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Récit

Le crédit à la consommation, bon plan des jihadistes

Les attentats de janvier 2015 en Francedossier
En contractant un prêt chez Cofidis pour financer ses attentats, Amedy Coulibaly n'a fait qu'appliquer une technique bien connue des jihadistes. Le manque de vérification des sociétés de crédits à la consommation pose question.
par Guillaume Gendron
publié le 16 janvier 2015 à 13h10
(mis à jour le 16 janvier 2015 à 16h49)

Comme l'a révélé La Voix du Nord mercredi, Amedy Coulibaly, l'auteur de la tuerie de l'épicerie casher de la Porte de Vincennes, a contracté un prêt de 6 000 euros début décembre auprès de la société Cofidis, spécialisée dans les crédits à la consommation.

Une somme qui a peut-être aidé le terroriste et les frères Kouachi à finaliser leur budget avant leur passage à l'acte. «J'ai aidé dans son projet [un des frères Kouachi] en lui donnant quelques milliers d'euros pour qu'il finisse à boucler ce qu'il avait à acheter», avait déclaré Coulibaly dans la vidéo où il revendique les attentats.

Coulibaly «employé» par une filiale de la RATP sans salarié

Sur sa demande de prêt publiée par La Voix du Nord, Amedy Coulibaly se présente comme un «chef de projet» pour Naxos, une société domiciliée à Noisy-Le-Grand. Selon le quotidien régional, le numéro de téléphone de l'employeur fourni par Coulibaly n'est pas attribué. En revanche, l'adresse est bonne, et si Naxos n'a pas de numéro de téléphone, la société existe bel et bien : il s'agit de la filiale télécom du groupe Telcité/RATP, domiciliée dans un bâtiment de la régie autonome des transports parisiens.

Contactée par Libération, une salariée de Telcité explique que Naxos n'a aucun salarié (ce qu'une simple recherche sur le site Societé.com confirme) et qu'il arrive très régulièrement que «des organismes de crédits nous appellent pour vérifier les dossiers de personnes se disant employées par Naxos. On dément à chaque fois évidemment. C'était d'ailleurs une surprise pour nous de voir que son dossier a été accepté par Cofidis en mentionnant Naxos, car cette technique commence à être connue…»

Elle ajoute aussi que Telcité avait démenti l'appartenance de Coulibaly à Naxos il y a quelques semaines auprès d'un autre organisme de crédit, Crédipar, une filiale bancaire du groupe PSA Peugeot Citroën, qui n'a pas souhaité confirmer cette information.

Inquiet de laisser des dettes après sa mort

En mai 2010, Amedy Coulibaly est interrogé par les enquêteurs sur une conversation qu'il a eue avec Djamel Beghal, «l'émir» qui l'a initié à l'islam radical lors de sa détention à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Le futur terroriste s'inquiète à l'idée de ne pas pouvoir liquider ses créances avant de mourir. «Le prophète dit que le seul truc qu'il ne faut pas laisser derrière soi quand on part, c'est les dettes. On peut laisser des pêchés mais surtout pas des dettes.» Beghal, qui trouve réponse à tout, lui explique après quelques balbutiements qu'il y a «des circonstances où l'on peut partir avec des dettes».

«Les dettes, ça concerne pas la situation actuelle, ça concerne la situation quand on est dans une société accomplie, quoi», avance Beghal. Plus tard, il définit la «société accomplie» comme un état islamique. «Là oui, on demande même la permission du créancier, comme on demande la permission des parents. Mais dans la situation actuelle, non. Parce que les circonstances sont autres (...) c'est Allah qui s'en chargera pour les payer, quoi», tranche-t-il.

Une pratique courante dans les milieux jihadistes

Les crédits à la consommation sont pourtant considérés comme de «l'usure» dans les interprétations littéralistes du Coran, soit l'un des plus grands péchés de l'islam. A moins d'être vus comme du «butin», comme l'explique le journaliste David Thomson dans son livre Les Français jihadistes, paru en mars 2014.

Dans un chapitre intitulé «Un crédit consommation pour le jihad», David Thomson note à quel point cette pratique est courante chez les apprentis moudjahidin, qui s'appuient sur des «lectures sur Internet», lesquelles «soutiennent que ce n'est pas du vol car il est permis de prendre les biens des mécréants pour un but lié au jihad». Certains jihadistes l'apparentent même à une vengeance contre «ces établissements bancaires [qui] ont poussé leurs familles au surendettement à coups de "crédits conso" répétés».

«Dans les textes saints, le butin s'inscrit dans la tradition des razzias du prophète, strictement codifiées. Des règles interprétées à leur façon [par les jihadistes], en ciblant les organismes de crédits à la consommation tels Sofinco et Cofidis, bailleurs bien involontaires du jihad en Syrie», écrit le journaliste.

«L'arnaque est d'une simplicité désarmante», explique-t-il en reprennant le témoignage de Yassine, un Français préparant son départ pour la Syrie : «On est associés avec des frères qui ont une société donc ils ont plus de facilités. On fait des emplois fictifs, avec des fausses fiches de paie, on grossit les salaires, et on ouvre des comptes dans des banques différentes. Comme ça, on lance toutes les procédures en même temps. On multiplie les crédits. On prend le liquide, et c'est bon, après on part. C'est ça le butin de guerre. Et c'est halal tu vois !»

Contacté par Libération, Cofidis se refuse à tout commentaire.

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