Chroniques

La haine d'un bon gouvernement

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Par Paul Krugman

Mais aujourd’hui, même cet argument fallacieux s’écroule. Ceux qui nient vont-ils désormais envisager le changement climatique comme quelque chose de réel ?
Bien sûr que non. Les preuves ne comptent pas pour le "débat" à propos des mesures concernant le climat, j’utilise des guillemets inquiétants pour le mot "débat" car étant donnée la non pertinence évidente de la logique et des preuves, ce n’est pas un débat au sens normal du terme. Et cette situation est loin d’être unique. En effet, il est difficile de penser à un conflit politique majeur dans lequel les faits comptent vraiment ; il ne s’agit plus que de dogmes inébranlables, partout. Et la véritable question, c’est pourquoi.

Avant de me lancer, laissez-moi vous rappeler certaines informations qui ne compteront pas.
D’abord, prenons l’expérience du Kansas. En 2012, Sam Brownback, le gouverneur de droite de cet état, vira complètement vers une économie de l’offre ; il coupa drastiquement les impôts, assurant tout le monde que le coup de fouet qui s’ensuivrait allait compenser la perte initiale de revenus. Malheureusement pour ses administrés, son expérience est un échec cuisant. L’économie du Kansas, bien loin d’être florissante, est restée à la traîne par rapport aux états voisins et aujourd’hui, le Kansas connaît une crise fiscale.

Allons-nous donc voir des conservateurs revenir sur leurs affirmations selon lesquelles l’efficacité magique de coupes dans les impôts équivaut à une relance économique ? Bien sûr que non. Si les preuves comptaient, l’économie de l’offre aurait disparu dans l’obscurité il y a de cela des dizaines d’années. A la place, elle n’a fait que renforcer sa mainmise sur le parti républicain.
Pendant ce temps, les nouvelles concernant la réforme de santé continuent de tomber, et elles sont toujours plus favorables que ce à quoi même ceux qui soutenaient la loi s’attendaient. Nous savions déjà que le nombre d’américains sans assurance chutait rapidement, même si les coûts en matière de santé ont calmé leur croissance. Nous avons aujourd’hui la preuve que le nombre d’américains qui vivent dans la peur face à leurs dépenses de santé chute également rapidement.

Tout ceci est étrangement en inadéquation avec les terribles prédictions voulant que la réforme allait

mener à moins de couverture santé et des dépenses qui flamberaient. Allons-nous donc voir ceux qui

prétendaient que l’Obamacare était voué à un échec retentissant revenir sur leur position ? Vous connaissez la réponse.

Et la liste ne s’arrête pas là. Que l’on parle de sujets tels que la politique monétaire ou du contrôle des maladies infectieuses, une grande partie de l’appareil politique de l’Amérique a des opinions qui sont en total désaccord avec la réalité, et complètement impossibles à changer. Et quel que soit le problème, c’est toujours le même groupe. Si vous vous impliquez dans l’un de ces débats, vous savez que ces gens-là ne sont pas des guerriers heureux ; ils sont rouges de colère, et ils dirigent leur rage vers les je-sais-tout un peu snobs qui mettent le doigt sur les faits qui ne soutiennent pas leur position.

Comme je l’ai dit au début, la question est de savoir pourquoi. Pourquoi ce dogmatisme ? Pourquoi cette rage ? Et pourquoi ces problèmes vont-ils ensemble, que ceux qui insistent sur le fait que le changement climatique n’est qu’une vaste supercherie sont plus ou moins les mêmes que ceux qui insistent sur le fait que toute tentative de fournir une couverture santé universelle doit mener au désastre et à la tyrannie ?

Eh bien ce qui me frappe, c’est que la position immuable de chacun de ces exemples est liée au fait de rejeter tout rôle du gouvernement qui serve les intérêts des gens. Si l’on ne veut pas que le gouvernement impose des contrôles ou des taxes sur ceux qui polluent, il faut nier le fait qu’il y ait des raisons de limiter ces émissions. Si l’on refuse le mélange de réglementation, de mandats et de subventions qui sont nécessaires afin d’augmenter la possibilité de couverture pour les non-assurés, l’on veut nier le fait qu’étendre encore cette couverture est encore possible. Et les affirmations selon lesquelles les pouvoirs magiques des coupes dans les impôts ne sont souvent rien de plus qu’une façon de masquer les véritables projets d’anéantir le gouvernement en lui ôtant tout revenu.

Et pourquoi cette haine à l’encontre du gouvernement dans l’intérêt des gens ? Eh bien le politologue Corey Robin défend l’idée que la plupart des conservateurs qui se déclarent comme tels sont en fait des réactionnaires. C’est-à-dire qu’ils défendent une hiérarchie traditionnelle – le genre de hiérarchie qui est menacée à chaque extension du gouvernement, même (et peut-être surtout) lorsque cette extension rend meilleure la vie des citoyens lambda et leur offre davantage de sécurité Je suis sensible à cette histoire, en partie parce qu’elle explique pourquoi les sciences du climat et l’économie de la santé inspirent tant de rage.

Que ce soit la bonne explication ou non, le fait est que nous vivons une ère politique dans laquelle les faits ne comptent pas. Cela ne veut pas dire que ceux parmi nous qui donnons de l’importance aux preuves devraient arrêter de le faire. Mais l’on devrait être réaliste face à nos attentes, et ne pas s’attendre à ce que même les preuves les plus explicites changent quoi que ce soit.

Paul Krugman

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