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Indignité nationale : « La France aurait beaucoup à perdre »

L’historienne Anne Simonin est réservée quant à l’idée que les djihadistes puissent être condamnés pour ce crime instauré à la Libération.

Le Monde

Publié le 22 janvier 2015 à 10h49, modifié le 19 août 2019 à 13h42

Temps de Lecture 3 min.

Anne Simonin, en 2012.

Manuel Valls a demandé, mercredi 21 janvier, une « réflexion » sur le rétablissement de « la peine d’indignité nationale », une mesure à propos de laquelle la ministre de la justice, Christiane Taubira, a émis des réserves, jeudi matin, sur France Inter. Anne Simonin, chercheuse au CNRS et directrice de la Maison française d’Oxford, a publié Le Déshonneur dans la République, une histoire de l’indignité 1791-1958 (Grasset, 2008).

L’indignité nationale revient dans le débat public. Cela vous semble-t-il approprié ?

Tout d’abord, on entend parler de « la peine d’indignité nationale » : ça n’existe pas. Il y a eu à la Libération un crime, l’indignité nationale, qui était sanctionné par une peine, la dégradation nationale. Cette confusion des termes trahit la confusion des esprits, alors qu’on cherche une solution pénale aux attaques terroristes qui se sont déroulées en France.

Qui était visé par l’indignité nationale à l’époque ?

Elle touchait avant tout les personnes qui avaient soutenu le régime de Vichy, en assumant des fonctions gouvernementales ou en adhérant à des partis favorables à la collaboration. L’antisémitisme était aussi directement ciblé, puisque avoir participé à la direction du commissariat général aux questions juives ou avoir publié des articles de propagande raciste constituait un crime d’indignité nationale.

« Le crime d’indignité nationale servait, en réalité, à codifier le lèse-République »

Pourquoi avoir eu besoin de créer ce crime ?

L’indignité nationale est un crime rétroactif inventé par les juristes de la Résistance intérieure en 1943. Cela correspondait à une situation historique inédite, celle de Françaises et de Français ayant soutenu le gouvernement de Vichy qui avait choisi de collaborer avec l’occupant nazi. Le crime d’indignité nationale servait, en réalité, à codifier le lèse-République, en punissant toutes les atteintes à la liberté, à l’égalité et à la fraternité.

Quel était le but de la peine  ?

C’était une peine dite « infamante ». Plutôt que la prison ou la mort, le législateur choisissait d’infliger à la personne condamnée une honte de droit. Le principal intérêt de l’infamie était la recherche d’une sanction alternative, résolument étrangère aux actuelles propositions.

Cela dit, l’indignité nationale n’avait pas vocation à rompre tout lien entre le condamné et la société. L’indigne national, c’était quelqu’un qui avait fait fausse route. L’indignité nationale avait une fonction « expressive ». En l’appliquant, la communauté manifestait sa réprobation forte d’un comportement jugé inadmissible, mais elle admettait aussi la possible réintégration de l’indigne national demeuré libre de ses mouvements, même pendant l’exécution de sa peine.

Plusieurs personnalités politiques mettent en avant le caractère symbolique de cette peine…

C’est absolument faux. La dégradation nationale était une peine très lourde. Conçue sur le modèle de la dégradation civique du code pénal de 1810, la dégradation nationale comporte un bloc indivisible de privations, incapacités, déchéances. On a, aujourd’hui, un imaginaire pénal centré sur le « tout-prison », qui non seulement ne fonctionne pas mais interdit de comprendre d’autres logiques répressives. L’infamie de droit a toujours été une condamnation lourde dans le cadre républicain : parce qu’elle privait le citoyen de son honneur, certes, mais surtout parce qu’elle lui attribuait un statut dégradé, de citoyen de seconde zone. L’indigne national était un mort social.

Pourquoi l’indignité nationale a-t-elle été abandonnée ?

Appliquée entre 1945 et 1951, elle a suscité tellement de difficultés et souvent créé des situations personnelles si compliquées qu’il a fallu une loi d’amnistie, adoptée en 1951, pour mettre un terme à ses effets. Aujourd’hui, il faudrait éviter la surenchère pénale en confondant l’indignation, légitime face à certains actes inqualifiables, et l’indignité nationale, qui, associée à la déchéance de nationalité comme certains semblent le vouloir, risque de créer en masse dans la République des « non-sujets de droit » et porter atteinte aux principes énoncés dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

A quoi servirait l’indignité nationale dans la lutte contre le djihadisme ?

Les djihadistes ne sont pas des vichystes. De plus,ce type de peine n’existe plus en droit français, les peines infamantes ayant disparu du code pénal. Et associer, la privation des droits civiques à la déchéance de nationalité revient, en réalité, à rétablir un état archaïque, aboli en 1854, l’état de mort civile, hérité de l’Ancien Régime.

Je ne suis pas certaine que la fiction de la « France pays des droits de l’homme » ait à y gagner. En revanche, je suis certaine qu’elle aurait beaucoup à y perdre. En faisant resurgir le spectre de la mort civile, la nouvelle indignité nationale signerait la seule défaite qui soit irréversible pour la République face à la menace terroriste : une défaite de principes.

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