Chokrane : pour une poignée de drachmes en plus...

L'industrie financière pourrait être la seule bénéficiaire de la politique très accommodante de la BCE. Et pas les entreprises ni les consommateurs...

Par

Mario Draghi a fait un beau cadeau aux marchés financiers. © Filippo Monteforte/AFP

Temps de lecture : 7 min

L'annonce du rachat des dettes souveraines par la BCE et la victoire du parti de la gauche radicale en Grèce, événements largement anticipés, ne sont pas des tournants historiques, contrairement à ce qu'en disent les commentateurs. Ils ne sont que les signes symptomatiques du marasme économique dans lequel nous nous trouvons.

Objectif affiché du QE : la lutte contre la déflation

Mario Draghi a été très clair : on ne plaisante pas avec l'hydre de la déflation. Le danger est si imminent qu'il y a urgence à lutter contre cette spirale infernale. Le QE va commencer en mars prochain et durera le temps qu'il faut pour que l'objectif de remontée de l'inflation soit atteint.

La newsletter débats et opinions

Tous les vendredis à 7h30

Recevez notre sélection d’articles tirée de notre rubrique Débats, pour comprendre les vrais enjeux du monde d’aujourd’hui et de notre société

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription à bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Nous devrions tous aller vivre au pays de la théorie, car en théorie, tout fonctionne... Donc, en théorie, cette annonce a pour effet de faire baisser les taux des obligations souveraines et par conséquent de soulager les pays endettés. Les investisseurs à la recherche de rendements supérieurs se détournent de l'Euroland, ce qui provoque la baisse de l'euro et par voie de conséquence le renchérissement des produits importés et, donc, une hausse de l'inflation.

Un dispositif astucieux vis-à-vis de l'Allemagne

Mario Draghi a insisté sur le fait que dès que l'inflation atteindrait un niveau proche et inférieur à 2 %, les rachats cesseraient. Il n'a échappé à personne que les Allemands sont réticents à ce QE, qui consiste pour eux à prêter aux autres membres de la zone euro. Autrement dit, si les Allemands veulent que ces rachats cessent au plus vite, ils ont intérêt à augmenter les salaires, ce qui aurait un effet inflationniste immédiat. Cette politique aurait aussi pour avantage de profiter aux autres pays de l'Euroland qui ont encore une industrie capable d'exporter, à savoir l'Italie et l'Espagne. La France, n'ayant pas fait de réformes structurelles, n'en profiterait que très faiblement. Ce QE, tel qu'il est élaboré, a pour seul mérite d'inciter les Allemands à se comporter de façon moins vertueuse, c'est-à-dire à dépenser plus, sous peine de se voir obligés de payer la dette des autres pays membres, dont celle de la France. C'est le résultat d'une habileté politique indéniable de la part de Mario Draghi.

Mais, en réalité, pour que le cycle infernal de la déflation soit évité, il faudrait que les acteurs économiques aient suffisamment confiance pour consommer plus et épargner moins. La population vieillissante n'est pas encline à le faire. Nous sommes dans une situation de paupérisation telle qu'une partie non négligeable de la population est exclue de la consommation. À ce constat s'ajoute l'élaboration calamiteuse de la monnaie unique, l'entrée rocambolesque de la Grèce dans l'Euroland et enfin la gestion lamentable de la crise de la dette grecque. Cette cacophonie politique n'incite guère à la confiance.

Quels effets sur l'économie réelle ?

Ce QE accélère la dépréciation de l'euro par rapport aux autres monnaies. S'il est vrai que l'on ne doit pas plaisanter avec la déflation, il n'en demeure pas moins vrai que l'on ne doit pas non plus jouer avec la monnaie. Prenons l'exemple du Japon, pays comparable, où les différents assouplissements quantitatifs conjugués à des dévaluations du yen ont échoué : la déflation est toujours là et il n'y a aucune reprise économique. Les dévaluations du yen n'ont pas permis à l'industrie japonaise d'exporter davantage. Elles n'ont abouti qu'à un appauvrissement général, sans relance de l'activité.

En provoquant la baisse des taux des obligations souveraines, la BCE incite l'épargnant à chercher des placements avec un meilleur rendement, par exemple le marché actions, devenu plus attractif. Aux États-Unis, les entreprises se financent davantage sur le marché boursier qu'auprès des banques. Si bien qu'avec un marché boursier à la hausse, le financement est plus facile à obtenir. Et malgré ce système plus favorable, les QE américains n'ont eu qu'un effet très limité sur l'économie réelle. Les créations d'emplois (statistiquement surévaluées) ne donnent pas lieu à des augmentations de salaire. Où est l'effet inflationniste ? Où est la relance économique ?

En Europe, les entreprises se financent principalement auprès des banques. La question est de savoir si celles-ci vont jouer le jeu. Tant que les demandes de crédit sont rares, les banques ne pourront pas changer la donne. Les PME exportatrices n'ont pas besoin des banques et ne font pas de demandes de crédit. Quant aux autres, le crédit leur est refusé la plupart du temps. En France tout particulièrement, le système bancaire n'apporte aucun effet de levier, les banques de détail se contentant d'engranger les frais et les commissions. L'épargne ne sera pas forcément drainée vers l'économie réelle, moins attractive et fragilisée.

Le jackpot pour l'industrie financière

Les QE permettent d'assainir le bilan des institutions financières privées qui détiennent de la dette souveraine, de faire monter le marché actions et d'autres bulles spéculatives. Ils abreuvent l'économie financière de liquidités dont l'économie réelle ne voit pas la couleur. C'est aussi une perfusion donnée à un grand malade devenu dépendant, sans cure de désintoxication : nous subissons aujourd'hui encore les conséquences de l'implosion du système financier de 2007-2008. Investir dans l'économie réelle est moins rentable et plus risqué que dans l'économie financière.

La distribution de liquidités vers le monde financier constitue une perte de valeur considérable, comme le regrettent les partisans de Milton Friedman qui ont appelé, en vain, à la distribution directe d'argent aux ménages pour relancer l'économie réelle.

La France exonérée de toute réforme structurelle ?

Soyons concrets et voyons ce qu'il en serait pour la France. Si la BCE décidait de racheter une partie des dettes de l'État français, sachant que la Banque de France détient 14 % de son capital, la BCE consacrerait 14 % des 60 milliards mensuels consacrés au rachat des dettes souveraines, soit 8.4 milliards par mois, au total, plus de 100 milliards en un an, ce qui est loin d'être négligeable (pour simplifier le calcul, les rachats d'actifs privés ne sont pas pris en compte). Autrement dit, la pression diminue largement.

La France pourra donc continuer à subventionner stupidement des canards boiteux et des industries du passé. Rappelons que le premier bénéficiaire du Cice n'est autre que La Poste... C'est assez symptomatique de la manière dont les finances publiques sont gérées dans notre beau pays. Pour tous ceux que le terme "réforme" effraie, précisons qu'une véritable réforme structurelle n'a pas pour but d'imposer des cures d'austérité pour appauvrir les pauvres. Les politiques d'austérité créent des récessions et donc une diminution des rentrées fiscales des états endettés, ce qui ne fait pas l'affaire de leurs créanciers. Une réforme structurelle a pour but d'augmenter le potentiel de croissance de l'écosystème productif, de le muscler et d'améliorer sa capacité à répondre aux défis économiques. Nous sommes donc très loin du compte. Malheureusement, la France est dirigée par une élite profitant du système de reproduction sociale français. Son pouvoir est proportionnel aux prérogatives de l'État qu'elle s'efforce constamment d'accroître, même lorsque celui-ci est incompétent. Elle n'a aucune vision stratégique ou entrepreneuriale, aucune notion de ce qu'est une stratégie industrielle digne du XXIe siècle.

Qu'adviendra-t-il de la Grèce ?

Les élections d'hier ne changent rien à la réalité économique. Comme je l'avais expliqué dans l'article 2015, l'odyssée de la Grèce, la Grèce est ruinée et elle est incapable de payer ses dettes. Si le rachat des dettes grecques est décidé par la BCE, il ne peut se faire que dans la limite de 14,4 milliards par an, ce qui est insuffisant au regard des 318 milliards que doit la Grèce. Si ce rachat a lieu, il aura pour but de soulager les pays créanciers, comme la France par exemple. Il n'aura pas pour but d'aider la Grèce, tout simplement parce que toute aide, à moins d'une annulation de plus grande envergure, est vaine. La Grèce ne pourra pas payer.

L'avenir de l'Euroland en jeu

Il n'y a donc pas de miracle à attendre de ce QE. Pas de miracle non plus pour Syriza. Seule l'Espagne est en mesure de profiter de ce QE. On comprend pourquoi Angela Merkel était si peu enthousiaste à Davos, au moment où Mario Draghi annonçait le QE depuis Francfort. Même si la Bundesbank a acquiescé à ce QE (car il faut bien lutter contre la déflation, tout au moins tenter de le faire et aussi parce qu'ils se rendent bien compte que les dettes ne pourront pas être remboursées dans leur intégralité) les Allemands se demandent désormais quelle sera leur marge de manoeuvre face à cette nouvelle donne qui exonère totalement la France de l'obligation de procéder à de vraies réformes structurelles.

D'aucuns voient dans cette décision la fin d'une construction européenne orientée vers davantage de fédéralisme ou de solidarité. En effet, les Allemands ont obtenu malgré tout une demi-victoire puisque la mutualisation des dettes n'est pas entière. Elle est limitée à 25 % de chaque émission et à 30 % de la dette totale de chaque pays membre. Sans mutualisation totale des dettes, l'Euroland ne peut offrir une zone monétaire optimale.

Ce pourrait être le début de la dislocation d'un édifice dont les vices de construction, considérés il y a 10 ans comme insignifiants et sans danger, provoquent aujourd'hui une ruine. Ruine romaine que Mario Draghi a de fortes chances de retrouver dès les mois de novembre à la fin de son mandat à la BCE en étant élu à la tête de l'Italie.

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation

Commentaires (11)

  • UNIQUE42

    Que l'économie doive repartir je serais ravie que le Trésor Public m'envoie les 14e promis aux retraites de moins de 500e.
    Je ne sais pas si les retraités de 700e ont vu passé leur fameux 8e mais, moi, je n'ai rien eu...
    Y EN A MARRE DES PROMESSES, des certitudes de ces Messieurs. Lorsque j'étais enfant et que je disais j'ai faim, invariablement j'avais "mange ta main et garde l'autre pour demain ! "
    C'est probablement ce que je vais devoir faire sous peu

  • atchaji

    La déflation généralisée est la solution d'équilibre pour la production et la consommation.
    Les métiers de l'argent, si l'argent disparait ou presque, deviennent beaucoup moins utiles.
    Plus de démocratie entre les citoyens c'est plus de fraternité et plus d'égalité. Ce n'est pas de présenter la déflation, des émotions vives qui ne se libèrent plus des chiffres, comme ceux de la croissance, etc. , etc.
    Nous vivons dans la matière, le plaisir y réside. Ne restons pas coincés dans une "petite case" de notre cerveau : la tyrannie qui finit toujours par crier aux armes.

  • ubu22

    Il ne reste plus qu'à demander à F. O. G pourquoi les Français sont pessimistes...

Abonnement Le Point