“Charlie” : le CSA convoque les médias... et ça ne fait même pas mal

Jeudi 15 janvier, télés et radios étaient convoquées par le président du CSA, pour revenir sur le traitement médiatique des crimes terroristes. On attendait des remontrances. Il y eut des conversations. Récit.

Par Aude Dassonville

Publié le 16 janvier 2015 à 10h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h27

Tout ça pour ça ! Quatre heures de réunion pour déboucher sur… euh, sur quoi, donc ?

Le CSA avait solennellement décidé de « convier les télévisions et les radios assurant une fonction d’information à une réflexion commune sur les questions et les difficultés qui ont pu être soulevées par l’accomplissement de leur mission » , lors de la couverture des attentats des 7, 8 et 9 janvier, la traque et les prises d’otages qui ont suivi.  

Jeudi 15 janvier à 15 heures, ils étaient tous là  : les présidents, les directeurs, les directeurs de l’information, les chargés des relations institutionnelles... Une quarantaine de personnes assises sagement autour de la table. Et chacun, dans un ordre respectant scrupuleusement la hiérarchie – on est au CSA d’Olivier Schrameck, assez sensible au sujet – a raconté son expérience.

Le CSA avait dit qu’il voulait examiner « contradictoirement, les manquements qu’auraient pu commettre certains de ces médias ». On s’attendait donc à ce que les convoqués se fassent gaillardement taper sur les doigts pour certains dérapages repérés. Hé bien non. « Olivier Schrameck a ouvert la séance en rappelant que le CSA était une instance de régulation, mais aussi “la maison des médias”. La réunion n’était donc pas organisée dans un but de confrontation, mais pour partager ses expériences », nous explique le directeur de la rédaction de France 24 Marc Saikali.

« Olivier Schrameck a passé la parole à son directeur général, qui a exposé, en un quart d’heure environ, ce qui s’est passé la semaine dernière en cinq points : l’assassinat du policier et les images qui ont été diffusées ; la traque elle-même, et la nécessité de donner les noms des frères Kouachi ou pas ; les prises d’otages de Dammartin et Vincennes ; les assauts et la question de savoir s’il fallait dire qu’ils étaient imminents, les filmer ou pas ; enfin, les témoignages qui ont suivi une fois les assauts donnés, détaillle le directeur d’Europe 1 Fabien Namias. Puis Olivier Schrameck a donné la parole à chacun des présents. Il n’y a eu aucune remontrance, ni aucune interpellation directe. » Ouf !

Du coup, détendues du micro, les personnes convoquées – pardon invitées – ont échangé en toute quiétude leurs expériences. Fabien Namias s’est demandé que faire quand un élu dérape « Le député Yves Albarello a, sur l’antenne d’Europe1, révélé la présence de la personne cachée dans l’entreprise où s’étaient réfugiés les frères Kouachi. C’est notre responsabilité puisque ça s’est passé sur notre antenne ; mais c’est une responsabilité qui nous échappe aussi, car elle appartient à la personne qui prononce ces phrases ».

Manque d'interlocuteur dans la police

Les uns et les autres ont aussi pointé le manque d’interlocuteur unique du côté des autorités et des policiers peu organisés dans leur relations aux médias. « On a découvert qu’ils n’avaient même pas les numéros de téléphone des directeurs de l’info de TF1 et de France 2 ! », souligne un conseiller. Visiblement, les sages ont appris beaucoup de choses. « Certains paraissaient fascinés par les histoires qu’on leur racontait, s’amuse un participant, sur le mode “Ah bon, la police a fait ça ? Alors, c’est comme ça que vous avez fabriqué l’info ? Dingue !”».  Ça s’est animé à un moment : Claude Bruillot, le directeur de la rédaction de France Bleu, a interpelé son homologue de BFM TV, qui a diffusé une interview de Coulibaly. « En 2001, on aurait trouvé intolérable de faire parler les talibans qui ont tué Johanne Sutton et Pierre Billaud (journalistes respectivement à RFI et RTL, ndlr) en Afghanistan ! », a-t-il lancé. Hervé Béroud n’a pas pu répondre : ce n’était pas à son tour de parler…

Les réseaux sociaux, coupables, forcément coupables, ont été égratignés par les « grand médias responsables », s’amuse un invité. A souligner sur ce point, cette courageuse diatribe de Rémy Pflimlin, le président de France Télévisions : « Le plus important n’est pas d‘être le premier, mais de livrer une vraie info. » (bon, elle nous a été rapportée, peut-être pas très précisément, on ne l’a pas eu directement au téléphone).

Ce fut un « brainstorming de haute tenue », à en croire Frédéric Schlesinger, directeur délégué aux antennes et aux programmes de Radio France. Mais aussi un « entre-soi assez étrange, en total décalage avec la semaine folle que nous venions tous de vivre », commente un autre. Ce fut en tout cas une « conversation » très très longue : quarante personnes qui parlent, ça dure : « On n’a même pas eu le temps de poser des questions ! souffle un conseiller. A la fin, personne n’en pouvait plus ! Mais bon, ils sont bien élevés, ils sont restés jusqu’au bout. » Un invité conclut : « Le message que voulait faire passer Olivier Schrameck ? Ne vous inquiétez pas braves gens, le CSA veille. » Opération (de communication) réussie.

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