Renaud Camus lance Pegida en France et récupère l’islamophobie allemande

Renaud Camus lance Pegida en France et récupère l’islamophobie allemande

Interdit par la préfecture de police, le rassemblement islamophobe n’a pas pu se tenir dimanche dernier place de la Bourse, à Paris (IIe). A la place, les organisateurs ont tenu une discrète conférence de presse, au cours de laquelle...

Par Thomas Huchon
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Renaud Camus (debout) annonce le lancement de Pegida en France
Renaud Camus (debout) annonce le lancement de Pegida en France - Thomas Huchon/Rue89

Interdit par la préfecture de police, le rassemblement islamophobe n’a pas pu se tenir dimanche dernier place de la Bourse, à Paris (IIe). A la place, les organisateurs ont tenu une discrète conférence de presse, au cours de laquelle l’idéologue de cette mouvance d’extrême droite, Renaud Camus, a annoncé le lancement d’une section française de Pegida, mouvement allemand anti-islam.

A l’origine de la manif avortée, les collectifs :

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Dans un hôtel du quartier de l’Opéra

Les animateurs du « grand rassemblement européen de résistance à l’islamisation de nos pays » (sic) se sont contentés d’un hôtel du quartier de l’Opéra. (Le service de sécurité était assuré par des adhérents du Bloc identitaire, groupuscule d’extrême droite créé après la dissolution d’Unité radicale, dont l’un des membres avait tenté de tirer sur Jacques Chirac en 2002.)

Cela n’a pas empêché les organisateurs de surfer sur la vague islamophobe, en compagnie de représentants de « partis frères » venus des pays voisins :

  • Melanie Dittmer, représentante du mouvement allemand des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida) ;
Melanie Dittmer (Pegida), gilet pare-balles et badge
Melanie Dittmer (Pegida), gilet pare-balles et badge « Je suis Charlie Martel » - Thomas Huchon/Rue89
  • Pierre Renversez, de l’association belge Non à l’islam (Nonali) ;
  • Armando Manocchia, président de l’association italienne Une rue pour Oriana Fallaci.

« La messagère du Printemps des peuples »

Pegida

Créée en octobre 2014 par Lutz Bachmann, ancien délinquant condamné pour braquages et trafic de drogue, Pegida est une organisation politique prônant la lutte contre « l'islamisation de l'Occident » et le désir de « préservation et de protection de l'identité allemande ».

Les manifestations de Pegida ont attiré plusieurs dizaines de milliers de personnes dans la ville de Dresde, à plusieurs reprises depuis mi-décembre. Copiant le mode d'action utilisé avant la chute du mur de Berlin, ce sont des milliers de personnes qui se retrouvent désormais tous les lundis soirs à Cologne, Düsseldorf, Bochum, Munich, Wurtzbourg, Rostock, ou encore Bonn.

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Ce mouvement à caractère xénophobe inquiète jusqu'à la chancelière Angela Merkel, qui a appelé ses compatriotes à ne pas participer aux manifestations, dans son allocution de fin d'année.

La « guest-star » de la rencontre est assurément Melanie Dittmer, 36 ans, des cheveux blonds qui retombent sur son gilet pare-balles.

Ancienne journaliste de la chaîne ZDF, militante « en sommeil » – comme elle le dit elle-même – du Mouvement populaire pour la Rhénanie-du-Nord-Westphalie (Pro NRW, parti minoritaire régional d’extrême droite qui lutte depuis 2007 contre « l’islamisation » de l’Allemagne), elle est depuis quelques mois l’une des figures de Pegida, mouvement Ovni qui inquiète de plus en plus les pouvoirs publics allemands (voir encadré).

Renaud Camus, l’autre « vedette » de la journée, rendra un hommage appuyé à la représentante de Pegida. Après avoir cité Vladimir Poutine comme un visionnaire, l’idéologue ajoute :

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« Aujourd’hui, une grande espérance se lève à l’Est. Elle a pour nom Pegida, et elle a ici une ambassadrice, que nous saluons comme la messagère du Printemps des peuples. »

Déjà des Pegida à Bordeaux et Lyon ?

Il va ensuite annoncer la création de la branche française de ce mouvement xénophobe :

Renaud Camus

Parfois présenté abusivement comme philosophe, Renaud Camus est un idéologue d’extrême droite, bien connu depuis 2010 pour sa théorie du « grand remplacement », qui trouve un écho de plus en plus important à droite et à l’extrême droite – de l’UMP au Bloc identitaire, en passant par le FN. Elle cherche à prouver que s’opère, à cause de l’immigration, du métissage et, bien sûr, de l’islam, le grand remplacement des peuples européens et de leurs cultures.

Renaud Camus a créé en 2012 son propre parti, sous l’égide du Rassemblement bleu marine de Marine Le Pen, le Parti de l’innocence. Il a été condamné le 10 avril 2014 pour « provocation à la haine religieuse et à la violence ».

Par ailleurs, Robert Ménard, maire de Béziers (Hérault), vient de lui faire octroyer, par le conseil municipal, une subvention pour écrire un livre sur la ville. Midi-Libre, qui a sorti l’info, avance la somme de plus de 40 000 euros.

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« C’est l’Europe qui est colonisée. Bien plus colonisée, et bien plus gravement, bien plus irrémédiablement si on ne fait rien, qu’elle n’a jamais colonisé elle- même. Mais nous allons faire. Nous faisons déjà. La lutte anticolonialiste est entreprise dans le sillage de Pegida. Un front de libération nationale, section française de l’internationale péguidiste, est d’ores et déjà entré en résistance. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de “vivre ensemble”, mais une conquête coloniale en cours, dont nous sommes les indigènes colonisés, et dont l’instrument est le nombre, la substitution démographique […]. Si la vérité n’était pas assez forte pour mener à ces résultats-là, il n’y aurait d’alternative qu’entre la soumission et la lutte armée. »

Pierre Cassen, le fondateur de Riposte laïque, reprend alors la parole pour annoncer que des Pegida sont déjà créés, ou en cours de création en France :

  • Pegida Languedoc, sous l’égide de Richard Roudier, l’un des fondateurs du Bloc identitaire ;
  • Pegida Bordeaux, qui aurait manifesté dimanche ;
  • et surtout Pegida Lyon, qui se réunira tous les vendredis soirs dans la capitale des Gaules, et ce, dès cette semaine.

Ailleurs en Europe, d’autres Pegida sont en train de voir le jour. En Belgique (en Flandres et en Wallonie), c’est à Anvers que les rassemblements vont avoir lieu. Il existe aussi des Pegida en Autriche, en Suisse… La montée de l’islamophobie est un phénomène qui prend de l’ampleur sur le vieux continent.

« L’islam, c’est une race… Euh… Non »

Toute la conférence de presse résonnera de cette hostilité viscérale à l’islam et plus largement à l’immigration. Ainsi, pour l’organisatrice Christine Tasin (Résistance républicaine), l’interdiction de la manifestation par le préfet équivaut à « interdire de critiquer l’islam ». Elle ajoute, sans redouter l’excès :

« On est en train, avec la complicité active du gouvernement, d’appliquer la charia. Nous ne sommes pas encore un pays musulman, et nos gouvernements font tout pour que ça le devienne, et qu’on nous l’impose. »

Emportée par son discours, elle va faire un lapsus pour le moins révélateur du double discours tenu ici sur l’islam :

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« L’islamophobie, ça veut dire, avoir peur de l’islam. L’islam, c’est une race… Euh… Non… L’islam, ce n’est pas une race, pardon… [Rires gênés dans la salle.] Ce n’est pas un homme, c’est un dogme. On peut avoir peur du christianisme, on peut avoir peur du communisme, de l’islam… En France, dans un pays démocratique, on a le droit de critiquer les dogmes. Et vouloir interdire l’islamophobie comme le font Taubira ou Cazeneuve, ça veut dire qu’on change la loi. La loi française n’interdit pas de critiquer l’islam. Nous sommes dans un système totalitaire qui est en train de s’installer, dans une dictature qui n’a pas encore dit son nom mais qui le prouve. »

Bien plus qu’une critique de l’islamisme radical, ce sont des attaques contre ceux qu’ils appellent « les immigrés » qui ont fusé dimanche.

La conférence s’est terminée avec l’intervention de l’Italien Armando Manocchia, qui a insisté sur les «  vrais ennemis  » de l’Occident, les «  tenants d’un ordre nouveau  » qui se serviraient de l’islam pour remplacer les Européens : « L’Otan, l’UE et Bilderberg. » La boucle est bouclée.

Quelques questions à Melanie Dittmer

Avant le début de la conférence de presse, j’en profite pour poser quelques questions à Melanie Dittmer.

Après un discours bien rodé sur les danger de « l’islamisation » de l’Europe (« Je ne pense pas que tous les musulmans sont des terroristes. Ce n’est pas une provocation de faire des manifestations contre l’islamisation. C’est un droit démocratique. Nous devons le faire, l’Europe est occupée par les islamistes. Sept mille salafistes sont présents sur le territoire ! »), et sur le fait que le mouvement Pegida rassemble « des classes moyennes et, non, pas des gens d’extrême droite », elle va vite basculer dans un discours contre l’islam, au détour d’une question sur les discriminations faites aux musulmans en Europe :

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« Pensez-vous que les musulmans sont parfois discriminés en Europe ?

– Mais non, les musulmans ne sont pas discriminés en Europe. Ils ont plein de droits ! Ils peuvent massacrer les animaux comme ils veulent, ils ont des mosquées partout… Dans les années 70, il n’y avait que trois mosquées en Allemagne. Aujourd’hui, il y en a 3 000 !

– Ça vous dérange qu’il y ait autant de mosquées en Allemagne ?

– Oui, je n’aime pas ça. Un peu, ça va, mais là, c’est trop. Cela crée une société parallèle, et en plus, ils ne sont pas intégrés. C’est un problème. Quelques restaurants Doner Kebab, ça va… J’aime bien manger un kebab, de temps en temps… Mais trente dans la même ville, comme à Bonn ou à Cologne, c’est trop, car après, nous perdons notre identité, et notre culture. »

Après ce court entretien, Melanie Dittmer va alors me poser une question qui va me laisser coi… « Mais vous, vous êtes musulman, non ? » Réponse : « … »
Ambiance.

Thomas Huchon
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