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Interview

«Il ne faut pas renouveler le dialogue social en France, mais le créer»

Pour Alfred Grosser, sociologue, historien et spécialiste de la relation franco-allemande, syndicats et patronat doivent sortir du refus mutuel de la cogestion.
par LIBERATION
publié le 23 janvier 2015 à 16h11

Alfred Grosser sera aux Rencontres du Dialogue Social les 3 et 4 février prochains à la Défense. Il participera au débat "

Comment négocient nos voisins européens ?

", mercredi de 11h à 12h30

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Entrée gratuite sur inscription

Pourquoi ce besoin de renouveler, en France, le dialogue social ?

Il ne faut pas renouveler le dialogue social, mais tout simplement le créer. Car ce qui fait la particularité de la France dans ce domaine, c'est le refus mutuel de la cogestion. Pour la majorité des syndicats français, il n'est pas question de «cogérer le capitalisme». En face, les chefs d'entreprise ne veulent surtout pas cogérer avec les représentants syndicaux, les faire participer à la stratégie de l'entreprise.

Mais la cogestion ne va pas de soi avec la culture d’entreprise à la française…

Le préambule de la constitution de 1946 (IVe République), souvent évoquée par le Conseil constitutionnel, indiquait pourtant bien que «tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises». La cogestion est bien dans la Constitution française, mais dans les faits elle est aujourd'hui nulle, ou presque. Il y a bien les comités d'entreprise, mais de quoi s'occupent-ils ? Certainement pas de la gestion financière de l'entreprise…

Quel rôle faut-il donc donner aux comités d’entreprise?

Il faudrait leur donner la possibilité d’être véritablement associés à cette gestion. C’est-à-dire être mis au courant des finances de l’entreprise, de ses perspectives économiques, du plan de gestion pour l’avenir. Et pas seulement cantonner leur rôle à accepter, ou non, tel plan de licenciement pour que l’entreprise puisse repartir ou voir monter sa côte en bourse. Tout est question de responsabilisation. C’est ainsi que ça fonctionne en Allemagne.

Le modèle allemand est souvent cité en exemple en termes de dialogue social. Qu’en est-il réellement?

C’est en effet une tradition ancienne, qui a commencé le 15 novembre 1918 en pleine révolution. Il y avait alors eu un accord entre le syndicat unique, ancêtre du DGB (Confédération allemande des syndicats) actuel, et les représentants du patronat. Celui-ci prévoyait l’octroi d’avantages aux travailleurs contre l’arrêt du mouvement. Cette culture de la négociation est restée jusqu’à aujourd’hui.

Concrètement, comment cela se traduit-il ?

Grâce à cette cogestion, on peut par exemple se permettre de demander aux syndicats une diminution des salaires en attendant que la situation se redresse. Et lorsque effectivement la situation économique de l’entreprise s’améliore, les syndicats sont immédiatement mis au courant et demandent à retrouver les anciens salaires. Pendant ce temps-là, il n’y a eu aucun licenciement, aucune perte de savoir-faire. Néanmoins, même en Allemagne, la menace de la grève n’est jamais très loin lors des négociations. Mais ses modalités de déclenchement et de reconduction (à la majorité des deux tiers du personnel) font qu’elle n’est utilisée qu’en dernier recours.

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