Par Hervé Drévillon, professeur à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne
Le « 11-Septembre français » partage avec son antécédent américain, le fait de provoquer une efflorescence d’appels à la guerre. Or le précédent américain et la dangereuse notion de « global war on terror » (guerre globale contre le terrorisme) nous apprennent à quel point il peut être pernicieux de mobiliser le référent guerrier, qui nous entraîne sur les fausses pistes, jadis empruntées par George W. Bush.
Caractériser la situation présente comme un état de guerre ouvre un horizon d’attente, qui dispose les esprits à accepter le glissement sur la pente dangereuse de l’état d’exception et du conflit de civilisations. Ceux qui nous déclarent en guerre sont-ils prêts à prendre les armes et à sacrifier leur vie ? Car, la guerre c’est cela et rien d’autre. Et nous n’y sommes pas. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il n’existe pas de péril, que la patrie n’est pas en danger.
Le péril, en effet, est double. C’est d’abord le spectre d’un terrorisme global incarné par Al-Qaida ou Daesh, contre lequel les moyens de lutte nous sont connus même s’ils doivent être améliorés : renseignement, actions policières et, éventuellement, militaires. Certains des moyens employés pour cette lutte sont, en effet, ceux de la guerre : frappes aériennes en Irak, déploiement de troupes dans la bande sahélienne, etc. La discussion sur l’adaptation de ces moyens est en cours et elle intégrera un débat sur l’éventuelle transformation de l’arsenal juridique. C’est une question complexe, mais elle peut être résolue.
UNE LONGUE TRADITION DE DISCORDE CIVILE
L’autre péril, sans doute plus inquiétant, n’a rien à voir avec le référent guerrier, car il ne résulte pas d’une menace extérieure, mais de l’action de jeunes Français, quelles que soient leurs origines, parvenus à un degré de radicalisation extrême et de ressentiment contre leur pays. Il faut alors se demander pourquoi la France fournit autant de candidats au djihad et constater qu’aucune nation n’engendre, plus que la nôtre, la détestation d’elle-même.
La France possède, en effet, une longue tradition de discorde civile, de confrontation entre le discours intégrateur de la République une et indivisible avec son contraire. Mais sans doute est-on parvenu à une phase nouvelle de cette confrontation lorsque, dans une parfaite symétrie, s’oppose l’idée que la France est l’ennemie de l’Islam à celle que l’Islam est l’ennemi de la France. Cette sinistre alternative ne saurait être surmontée en invoquant les auspices maurassiens de « l’identité nationale ». La nation n’est qu’accessoirement une identité, car elle est avant tout un corps politique uni par un projet commun, que l’on nomme « République ».
En ses origines, le projet républicain se forgea dans la guerre. La république a été portée par le peuple en armes conquérant sa souveraineté par l’insurrection lors de la prise des Tuileries le 10 août 1792, puis par la guerre, à Valmy, le 20 septembre suivant. Et lorsque cette république fut menacée, par la guerre civile comme par l’invasion étrangère, elle décréta, le 23 août 1793, la levée en masse.
RENDRE LE SERVICE CIVIQUE OBLIGATOIRE
Nous avons besoin aujourd’hui d’une nouvelle levée en masse, mais d’une autre nature, car il n’est plus question de défendre les frontières avec une armée de conscrits. La formidable et réconfortante mobilisation du 11 janvier fut bien une levée en masse, dont il faut désormais entretenir la flamme. Et pourquoi pas, par le moyen du service civique, évoqué sur TF1 par François Hollande le 6 novembre dernier, dans une indifférence quasi-générale ? Le service civique n’existe aujourd’hui que sous la forme du volontariat, qui ne constitue, en l’état, qu’une expression, certes noble, du civisme. Or nous avons moins besoin de civisme, que de citoyenneté. Et celle-ci ne peut résulter que de l’universalité, donc de l’obligation.
Assurément l’universalisation du service civique aura un coût, mais elle dégagera également des bénéfices. Le service civique sera un service, c’est-à-dire qu’il permettra l’accomplissement de missions actuellement dévolues à des agents publics ou à des associations, qui pourront recevoir un renfort de compétences ou être déchargés de certaines taches, qui les détournent de leur mission principale. Ce service ne sera pas toujours intéressant ; mais il n’était pas « intéressant » d’apprendre à manier les armes et à risquer sa vie lorsque le service était militaire. Militaire, il pourra l’être, mais non exclusivement. Sous ses deux formes, civile ou militaire, il sera évidemment masculin et féminin. Peut-être même national et international, si l’on trouve le moyen d’y intégrer de jeunes résidents étrangers sur le territoire français.
L’universalisation du service civique ne permettra pas de repousser la menace terroriste, mais elle peut être un moyen, rien qu’un moyen, de faire vivre le projet commun qui fonde notre nation. Elle entretiendra l’élan d’une levée en masse adaptée à un temps qui n’est pas celui de la guerre.
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