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Analyse

Surveillance du Net : l'éternel jeu du chat et de la souris

Le Net a joué un rôle fondamental dans les événements de ces derniers jours. Ce qui a immanquablement remis sur le tapis le débat sur sa surveillance.

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Par Nicolas Rauline

Publié le 16 janv. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Mobilisation, hashtags #JeSuisCharlie, mais aussi #JeSuisKouachi, revendications d'Al Qaida et d'Amedy Coulibaly sur les plates-formes vidéo, pages Facebook et commentaires à la gloire des terroristes... Le Net a joué un rôle fondamental dans les événements de ces derniers jours. Ce qui a immanquablement remis sur le tapis le débat sur sa surveillance. Le gouvernement devrait ainsi prendre de nouvelles mesures pour renforcer les dispositifs existants. L'idée serait de mieux repérer les profils des djihadistes, de mieux suivre leur évolution, mais aussi de limiter et de sanctionner les appels à la haine et l'apologie du terrorisme et des crimes. Certains djihadistes ont en effet communiqué via Facebook ou d'autres réseaux sociaux pour recruter ou organiser leur départ vers la Syrie ou l'Irak. Et les messages de soutien aux attaques terroristes se sont multipliés sur Facebook ou Twitter, même si certains phénomènes ont été exagérés. La plupart des tweets reprenant le hashtag #JeSuisKouachi, par exemple, le faisaient pour dénoncer le phénomène, et non pour faire l'apologie des auteurs de la tuerie de « Charlie Hebdo ». « Le Web est un miroir déformant de la société. Là, tous les mauvais ingrédients sont réunis autour de tous les sujets sensibles de notre société : antisémitisme, islamophobie, rôle du gouvernement, place de l'école... Cela explique que le volume de commentaires et de contenus partagés ait été exceptionnel », affirme Jérémie Mani, qui dirige Netino, une société spécialisée dans la modération en ligne.

L'apologie du terrorisme et les appels à la violence, même lorsqu'ils sont lancés sur la Toile de manière anonyme a priori, ou lorsqu'ils sont visibles uniquement par ses amis sur Facebook, peuvent être sanctionnés de sept ans de prison et de 100.000 euros d'amende. « Rappeler les risques et les sanctions encourus, c'est la base, souligne un acteur du secteur. Si les services de police ou de gendarmerie intervenaient dans certaines conversations, directement sur les réseaux sociaux, en rappelant ces sanctions, cela aurait sans doute un effet dissuasif. »

Autre possibilité, qui apparaît aujourd'hui inéluctable : le renforcement des moyens techniques et humains mis à la disposition de la police ou de la gendarmerie. Aujourd'hui, la traque aux cyberterroristes et à ceux qui les encouragent est gérée, au plus, par quelques dizaines de personnes en France, dans des unités spécialisées de la police, de la gendarmerie ou du ministère de l'Intérieur. Les technologies s'améliorent, mais ces quelques dizaines de personnes doivent aussi gérer, entre autres, les fraudes et escroqueries sur Internet, la vente en ligne de stupéfiants, la contrefaçon...

Le leitmotiv des autorités reste la « responsabilisation » des plates-formes. Le gouvernement souhaiterait impliquer davantage encore les réseaux sociaux, sites de vidéos et autres applications, en mettant par exemple en place des systèmes de modération ou de filtrage a priori, ou en pouvant accéder plus rapidement aux données des utilisateurs impliqués, sans intervention d'un juge. Des pistes dont l'efficacité est discutée. Si le degré de « censure » s'élève, les internautes souhaitant réellement relayer ces contenus pourraient se tourner vers d'autres sites, où ils seraient plus anonymes que sur Facebook, Twitter ou Google +, par exemple.

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Le problème pourrait même s'être déjà déplacé. De plus en plus, les terroristes désertent les réseaux sociaux ayant pignon sur rue car ils savent que ceux-ci sont sous surveillance. Le scandale de la NSA en a apporté la confirmation. Ils postent leurs vidéos sur d'obscurs sites, basés dans des pays où l'action est difficile (Russie, Europe de l'Est, Asie centrale, Moyen-Orient...) et comptent sur le buzz qu'elles peuvent provoquer au-delà de l'audience limitée de ces sites. Elles sont alors relayées par des anonymes, n'ayant pour la grande majorité aucun lien avec les réseaux terroristes, sur les plates-formes majeures, YouTube, Dailymotion, Facebook ou Vimeo... Même retirées au bout de quelques minutes, elles y réapparaissent. Difficile d'agir réellement tant que la première mise en ligne n'est pas coupée. Ce qui pose la question d'une coopération internationale plus efficace. Les usages sont aussi en train de migrer vers des applications comme WhatsApp ou Snapchat, où la frontière est plus floue entre réseaux sociaux et communications interpersonnelles et dont le statut reste en suspens.

Dernier point, qui a son importance : les réseaux sociaux restent, dans bien des cas, des sources d'information pour les services de police. Comme lorsque, récemment, un djihadiste a oublié de désactiver la géolocalisation de son compte Twitter. Ses tweets ont, pendant quelques semaines, permis de retracer tous ses déplacements, rue par rue, et même permis d'identifier une cache... « Les services de police sont très mesurés, explique l'un des acteurs du secteur. Il ne faut pas sous-estimer leur efficacité : ils connaissent les profils qui posent problème. S'ils ne nous les signalent pas, c'est aussi parce que ce sont des mines d'informations pour eux. » Dans bien des cas, lorsqu'ils ont identifié une source d'information, les enquêteurs demandent même expressément aux acteurs du Net de ne pas retirer une vidéo ou de ne pas supprimer un compte sans les en avertir...

Un observateur conclut, un brin provocateur : « La seule solution efficace à 100 % serait un Internet fermé, où tout est verrouillé, tout est contrôlé par quelques fournisseurs de contenus agréés. Un système à la nord-coréenne, en quelque sorte. Est-on prêt à aller vers cela ? »

Les points à retenir

Deux problèmes distincts ont été mis en évidence par les événements des derniers jours : l'organisation en ligne des réseaux terroristes et le relais, voire l'apologie de leurs actions sur Internet.

La collaboration actuelle entre acteurs du Net et services de police ou de justice a montré ses limites.

Une surveillance accrue des réseaux sociaux pourrait avoir un impact limité, la menace s'exprimant surtout sur des sites sur lesquels les enquêteurs n'ont aucune emprise.

Journaliste au service High-Tech Médias Nicolas Rauline

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