
POLITIQUE - "Les banlieues sont sur le fil. Elles sont aujourd’hui plus que jamais, et plus que tout autre territoire, le révélateur et le théâtre de nos fractures, de nos impuissances, contradictions et faiblesses." Le constat est dressé par l'association Ville et banlieue qui regroupe les maires de 120 communes.
Les témoignages se sont effectivement multipliés d'enseignants et même d'élèves racontant des scènes dans les jours qui ont suivi les attaques à Charlie Hebdo et porte de Vincennes. Des paroles souvent récoltées en Zep. "Certains ont osé, ils l'avaient bien cherché", a ainsi rapporté au Le HuffPost une enseignante. RMC a évoqué le cas d'élèves qui ont refusé de respecter la minute de silence lors de la journée de deuil national jeudi dernier. Idem pour France Info ou Le Monde qui font état des difficultés de certains professeurs à faire respecter l'hommage. D'autres ont relayé "#Je suis Kouachi" sur les réseaux sociaux. Ailleurs, enfin, sont relatées des altercations entres adolescents qui appellent à faire respecter la laïcité et d'autres qui ne veulent pas qu'on caricature Mahomet.
Sur 200 incidents -liste non exhaustive- relevés par le ministère de l'Education nationale après les attentats de la semaine passée, Najat Vallaud-Belkacem a évoqué une quarantaine de signalements à la police, la gendarmerie ou la justice.
Quel est réellement l'ampleur de ce phénomène et comment les élus qui sont au plus près de cette jeunesse appréhendent-ils ces incidents? Pour tenter de le savoir, Le HuffPost a questionné plusieurs maires et leurs adjoints d'Essonne et de Seine-Saint-Denis, départements dans lesquels ont été faits nombre de ces reportages.
"Les parents ont été convoqués sur le champ"
A Clichy-sous-Bois, Ris-Orangis, Courcouronnes ou à Grigny, personne n'évacue le problème. Tous sont conscients que ces dérapages ont eu lieu et qu'il faut y faire face. "On ressent une forme d'interrogation et même d'd'échec car on se rend compte que les règles élémentaires de vivre-ensemble ne sont pas aussi partagées que nous pourrions l'espérer", lance Stéphane Raffalli, maire PS de Ris-Orangis. Là-bas, selon Le Parisien, un élève de 15 ans a fait l'objet d'un signalement.
A Courcouronnes, le maire UMP Stéphane Beaudet explique que sur les 2000 élèves des écoles primaires de sa ville, il a eu le signalement de trois enfants "qui ont dit que ce qui était arrivé à Charlie était bien fait". Rien ne lui est pour l'heure remonté des autres établissements scolaires. "Nous avons convoqué les parents pour savoir ce qu'il en était", précise l'élu, par ailleurs président des maires d'Ile-de-France.
Car il est persuadé que c'est dans l'univers familial qui ces débordements se sont construits. "Soit les parents disent trop des bêtises à table, soit ce sont peut-être des paroles entendues plus sérieusement dans l'entourage. On peut craindre aussi que ce soit de trop grandes libertés sur Internet qui confrontent ces enfants à ces discours. Dans ce cas, les parents sont également responsables et c'est à eux de fixer de nouvelles limites pour s'adapter aux loisirs de leurs enfants", ajoute le maire.
De "Je ne suis pas surpris" à "Le problème est plus profond"
"On ne peut que réagir négativement à ces incidents et il faut y répondre en ouvrant des espaces de dialogue avec ces adolescents, abonde son collègue de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein, lui-même enseignant. Ce sont des élèves, ils sont en position d'apprendre et d'écouter. Il ne faut surtout pas fermer la porte à la discussion pour leur rappeler les valeurs de la République, leur expliquer des notions compliquées comme la laïcité ou le blasphème."
"Là, on voit ces incidents en réaction aux attentats mais le problème est plus profond", pense Stéphane Raffalli dont la ville se penche sur la question du vivre-ensemble depuis de longues années. Une expertise indépendante a d'ailleurs été lancée il y a six mois pour savoir si les politiques éducatives de la ville "sont toujours adaptées à la demande sociale".
A Clichy aussi, le phénomène n'a malheureusement pas été découvert la semaine passée. "Je ne suis pas particulièrement surpris par ce qui s'est passé, reprend Olivier Klein. Déjà au moment de la publication des caricatures de Mahomet, nous avions dû faire face à des réactions très vives d'un certain nombre de personnes, y compris de jeunes. Ils estimaient que l'on n'a pas le droit de toucher au sacré. Cela se vérifie avec la couverture de cette semaine."
"Ça salit l'image des jeunes qui veulent réussir"
"Mais, ajoute l'élu clichois, même chez ces personnes, il n'y a qu'une infime minorité qui sont dans le 'c'est bien fait pour eux'". Alors, même s'il refuse de "minimiser ces incidents", il affirme qu'ils sont "très minoritaires". Il y a sur ce point, unanimité de tous les acteurs que nous avons pu interroger. "Il y a une minorité de jeunes qui ne se sentent pas compris et qui posent problème mais ce n'est pas la réalité des jeunes de Grigny", confirme Djelloul Atig, premier adjoint, chargé de la Jeunesse dans la ville d'où Amedy Coulibaly est originaire.
Plus largement, ces élus dénoncent une nouvelle stigmatisation de leurs villes et des leurs habitants. "Grigny n'avait pas besoin de ça pour avoir une mauvaise image", se désole l'élu qui veut croire que "ces incidents ne sont pas propres à Grigny, ni propres aux villes de banlieue". "Ces incidents se sont déroulés dans tout type d'établissement et sur tout le territoire. Ils ne sont pas le propre d'une cité, ni même d'un département", a confirmé sur RTL Najat Vallaud-Belkacem qui n'exclut pas de publier une carte des incidents pour mettre fin à certains clichés.
Attentats en France : "1 jeune sur 5 croit à la...par rtl-fr
En clair, la ministre veut éviter que ces territoires déjà en difficultés ne soient de nouvelles victimes de ces attentats. "Tout ce qui tend à faire penser que la radicalité s'exprime plus ici qu'ailleurs n'est pas bon, confirme Olivier Klein de Clichy-sous-Bois. Faire un cas particulier une généralité, ça ne reflète pas la réalité du terrain."
D'autres élus pensent avant tout aux habitants de ces villes, particulièrement les plus jeunes. "Les victimes collatérales de tout ça, ce sont évidemment les quartiers populaires car les terroristes visaient à déstabiliser nos compatriotes musulmans qui pratiquent la République et concilient leur foi avec les valeurs républicaines", estime Stéphane Raffalli de Ris-Orangis. "Mettre ces paroles en avant, ça ne fait que salir l'image des jeunes qui sont dans la réussite", ajoute Djelloul Atig. "La veille des attentats, nous avons organisé une soirée pour les féliciter les jeunes diplômés de la ville. Il y a avait un journaliste pour 200 jeunes. Depuis les attentats, il y a 200 journalistes pour un dérapage", se désole l'élu.