Éducation : pourquoi la Corée est première de la classe

Cours du soir à outrance, mais aussi pragmatisme et innovation pédagogique : le modèle coréen fait des merveilles. Mais à quel prix ?

De notre correspondant en Asie,

Dès la maternelle, les enfants coréens enchaînent les cours du soir après leur journée d'école.
Dès la maternelle, les enfants coréens enchaînent les cours du soir après leur journée d'école. © Pascal Deloche/Godong/AFP

Temps de lecture : 6 min

C'est le secret le mieux gardé des mamans de Gangnam. Non, pas la recette du bibimbap ou du meilleur kimchi à présenter à sa belle-mère, le jour du nouvel an lunaire. Mais l'adresse du "hagwon" où elles envoient étudier leurs bout'chous après l'école, jusque tard dans la nuit. C'est ainsi que l'on appelle les "académies privées" qui pullulent dans ce quartier bourgeois du sud de Séoul, popularisé par le tube planétaire du chanteur Psy. En particulier du côté des rues de Daechidong, surnommé la "Mecque de l'éducation privée", où des cours reçoivent clandestinement des enfants de 7 ans, au-delà de 10 heures du soir, le couvre-feu imposé par les autorités pour tenter d'endiguer la frénésie éducative des parents de la quinzième puissance mondiale.

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"Lorsqu'un enfant rejoint l'Université nationale de Séoul, la meilleure du pays, sa mère devient une reine du quartier. Toutes les mamans l'espionnent pour tenter de percer son secret", constate, amusé, Kim Tae Hyung, fondateur de ymath, académie de mathématique. Un business rentable, mais ultra compétitif.

Dix-huit milliards de dollars

Au pays le plus confucéen du monde, l'éducation est une religion. Et les études, le gage de la réussite sociale. Chez Samsung ou dans l'administration, un diplôme ou un titre de docteur ouvre plus de portes que des années d'expérience sur le terrain. Et les parents sont prêts à tout pour permettre à leur progéniture de décrocher les meilleures notes. Le père y consacre une bonne part de son salaire, pendant que la maman abandonne sa carrière pour se transformer en "coach" à plein temps, voiturant l'enfant d'un cours à un autre. En 2013, les ménages sud-coréens ont dépensé dix-huit milliards de dollars en éducation privée ! Un record mondial, pour un pays peuplé de cinquante millions d'habitants, grand comme le Portugal.

Mais un investissement payant, selon les classements éducatifs mondiaux. Pour la troisième fois consécutive, la Corée du Sud occupe la première place au sein de l'OCDE dans le classement PISA de 2012, qui mesure les aptitudes des élèves de 15 ans en matière de lecture, mathématique et sciences. Loin devant la France qui pointe au 25e rang. Seuls Shanghaï, Singapour, Hong Kong ou Taïwan font mieux, mais sur des populations plus concentrées. Le président Barack Obama en personne a appelé l'école américaine à s'inspirer du pays du matin calme.

"Ici, j'arrive à comprendre"

17 heures. La neige tombe à gros flocons sur les ruelles clignotantes de néons de Daechidong. Dans une salle sans fenêtre, cinq petites filles espiègles de neuf ans jouent avec des cubes de couleurs en riant. Depuis trois mois, une fois par semaine, elles s'initient au mystère des fractions grâce à une boîte à outils d'une trentaine de cubes en bois. Au pays du high-tech, la tablette Galaxy est également à portée de chacune, mais ce sont les morceaux de bois colorés qui fascinent les petites.

Au milieu de la pièce, le directeur Kim Tae-hyung est plutôt un maître de jeu qu'un prof : "La clé est d'apprendre en s'amusant. J'ai inventé une méthode qui leur permet de comprendre les fondamentaux en jouant. En quelques mois, elles peuvent élucider des problèmes géométriques du niveau du lycée", affirme fièrement le fondateur de ce hagwon hors norme, qui a déposé même un brevet. Avec succès : il y a une liste d'attente de sept mois de parents interpellés par cette nouvelle méthode, qui tranche avec le bachotage stakhanoviste qui est la norme de la plupart des concurrents. "Ici, j'arrive à comprendre, et j'ai eu des notes de 100 sur 100 ! À l'école, j'ai plus de mal. On n'a pas le droit de parler ni de donner son avis", explique la petite Suyeon. Le tout pour 130 euros par mois. La réputation a franchi les frontières, et deux écoles chinoises à Pékin et Harbin sont venues à Séoul acheter les droits de cette méthode miracle. Après les feuilletons, et la KPOP, "la Corée du Sud apparaît comme un modèle à suivre en matière d'éducation en Asie", juge Kim.

"Une guerre pour la réussite"

Cette pédagogie créative détonne au royaume de la mémorisation par coeur, mais son succès illustre la détermination sans failles des parents sud-coréens à explorer sans cesse de nouvelles méthodes pour accroître la compétitivité de leur bambin. Pas de tabou, tout ce qui donne des résultats est bon à prendre. Objectif, prendre de l'avance avant le lycée où les notes seront décisives en vue d'atteindre le Graal social du pays du matin calme : "SKY". L'acronyme implacable désignant les trois universités les plus prestigieuses du pays : Seoul, Korea et Yonsei. L'équivalent de Polytechnique, HEC ou l'ENA en France, mais préparée dès la classe maternelle. "C'est une véritable guerre pour la réussite. Aujourd'hui, il n'est plus possible d'atteindre SKY sans passer par des cours privés. Les bons résultats de la Corée du Sud viennent de là", affirme Kim. Fini le temps du fabuleux décollage économique des années 70, où les enfants jouaient ou s'ennuyaient pendant que leurs parents trimaient pour sortir de la misère. Avec l'avènement de la prospérité dans les années 90, l'entrée à l'université devient la norme.

Près de 80 % des élèves sud-coréens mènent en réalité une double vie. D'abord à l'école publique tôt le matin jusque dans l'après-midi, suivant les programmes nationaux. Puis, ils enchaînent sur une seconde journée dans les académies privées, des maths au piano en passant par l'anglais et la physique. À raison de 4 ou 5 cours privés par semaine, ils rentrent exténués à la maison chaque soir vers 22 heures. Les lycéens dorment moins de 5 h 30 par nuit et 70 % affirment manquer de sommeil, selon un récent sondage du National Youth Policy Institute. Le bachotage se poursuit le week-end et pendant les vacances durant des camps scolaires.

Pragmatisme

Débordée par le privé, l'école publique tente de répondre à cette quête insatiable de progression. Et sans tabou face aux nouveautés technologiques ou pédagogiques. À l'école primaire Jawoon, nichée entre des barres d'immeubles de la banlieue nord de Séoul, on utilise la tablette comme outil pédagogique depuis 2008 ! Chan Yeol, petit garçon aux lunettes d'Harry Potter, lit sur sa tablette son exposé qui s'affiche directement sur l'écran plat au-dessus du bureau du prof. "Cette génération a grandi avec ces objets, c'est plus naturel pour eux d'apprendre à travers eux que dans un manuel", explique le directeur Cho Chul-hee. À la fin du cours, chaque enfant vient rendre sa tablette gainée de cuir au professeur qui les renferme dans un coffre. L'école de 1 000 élèves fait partie des 140 sélectionnées à travers le pays pour tester les nouvelles technologies. Certaines écoles maternelles testent des robots-chiens pour apprendre aux bambins les rudiments de l'anglais.

Au ministère de l'Éducation, on joue également le pragmatisme, à l'affût des dernières tendances avec pour objectif de répondre aux demandes de parents ultra-exigeants, obsédés par les classements. "Le privé et le public sont complémentaires", juge Lee Gun-min, maître à l'école Jawoon. Après avoir adapté sa pédagogie pour mieux remplir les critères du PISA pendant des années, il cherche à répondre aux accusations de stakhanovisme en décrétant l'ère de "l'éducation par le bonheur". Il vient d'établir le principe d'un semestre libre, au collège, où les élèves peuvent respirer en pratiquant des matières artistiques ou sportives. Une courte pause de répit avant d'attaquer le redoutable col de l'entrée à l'université.

Car la Corée du Sud n'est pas près de guérir de son overdose scolaire, aux conséquences parfois tragiques comme l'illustre le plus fort taux de suicide au monde. Les pédagogues eux-mêmes affirment être impuissants face à l'ambition insatiable de réussite des parents. "Ces petites me font pitié, elles ne font plus qu'étudier", admet Kim, le directeur du hagwon ymath, qui vit pourtant de ce juteux business éducatif. Cho, le principal de l'école publique Jawoon, abonde. "Mon modèle reste l'Europe. Là bas, au moins, la santé des élèves passe avant toute chose", dit le vieil homme, l'air résigné.

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Commentaires (19)

  • alschreib

    L'enseignement est de qualité et les formations proposées sont de vraies formations mais les élèves sont bien loin du "modèle coréen".

  • logatetu

    Et pensent plutôt, à devenir une miss BAC+ 4, une testeuse de fidélité, ou un cadeau qu'il faut savoir emballer !
    nous avons déjà les classes préparatoires, qui détruisent tout raisonnement !
    et cerise, sur le gâteau, nous avons l'école 42, où des BAC - 2, sont confinés 24h/24, pour trouver des logiciels, que les BAC+ 12, n'arrivent pas à trouver !

  • marcopolo

    Non ce sont les parents qui déboursent pour l'école privé et en plus pas déductible sur l'impôt sur le revenu, avec le public les jeunes n'apprennent que le minimum et cela dépend de l'établissement, en fin de compte les futurs français seront loin derrière les coréens pour les technologies à inventer et à créer...