INTERNATIONAL - Charlie Hebdo s'arrache... et fait polémique. Dans plusieurs pays musulmans, la "une" du dernier numéro du journal satirique - Mahomet la larme à l’œil tenant une pancarte "Je suis Charlie" - passe mal. Après le Pakistan, Gaza ou encore la Mauritanie, de nouvelles manifestations ont eu lieu ce samedi 17 janvier, notamment au Yémen et surtout au Niger.
Au moins huit églises, pour la plupart évangéliques, ont été incendiées à Niamey, la capitale nigérienne. Des bars, hôtels ou commerces appartenant à des non-musulmans ou tenant enseigne pour des entreprises françaises ont été détruits. Face à ces émeutes, l'ambassade de France a appelé ses ressortissants à "éviter toute sortie" et François Hollande a dénoncé des comportements "intolérables".
Dix morts en deux jours
Après la prière du vendredi, plusieurs manifestations avaient déjà eu lieu contre cette nouvelle caricature du prophète. Elles ont parfois dégénéré. Cinq personnes sont mortes et au moins 45 ont ainsi été blessées à Zinder, deuxième ville du Niger, selon un nouveau bilan donné samedi soir par le président Mahamadou Issoufou, qui a annoncé que cinq personnes étaient mortes samedi à Niamey.
"A Niamey, le bilan est de cinq morts, tous civils, dont quatre tués dans des églises et des bars", a déclaré Mahamadou Issoufou, qui a fait état d'une victime retrouvée "calcinée dans une église" samedi matin à Zinder. Plus de 300 chrétiens ont en outre été placés sous protection militaire à Zinder, a-t-on appris samedi d'une source sécuritaire.
En fin de matinée samedi, un millier de jeunes s'étaient réunis près de la grande mosquée de Niamey, en dépit de l'interdiction du rassemblement par les autorités, aux cris de "A bas la France", "A bas Charlie Hebdo" ou encore "Allah Akbar" (Dieu est grand).
L'édifice avait été encerclé par quelques dizaines de policiers anti-émeute munis de casques et de boucliers, qui ont dispersé les manifestants à coup de gaz lacrymogènes.
"On va tout casser. Nous protégeons notre prophète. Nous allons le défendre même au péril de notre sang", a déclaré un manifestant, une grosse pierre à la main. Le calme est finalement revenu dans la capitale nigérienne en début de soirée.
Des voitures de police restaient stationnées devant la cathédrale et plusieurs autres édifices religieux de la rive gauche de la ville, a constaté un journaliste de l'AFP. Sur la rive droite, où les manifestants se sont aussi dirigés dans l'après-midi, "le calme est revenu" après "une journée d'enfer", a témoigné une habitante Maïmouna, ce qu'a confirmé Moussa, un riverain.
"Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie"
"Certains d’entre nous sont restés barricadés à la maison. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie", a déclaré à l'AFP un mécanicien chrétien ouest-africain, retranché dans son atelier avec ses ouvriers, tout en regardant à travers les orifices d'une fenêtre fermée des manifestants saccager un kiosque en face de son commerce.
"Nous, ici, au travail, nous sommes obligés de nous cloîtrer dans notre atelier. Vraiment nous avons peur. Il faut que l’Etat mette fin à tout ça. Ça ne sent pas bon pour nous", a-t-il soupiré.
"Dès que les manifestations ont commencé vers la grande mosquée, nous avons senti cela venir. J’ai dit à tous les employés de rentrer chez eux", a expliqué Kiéma Soumaïla, gérant du Toulousain, un bar connu de Niamey. Les protestataires ont fracturé la porte de l'établissement, qu'ils ont détruit. "Ils ont tout brûlé après avoir cassé tout ce qui est en verre sur la chaussée", a-t-il regretté.
D'après une source sécuritaire, six groupes de 200 à 300 protestataires ont été dénombrés, qui sèment le chaos dans Niamey. Des manifestations spontanées - pneus incendiés à des carrefours - se sont tenues également à Maradi, une ville située entre Niamey et Zinder. A Agadez, grande ville du nord, le calme est revenu après des manifestations violentes vendredi, durant lesquelles le siège du parti au pouvoir a été brûlé.
Le président nigérien "est Charlie" mais...
Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, fait partie des six chefs d'Etat africains qui avaient participé à la Marche républicaine le 11 janvier à Paris, après l'attaque terroriste qui avait décimé la rédaction de Charlie hebdo. "Nous sommes tous Charlie", a-t-il récemment déclaré à la radio, une prise de position fortement critiquée par des associations musulmanes et des ONG locales.
Marou Amadou, le porte-parole du gouvernement nigérien, a pris soin de relativiser la participation du président à la marche, qui "procède de son engagement contre le terrorisme et pour la liberté" et "ne signifie nullement un quelconque soutien aux dérives qui peuvent découler d'une certaine conception de la liberté de presse", a-t-il dit jeudi.
C'est sur instruction de Mahamadou Issoufou que le gouvernement du Niger a interdit la diffusion de Charlie Hebdoet condamné la caricature de Mahomet. "Le gouvernement dénonce et condamne avec véhémence la caricature du prophète Mahomet, paix et salut à lui, contenue dans le numéro de Charlie Hebdo du mercredi 14 janvier 2015, qu'il considère comme une provocation injurieuse et totalement inacceptable", affirme le communiqué lu à la radio et la télévision d'Etat.
"Aussi, sur instruction du président de la République, le gouvernement a-t-il décidé d'interdire la publication et la vente de ce numéro sur l'ensemble du territoire national", précise ce texte lu par Marou Amadou.
"Un sujet qui fâche"
Une vingtaine d'oulémas, des théologiens musulmans, ont appelé au calme samedi à la télévision les centaines de manifestants. "N’oubliez pas que l’islam est contre la violence. J’appelle hommes et femmes, garçons et filles à se calmer. Les actions de destruction ne sont pas cautionnées en islam", a exhorté le prédicateur Yaou Sonna.
Ces oulémas avaient au préalable été reçus à la Primature par le Premier ministre Brigi Rafini et les ministres de l'Intérieur et de la Justice, Hassimi Massoudou et Marou Amadou. La rencontre a selon eux permis de dissiper des malentendus concernant la participation du président nigérien Mahamadou Issoufou à la Marche républicaine du 11 janvier à Paris.
"Il s’agit d’un sujet qui fâche", a commenté Amadou Sambo, responsable d’une association religieuse, avouant que les oulémas nigériens, dans un pays où l'islam est ultra-majoritaire et les chrétiens représentent environ 1% de la population, avaient "très mal interprété les propos du président".
"On nous a expliqué que c’est par rapport au terrorisme. Ici au Niger, nous sommes contre toute forme de terrorisme. (...) Nous avons un islam authentique. Il faut donc que les frères et sœurs se comprennent et pardonnent", a-t-il poursuivi.