Et revoilà le méchant monstre d'Internet avec sa bouche grimaçante et ses grandes dents. Il aura fallu moins de 24 heures après le massacre du 7 janvier pour que certains politiques agitent le spectre de l'Internet, et plus précisément des réseaux sociaux. Valérie Pécresse, Christian Estrosi, Eric Ciotti, Thierry Mariani, répondant sans doute à l'ancien réflexe «une émotion = une loi», appelaient à une sorte de patriot act à la française. A l'Assemblée Nationale le 13 janvier, Manuel Valls annonçait que Bernard Cazeneuve avait huit jours (je le cite, je n'aurais jamais pu inventer ça) pour faire des propositions sur le contrôle d'Internet et des réseaux sociaux. On ignore s'il faut mettre cette déclaration sur le compte de la démagogie mais face à cette absurdité, on peut rappeler quelques points.
D'abord, ni les frères Kouachi ni Amedy Coulibaly n'ont pris les armes parce qu'ils avaient regardé trop de vidéos sur YouTube. S'il faut pointer un lieu de radicalisation dans leurs parcours, il s'agit de la prison plutôt que de Twitter. Tout le monde s'accorde sur ce point, Christiane Taubira est chargée de régler le problème. Et pourtant, on entend toujours une petite musique de fond «Twitter, Facebook, danger, appel à la haine, nécessité de surveiller». Répétons donc encore une fois que les réseaux sociaux n'échappent ni à des règles internes, ni à la loi. La preuve en est le nombre de condamnations récentes.
Les contenus incriminés peuvent être signalés de deux façons. Soit directement sur le site concerné, des modérateurs examinent alors la demande et y répondent (pas toujours positivement, notamment dans le cas de cette vidéo qui appelait à commettre des attentats en France, parce que la personne qui la postait en dénonçait le contenu). Soit en passant par le site mis en place par le gouvernement.
Ce sont alors les autorités qui décident de contacter le site responsable pour demander la suppression du contenu en cause. Mais ces messages peuvent aussi avoir une utilité. Dans le cas de jeunes en train de se radicaliser, leur page Facebook sert justement d’avertissement pour l’entourage. En outre, on peut se demander si la suppression de l’expression d’une violence suffit à effacer l’ensemble du problème… La règle du «hop, je ne le vois plus donc ça n’existe plus» n’a pas encore fait ses preuves, mais il est sans doute plus facile de s’attaquer aux conséquences qu’aux causes.
Ensuite, il ne faudrait pas oublier que les députés viennent tout juste de voter la loi de programmation militaire qui donne des moyens très étendus – et hautement contestables – pour espionner des suspects sans s'encombrer de démarches comme l'accord d'un juge. L'ampleur des données personnelles des internautes désormais fournies en temps réel représente déjà un gros bout des libertés civiles qu'on a abandonné au nom de la sécurité.
Enfin, les renseignements eux-mêmes ne demandent pas une autorisation élargie pour placer des suspects sous surveillance. Sur ce point-là, c'est bon, ils sont bien servis. A la limite, ils risquent surtout d'être noyés sous un flux d'informations trop important pour être traité. Ce qu'ils veulent, c'est davantage de moyens humains et matériels. On peut leur donner tous les pouvoirs du monde, tant qu'ils n'ont pas les effectifs pour les exploiter, ça ne leur apportera pas grand chose.
Et pour finir, ayons un petit détail à l’esprit. Il est compréhensible qu’en plein traumatisme, pataugeant dans la peur, certains aient cette tentation sécuritaire. Mais on ne sait pas de quoi sera fait demain, et demain en l’occurrence c’est 2017 et 2022. Quel parti prendra la tête du pouvoir ? Imaginons une seconde qu’il s’agisse d’un parti politique autoritaire, assez porté vers la censure de ses opposants – simple hypothèse bien sûr. A-t-on vraiment envie de lui laisser de telles armes pour espionner les citoyens ?