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La Norvège veut redessiner la banquise arctique pour faciliter les prospections pétrolières

Oslo a autorisé la prospection de 57 zones, situées en majeure partie dans les eaux les plus septentrionales de la mer de Barents. De quoi raviver le débat entre pétroliers et ONG.

Par  (Tromso (Norvège), envoyé spécial)

Publié le 21 janvier 2015 à 20h25, modifié le 19 août 2019 à 13h42

Temps de Lecture 5 min.

La Norvège va redéfinir la cartographie des contours de la banquise dans l'Arctique, une décision controversée susceptible d'ouvrir davantage la mer de Barents aux activités pétrolières.

C’est la nouvelle que tous les habitants de Tromso (Norvège) attendaient. Mercredi 21 janvier, le soleil est de retour et darde enfin ses rayons au-dessus de l’horizon glacé. Après deux mois de nuit polaire, la ville située à l’intérieur du cercle arctique s’est interrompue quelques instants pour célébrer la « Solfesten ». Portant parfois sur leur épais bonnet une couronne arborant l’astre solaire, les écoliers ont déambulé près du port avant de regagner leurs classes pour goûter les beignets à la crème confectionnés spécialement pour ce 21 janvier.

Une autre nouvelle d’importance est passée, en revanche, plutôt inaperçue : la double décision gouvernementale qui ouvre la voie à de nouvelles activités de recherche pétrolière et gazière en mer de Barents. Le ministère du pétrole a autorisé, mardi 20 janvier, la prospection de 57 zones situées en majeure partie dans les eaux les plus septentrionales de la mer de Barents, qui borde la côte nord de la Norvège et nord-ouest de la Russie.

Dans un autre communiqué, diffusé lui aussi le 20 janvier, la ministre de l’environnement Tine Sundtoft, insistant sur l’importance de « disposer de connaissances actualisées sur l’emplacement géographique des zones fragiles », demande à l’institut polaire norvégien de mettre à jour ses calculs relatifs aux contours de la banquise. La démarche n’est pas une première. En 2006 déjà, et plus récemment au printemps 2014, l’institut polaire norvégien avait déjà fourni des données sur l’état de la banquise pour éclairer les pouvoirs publics sur la situation en mer de Barents.

Fonte de la banquise arctique

En vertu d’un accord conclu en 2013, l’Etat interdit tout chantier de prospection d’hydrocarbures sur les zones de bordure des glaces marines du pôle nord, un écosystème déjà fragilisé par les activités humaines. Mais sous l’effet du réchauffement climatique, la surface de la banquise arctique s’est rétractée au fil des années et a transformé la cartographie de cette région stratégique, qui recèlerait 30 % des réserves mondiales de gaz et 13 % des réserves de pétrole.

Lire aussi : L'Arctique, terre promise pour les compagnies pétrolières ?

En 2012, le National Snow and Ice Data Center américain avait annoncé un record de fonte de la banquise de l’hémisphère Nord (après celui de 2007) avec une superficie réduite à 3,4 millions de km2. « Ces dernières années, la banquise a diminué rapidement dans la zone arctique, en particulier autour du Spitzberg et en mer de Barents, confirme Jan-Gunnar Winther, directeur de l’institut polaire norvégien. Comparé à la situation d’il y a 35 ans, le volume de glace de la banquise a baissé de plus de 70 %. A ce rythme là, nos projections laissent imaginer que la mer de Barents sera dépourvue de banquise autour de 2050 ».

Au-delà des mesures scientifiques, l’actualisation demandée à l’institut polaire norvégien devrait permettre de confirmer que les nouvelles licences accordées aux compagnies pétrolières restent à bonne distance de la banquise. C’est en tout l’espoir du gouvernement conservateur d’Oslo, qui ne compte pas renoncer au modèle énergétique qui assure la prospérité du pays depuis les années 1970.

Lors de son allocution, mardi 21 janvier, à la conférence Arctic Frontiers qui se tient à Tromso jusqu’au 23 janvier, la première ministre Erna Solberg a souligné les « fortes perspectives de croissance » des confins septentrionaux de la Scandinavie, basées notamment sur leurs ressources en hydrocarbures et en minerais, sur les revenus de la pêche et sur le potentiel touristique du Grand Nord. « L’ère du pétrole n’est pas révolue, mais la production n’augmentera pas comme cela s’est produit par le passé. Nous sommes de plus en plus un pays producteur de gaz, a précisé le chef du gouvernement, et les technologies modernes vont nous aider à développer les énergies vertes ».

Mais Erna Solberg n’a dit mot de la décision entérinée au même moment par ses ministres du pétrole et de l’environnement. Peut-être n’était-ce pas le moment de raviver un débat déjà virulent entre les acteurs de l’industrie norvégienne et les organisations de protection de l’environnement, une tension palpable au fil des débats d’Arctic Frontiers ?

Risques et contraintes du forage en Arctique

« C’est une bonne nouvelle, à la fois par le nombre de licences proposées aux entreprises, et par la zone de prospection désignée, qui n’a jusqu’à présent pas été explorée », réagit Alis Helene Tefre, vice-présidente stratégie de Statoil, la compagnie nationale norvégienne très active en mer de Barents. « En tant qu’industriel, nous devons démontrer que nous pouvons prospecter et développer nos activités dans la voie du développement durable, c’est-à-dire en étant attentif à l’impact environnemental, à l’efficacité énergétique de nos installations,assure la dirigeante. Face à la croissance de la consommation mondiale et l’élévation du niveau de vie, il faut continuer à produire du pétrole et du gaz. »

Questionnée sur les contraintes de forage à de telles latitudes, Statoil estime prendre tout le temps et toutes les précautions nécessaires pour maîtriser les risques. Près de 23 années se sont déroulées entre la découverte par la compagnie pétrolière du gisement d’hydrocarbures de Snohvit (Blanche neige en norvégien !) en 1984 et sa mise en production en 2007. Le vaste champ pétrolier offshore Goliat, qui devrait débuter son activité au printemps 2015, a nécessité 15 ans de travaux.

« Même si les conditions de glace peuvent fortement varier d’une année sur l’autre, le constat demeure : le réchauffement climatique rend les eaux et les ressources de l’Arctique de plus en plus disponibles, commente Tor Eldevik, professeur d’océanographie à l’université de Bergen. Le chercheur cite en exemple l’énorme champs gazier de Shtokman, qui était au bord de la banquise, en hiver, dans les années 1980, et qui se retrouve aujourd’hui dans une zone libre de glace.

Se tourner vers les énergies renouvelables

« Ce dont le monde a besoin, ce n’est pas de gaz et de pétrole, c’est d’énergie, et d’une vision commune tournée vers les énergies renouvelables, rétorque Nina Jensen, secrétaire général de WWF Norvège. La double annonce gouvernementale est une réelle déception. Où est la transition vers les énergies vertes dans ce choix ? C’est le business avant tout. » Et de poser à l’auditoire d’Arctic Frontiers une autre question : « Doit-on développer le pétrole et le gaz en Arctique alors que 70 % du réchauffement climatique est dû aux énergies fossiles ? »

« Une étude publiée récemment dans la revue Nature démontre que le tiers des réserves de pétrole et la moitié des réserves de gaz devraient rester inexploités pour éviter la surchauffe de la planète, poursuit Nina Jensen. Il vaudrait mieux en Arctique se tourner vers l’énorme potentiel en énergie renouvelable de cette région. »

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Des réserves fossiles rationnées pour éviter la surchauffe

« La Norvège pourrait être le premier pays à réussir la transition d’une économie pétrolière profitable vers une économie verte sans perdre en niveau de vie, veut croire Rasmus Gjedsso Bertelsen, professeur de sciences politiques à l’université arctique de Norvège. Mais elle est dans une situation schizophrénique : elle est ce pays vertueux en matière d’état providence, de parité, de droits de l’homme, de coopération vers le tiers-monde… et en même temps ce grand pays exportateur de pétrole. »

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