La guerre islamiste en France : An I

Boualem Sansal est un écrivain algérien, auteur notamment de six romans et de plusieurs essais dont le dernier, très remarqué et publié en 2013 : « Gouverner au nom d’Allah » (Gallimard).

Boualem Sansal à Paris, le 15 octobre 2013. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Boualem Sansal à Paris, le 15 octobre 2013. © Vincent Fournier/Jeune Afrique

Publié le 20 janvier 2015 Lecture : 3 minutes.

L’islamisme a pris son envol il y a une trentaine d’années, lorsque les religieux et les conservateurs, constatant l’échec des régimes arabes au pouvoir depuis les indépendances et leur soumission à Moscou ou à Washington, prennent la décision historique de dépasser les formes d’organisation traditionnelles (en associations de prédication et d’action sociale), plus ou moins sous tutelle du pouvoir, et de se constituer, légalement ou clandestinement, en partis politiques modernes, inspirés par l’organisation des Frères Musulmans, disposant de structures diverses et variées et le cas échéant d’une branche armée secrète, et de braver le pouvoir.

Ainsi naquirent, quasi simultanément, Ennahdha en Tunisie, le Front islamique du salut (FIS) en Algérie, le Hamas en Palestine, etc. Ils connurent un succès foudroyant, les masses populaires, les élites et même des éléments de l’armée et de la police les rejoignirent en nombre. C’est par-là, paradoxalement, que l’islam le plus conservateur entrait dans la modernité et allait en tirer un grand profit. En peu de temps ils devinrent la première force politique dans les pays arabes, à l’exception des monarchies pétrolières pour deux raisons : leur protection par les États-Unis et leur propension à financer généreusement les islamistes et à leur offrir une tribune permanente sur leurs chaînes satellitaires (El Djazira, El Arabiya…) voire un asile doré en cas de besoin.

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>> À lire aussi l’interview de Sansal : "Pourquoi l’islam a cédé la place à l’islamisme"

Les concessions faites aux islamistes par des pouvoirs arabes aux abois – jusqu’à leur abandonner le contrôle de la rue, des mosquées et des universités -, ne les ont pas amadoués, au contraire, ils se firent plus pressants, le pouvoir leur semblait réellement à portée de main, notamment dans les pays en difficulté (Égypte, Algérie, Jordanie, Yémen…).

Tout laisse à penser que l’islamisme de France, comme le sont les islamismes algérien, afghan, syrien, irakien, auxquels il est fortement connecté, sera de plus en plus violent.

La répression exercée sur eux a fait le reste, ils engagèrent l’action armée. Terrorisme urbain et guerre de maquis, arrestations et torture, massacres de masse et représailles, enlèvements et disparitions, furent le lot quotidien des populations des années durant et encore aujourd’hui.

Par calcul, les islamistes et les régimes arabes, enlisés dans une guerre sans fin, ont cherché à exporter le conflit national dans les pays dont ils s’efforçaient d’obtenir le soutien. En portant leur guerre dans l’Hexagone, le pouvoir algérien et le FIS ont contraint le gouvernement français à entrer dans la partie, ce qu’il fit, erreur fatale, en soutenant tantôt l’un tantôt l’autre. C’est ainsi que l’islamisme s’est implanté en France et partout où existent des communautés musulmanes importantes.

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Avec le temps il a pris sa liberté par rapport aux pays d’origine et s’est inventé sa cause, son organisation, ses plans et ses allégeances. Les frères Kouachi sont quelque part le bout de chaîne d’une histoire commencée en Algérie dans les années 80-90 et qui, au fil du temps, a intégré les spécificités françaises et ce qu’elle a pu recevoir d’apports divers, d’Europe, du Proche et du Moyen Orient.

Tout laisse à penser que l’islamisme de France, comme le sont les islamismes algérien, afghan, syrien, irakien, auxquels il est fortement connecté, sera de plus en plus violent. Déjà, il met lourdement à mal la démocratie. Quand il arrivera et c’est fatal au stade de la destruction massive, le gouvernement se verra forcé de s’appuyer sur des lois d’exception comme il le fit durant la guerre d’Algérie. Les attentats du 7 janvier l’ont dès à présent obligé à prendre des mesures exceptionnelles, lourdes, coûteuses, gênantes pour les libertés.

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Saura-t-il se mobiliser et mobiliser la population dans la durée ? Saura-t-il frapper l’un (l’islamisme) sans toucher l’autre (l’islam) ? C’est à voir, l’état de guerre est très éprouvant. Car c’est bien une guerre que le 7 janvier, les islamistes ont déclarée à la France. Les jihadistes la sanctionnent militairement (d’où les tenues militaires du commando Kouachi et Coulibaly) pour les caricatures de Charlie, pour son soutien aux dictateurs arabes, pour ses interventions armées en pays musulmans (Libye, Mali, Irak, Afghanistan), pour son appui à Israël, pour les traitements humiliants qu’elle inflige aux musulmans de France.

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Boualem Sansal

17 janvier 2015

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