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La France est mon foyer (et je compte bien y rester)

Non, Israël n’est pas le foyer de tous les juifs. Ce n’est pas ancré dans nos gênes. C’est un choix personnel, moral, politique et pour beaucoup religieux.
par Coralie Miller, Auteure
publié le 20 janvier 2015 à 17h50

Depuis quelques années, la migration des juifs de France vers Israël est un phénomène en constante augmentation. Tant et si bien qu’en 2014, l’hexagone fut le premier pays de départ pour ce que l’on nomme l’alyah, le voyage sans retour vers la terre promise. Ces derniers jours, après l’attaque contre l’Hyper-Cacher de Vincennes, la question se pose avec plus de force encore. La peur et le sentiment d’abandon par la Nation rendent pour certains plus vive la tentation du départ. Benyamin Netanyahou ne s’y est pas trompé, qui a rappelé dans la foulée qu’Israël serait notre «foyer», à nous, juifs de France. Oui, je dis «serait» car ce qui est présenté par certains comme une évidence est pour moi une hérésie.

L’ostracisme par le lien à Israël

Non, Israël n’est pas le foyer de tous les juifs. Ce n’est pas ancré dans nos gênes. C’est un choix personnel, moral, politique et pour beaucoup religieux. Ce n’est pas mon choix. Juive de famille et de cœur, je suis laïque, républicaine et Française jusqu’au fond de mes tripes. Je refuse l’ostracisme dans lequel notre supposé lien à Israël nous entraîne. Et je me sens presque insultée lorsque j’entends dire que là est mon foyer. Comme si je n’étais finalement qu’une étrangère dans mon propre pays. Comme si cette France que je chéris ne m’était pas totalement acquise, bien que ma famille y ait déposé ses bagages voilà près de 80 ans. Comme si planait toujours sur moi la menace d’en être un jour expulsée.

Si nous, juifs de France, considérons qu’Israël est notre vrai foyer, alors comment empêcher ceux qui nous haïssent de nous renvoyer à notre statut d’étrangers de l’intérieur? De nous envisager comme des traîtres potentiels? Nous portons, nous aussi, la responsabilité du vivre ensemble. Ce n’est pas parce qu’une part infime de la population française ressent à notre encontre une abjecte détestation, que nous devons remettre en cause notre appartenance à la communauté nationale. Ce n’est pas la France qui est antisémite, ce sont certains de ses membres, certes bruyants, certes violents, mais minoritaires.

Etre français avant d’être juif

Ne les laissons pas gagner. Nous sommes plus forts que ça. Je suis plus forte que ça. Je suis Française, que cela leur plaise ou non. Je suis Française et je ne tolérerai jamais que quiconque puisse remettre cette évidence en question. Je suis Française avant d’être juive, résolument, fondamentalement, envers et contre tout. Je suis fille des Lumières et de la Révolution, je suis l’héritière de Voltaire et de Victor Hugo, je suis l’enfant de Mai-68 et de la Libération, je suis le produit de mes écoles et de tous mes professeurs, et chaque jour par mon métier je célèbre la langue et la culture qui m’ont été inculquées… Ma terre est celle qui a accueilli mon grand-père venu de sa Pologne natale pour devenir le médecin qu’il n’avait pas le droit d’être dans son pays. Celle pour qui il a combattu, membre de la Résistance, et qui a déposé sur son cercueil un drapeau bleu-blanc-rouge, symbole de la patrie reconnaissante. Celle qui a aidé ma famille à se construire, celle qui m’a vue naître et grandir, et qui désormais couve mon fils de sa main chaleureuse. Mon fils qui, du haut de ses 4 ans, n’a eu de cesse ces derniers jours de me dire que les méchants avaient attaqué son pays, et qu’il fallait le protéger – allant jusqu’à organiser un plan de bataille avec ses jouets, protégeant une Tour Eiffel par des bonshommes Transformers…

N’oublions que, de Charlie Hebdo à Hyper-Cacher, en passant par Montrouge, c’est la France sous toutes ses couleurs que l’on a voulu réduire au silence. La France dans son intégralité, avec ses grandes gueules blasphématoires, ses policiers, ses blacks, ses blancs, ses beurs et ses juifs. Alors, si hier nous nous sommes parfois sentis abandonnés face aux antisémites de tous bords, levons-nous aujourd’hui avec nos compatriotes pour que cela ne se reproduise plus. Marchons ensemble vers notre idéal. C’est assez de fuir, assez de se cacher et de se laisser exclure. L’heure est venue de se redresser et de dire à ceux qui en douteraient encore : «Je suis Français et fier de l’être. Dans mon pays, je suis, je reste.»

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