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Libération

Mediator : Servier prescrit le retrait d’une étude médicale

«Libération» révèle la lettre envoyée par le laboratoire à des cardiologues pour faire pression sur une publication qui le met en cause.
par Eric Favereau
publié le 20 janvier 2015 à 21h06

C'est pour le moins cocasse, même si l'affaire du Mediator n'a jamais manqué d'épisodes déroutants. Voilà, en effet, que des avocats des laboratoires Servier écrivent à des sociétés savantes de renom pour se plaindre, voire proférer des menaces, parce qu'elles osent mettre des liens vers des publications médicales sur leur site internet. Un courrier a ainsi été adressé le 29 décembre au Collège des cardiologues français, mais aussi à la Société française de cardiologie. Cette lettre - que révèle Libération - est sans complexe. Les conseils de Servier s'étonnent que des médecins osent publier sur Internet une étude médicale. Et ils vont jusqu'à écrire : «La plupart des assertions de cet article ne sont que l'expression de l'opinion de ses auteurs et non l'expression d'un consensus de la communauté scientifique internationale.» En somme, ils font le tri dans la littérature médicale, entre ce que l'on peut publier ou pas.

Sang. Il est vrai que l'étude en question est problématique pour le fabricant du Mediator. Et risque de lui coûter beaucoup d'argent, car elle élargit les dommages provoqués par ce coupe-faim. Publié dans la revue Cardiologie cardinale en octobre, ce travail d'échographistes et de cardiologues change le regard que l'on peut avoir sur les valvulopathies.

Schématiquement, les valves cardiaques sont des structures élastiques, empêchant le reflux du sang d'une cavité du cœur vers une autre. Les valvulopathies désignent les dysfonctionnements de ces valves, certaines étant très graves, et d'autres plus légères. L'usage du Mediator a montré que cette molécule pouvait provoquer des valvulopathies importantes. Mais quid des plus légères ? C'est là que l'étude de Cardiologie cardinale a apporté des éléments nouveaux, «démontrant que pendant trente ans on a cru que les valvulopathies légères étaient d'origine rhumatismale».

Ces travaux, à partir d'images échographiques, ont établi qu'il n'en était rien, et que leur cause, selon de fortes vraisemblances, serait d'origine médicamenteuse, et donc provoqué par le Mediator (lire Libération de mercredi dernier).

C'est dans ce contexte que le cabinet d'avocats Simmons and Simmons a pris sa plus belle plume. «Les laboratoires Servier ont constaté que la page d'accueil de votre site contient un renvoi vers une publication parue dans Cardinale. Les laboratoires Servier souhaitent vous faire part de leur interrogation, compte tenu du fait que celle-ci se présente comme un état de l'art, alors qu'elle contient de nombreuses affirmations qui ne sont pas ou trop peu étayées par des données issues de la littérature scientifique.» Et ils poursuivent : «Cette publication ne remplit pas les critères qui permettent d'en garantir la qualité scientifique.» La lettre s'achève par une demande de rencontre, «afin de vous faire part de nos commentaires au regard de cette publication, dont nous nous étonnons qu'elle soit ainsi mise en exergue, pouvant laisser entendre que vous soutenez le contenu».

«Dialogue». Diantre… Manifestement gêné que ce courrier ait fuité, un des deux avocats signataires, Jacques-Antoine Robert, se défend. «Notre souhait était de faire en sorte qu'il y ait une revue générale de tous les éléments du débat, et d'éviter un monologue. On voulait juste ouvrir un dialogue», a-t-il répondu à Libération. Le professeur Yves Juillière, président de la Société française de cardiologie et un des destinataires du courrier, se montre très agacé : «C'est une lettre qui me laisse complètement indifférent, et je n'en pense rien.» Bizarrement, ce cardiologue ajoute : «L'étude Cardinal, j'ai un avis mais je ne veux pas en faire état. En tout cas, je vous le dis très clairement, ce n'est pas aux avocats de me dire ce que je mets ou pas sur le site internet de notre société.»

Pour la petite histoire, l’agacement du laboratoire Servier vis-à-vis des sociétés savantes est à mettre en rapport avec les liens, hier très étroits, qu’il entretenait avec le milieu de la cardiologie.

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