoqué une femme qui se serait cachée dans une chambre froide, une fois. « Mais il l’a fait parce qu’il était en contact avec une personne du RAID sur place, qui lui avait dit que ces personnes n’étaient plus en danger », selon M. Béroud.

 

Pourtant, la mention à l’antenne est passée à 14 h 58, soit deux heures avant l’assaut, et M. Rizet disait alors que les équipes d’intervention étaient « en train de s’équiper ». Elles n’étaient pas entrées dans le supermarché. Il semble difficile de savoir si les otages de la chambre froide étaient alors protégés. L’Express.fr a reconnu avoir un temps donné la même info, et ajouté : « Nous n’aurions pas dû. »

Le preneur d’otages regardait-il BFM-TV ? Apparemment oui : « Il a voulu BFM. Il était intéressé par cette chaîne, a raconté un otage à Libération. Comme la télé ne donnait pas toujours les bonnes infos, il s’est énervé. Il a dit : “Comment ça, il n’y a pas de morts ? Ils vont voir s’il n’y a pas de morts.” Il a appelé BFM et leur a demandé de changer leur bandeau. »

  • Fallait-il diffuser des propos des djihadistes ?

BFM-TV et RTL ont suscité du débat en racontant, après l’assaut, leur contact avec les tueurs. Vendredi, vers 19 heures, la chaîne a relaté ses conversations : « Le journaliste Igor Sahiri a appelé en début de matinée le numéro de l’entreprise où se seraient réfugiés les frères Kouachi, pour vérifier l’information, raconte Hervé Beroud. A sa surprise, c’est Chérif Kouachi qui lui a répondu. » La conversation a duré quelques minutes pendant lesquelles il a affirmé avoir été missionné par « Al-Qaida du Yémen » et revendiqué l’attentat contre Charlie Hebdo.

Vers 15 heures, c’est Coulibaly qui appelle le standard de BFM-TV. On passe le preneur d’otages à Alexis Delahousse, directeur adjoint de la rédaction de BFM-TV, dit la chaîne. L’échange dure quatre minutes. Coulibaly raconte qu’il s’est « synchronisé » avec les frères Kouachi et dit qu’il a fait quatre morts et détient dix-sept otages.

« Nous n’avons pas communiqué ces informations à l’antenne et nous avons prévenu les autorités, explique M. Béroud. Après l’assaut, nous avons pris soin de diffuser uniquement des informations nouvelles, en prenant soin de couper les éléments de propagande », précise-t-il. « Les éléments très forts d’information que contenaient ces entretiens méritaient que nous diffusions des extraits », justifie-t-il.

A RTL, on n’estime pas avoir relayé de la propagande en diffusant samedi matin un enregistrement d’Amedy Coulibaly recueilli vendredi en appelant l’épicerie : « Nous nous sommes posé la question, explique Philippe Baille, rédacteur en chef de la radio. Mais ce n’est pas un témoignage donnant la parole au preneur d’otages, plutôt un document. » Un document « encadré », ajoute M. Baille avec des explications et l’intervention de Gilles Kepel, spécialiste de l’islam. Reste la question, posée par certains confrères : n’était-il pas risqué de téléphoner sur un lieu de prise d’otages, comme l’ont fait beaucoup de médias ?

  • Les médias ont-ils gêné le travail de la police ?

Il y a eu plusieurs moments de friction avec les forces de l’ordre. Vendredi soir, François Molins, le procureur de la République de Paris, a regretté que l’identification des frères Kouachi, évoquée dans certains médias dès mercredi, ait privé les forces de l’ordre de « tout effet de surprise ».

Au moment des prises d’otages à l’imprimerie de Dammartin-en-Goële et de l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, vendredi, le CSA a d’ailleurs publié une note inhabituelle invitant « télévisions et radios à agir avec discernement, pour assurer la sécurité de leurs équipes et permettre aux forces de l’ordre de remplir leur mission ».

Vendredi, porte de Vincennes, certains se sont étonnés de la présence d’un cameraman de France 2 très près des forces de l’ordre. « Chacun est dans son rôle, la police est dans son rôle de nous demander de reculer si nous la gênons ou si nos journalistes sont en danger. Notre rôle est de rendre compte de ce qui se passe », estime Eric Monier, responsable de l’information sur France 2.

Plus tard, des policiers se sont plaints que des médias aient dit à l’antenne que l’assaut était imminent. Ils ont fait descendre des journalistes d’immeubles avec une vue directe sur le supermarché, de peur que les plans filmés donnent des indications à Coulibaly sur l’emplacement des hommes du RAID.

Au moment du dénouement, la police a demandé aux télévisions de filmer en plan large et de ne pas diffuser l’assaut en direct. Une invitation que les chaînes disent avoir choisi de suivre. Entre exigence de sécurité et droit à l’information, un équilibre instable.

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