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Egypte

Les chiffonniers du Caire mis en péril par un projet… d’aide aux pauvres

Les autorités égyptiennes envisagent de mettre en place le projet "nourriture contre déchets "pour soutenir les ménages en difficultés et créer des opportunités d’emploi. Mais ce projet pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les chiffonniers du Caire, ou "zabalines ", un réseau informel de ramasseurs d’ordures qui nettoient depuis plus de 50 ans les rues de la capitale.

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Les autorités égyptiennes envisagent de mettre en place le projet "nourriture contre déchets" pour soutenir les ménages en difficultés et créer des opportunités d’emploi. Mais ce projet pourrait avoir des conséquences désastreuses sur les chiffonniers du Caire, ou "zabalines", un réseau informel de ramasseurs d’ordures qui nettoient depuis plus de 50 ans les rues de la capitale.

Les zabalines chargeant un camion de sacs remplis de déchets. Photo de Makarios Nassar

Le projet "nourriture contre déchets", actuellement à l’étude par le ministère de l’Approvisionnement et du Commerce intérieur en coordination avec le ministère de l’Environnement, a notamment pour objectif de soutenir les ménages qui ne peuvent faire face à l’augmentation du coût de la vie. Dans le cadre de ce programme, les familles auraient la charge de faire le tri des ordures pour faciliter le recyclage. Elles obtiendraient en contrepartie des points supplémentaires sur leurs cartes d’approvisionnement pour se fournir dans les magasins d’État subventionnés. Selon le ministre de l’Approvisionnement et du Commerce intérieur, Khaled Hanafi, le projet aurait donc un double intérêt écologique et économique, dans un pays où l’inflation est estimée à 10 % en moyenne par an selon la Banque centrale égyptienne.

"Les chiffonniers sont maintenant des entreprises familiales. Notre travail comprend la collecte, le tri, le recyclage et la vente"

Ezaat Naim Gendy, premier secrétaire du syndicat des chiffonniers est le fondateur de l'association "rouh al-chabab", qui a mis en place des campagnes de sensibilisation sur le travail des "zabalines".

L’histoire des chiffonniers commence au Caire dans les années 50. Ils ont commencé à travailler pour les "wahi", des gens originaires des oasis qui partaient ramasser des ordures à l’aide de charrettes tirées par des ânes et les faisaient sécher au soleil dans le désert. Ils partaient ensuite les vendre comme matériau combustible. Les gens s’en servaient pour faire fonctionner leur four à pain, ou faire chauffer de l’eau. Mais à partir de 1948, le gouvernement a interdit l’usage des déchets comme combustible.

Chiffoniers dans une rue du Caire.

Les "wahi" ont donc cherché un moyen pour continuer à gagner de l’argent. La ville du Caire s’étendait et les besoins en ramassage des déchets devenaient plus importants. Ils ont donc fait venir des gens du sud de l’Égypte, parmi lesquels se trouvait mon grand-père. On les appellait les "zabalines". L’accord était le suivant : les habitants payaient une somme aux "wahi "chaque mois et les "zabalines" étaient chargés de ramasser les ordures. Ces derniers ne percevaient pas d’argent directement pour cette tâche, à moins que les "wahi" aient la grâce de leur donner un petit pourcentage de la somme versée par les habitants. Les ramasseurs y trouvaient en revanche un intérêt car ils pouvaient nourrir leurs cochons avec les déchets organiques trouvés dans les poubelles. Leur source de revenue principale provenait de l’élevage de leurs cochons. Raison pour laquelle la majorité des "zabalines" sont coptes.

Dans l'arrière-cour d'une maison à Manchiet Nassar. Photo Makarios Nassar.

Les chiffonniers sont maintenant des entreprises familiales. Chaque jour, à 4 h du matin, un père de famille et ses fils partent collecter les ordures. Ils ont la charge de 300 à 500 appartements. Le travail est immense. Les enfants ne vont pas à l'école. Leurs efforts sont nécessaires à l’entreprise familiale, et ils seront un jour amenés à diriger l'entreprise. Vers 10 h, ils ramènent les ordures à la maison, qu'ils laissent sur le seuil. Ce sont les femmes et les filles qui se chargent ensuite de trier. La pièce principale de la maison, également pièce à vivre, est réservée au stockage des déchets en dur. Les déchets organiques sont réservés aux cochons qui se trouvent dans l’arrière-cour des maisons. Les excréments des animaux sont vendus. Ils serviront de compost une fois transformés.

Zabalines, père et fils après une journée de travail. Photo de Makarios Nassar

Depuis les années 80, grâce à l’aide d’ONG locales et internationales, nous avons pu diversifier nos tâches. Nous ne nous contentons plus de ramasser les ordures et de les trier. Plusieurs familles ont pu obtenir les moyens de se spécialiser dans le recyclage des déchets et leur donnent une seconde vie. Elles fabriquent des tables, des chaises, etc… Aujourd’hui, les "zabalines" ramassent les poubelles, les trient, les recyclent, les vendent. Nous vendons le fer, le verre, le plastique à des entreprises locales et internationales. Une entreprise chinoise par exemple nous rachète du plastique.

Recyclage de canettes. Photo de Makarios Nassar.

Les chiffonniers ont toujours travaillé de façon officieuse. En 2003, le gouvernement égyptien a scellé des contrats avec des entreprises étrangères pour le ramassage des ordures. Les habitants payent aujourd’hui ce service à l’État. Ces entreprises ont installé des bennes à ordure en bas des immeubles, mais les gens ne descendent pas leurs poubelles. Ils les laissent devant leurs portes. Ils ont pris l’habitude que les "zabalines" viennent les chercher contre une petite pièce de temps en temps. L’entreprise italienne AMA Arab a fini par faire appel aux "zabalines" pour la collecte et le recyclage des déchets. Aujourd’hui, 85 entreprises "zabalines" ont officialisé leur existence. D’autres préfèrent attendre car ils ont peur de payer trop de taxes. Ils continuent néanmoins à faire leur travail, là où les entreprises leur permettent de le faire. Finalement, le système actuel est moins efficace et plus coûteux. Les gens payent deux fois pour un même service.

Les femmes travaillent dans l'entreprise familiale, notamment au tri des déchets. Photo de Makarios Nassar.

Par ailleurs, un autre problème s’est posé avec l’arrivée des bennes à ordures. Les entreprises ne viennent chercher les conteneurs que quand ils sont remplis à ras bord. Résultat, d’autres personnes cherchent à en profiter. Ils viennent pour la plupart des bidonvilles et sont à la recherche d’objets de valeur qu’ils entendent revendre. C’est pour nous un manque à gagner. Il y a aussi des chiens et chats errants qui viennent éventrer les sacs poubelles, ce qui n’aide pas à améliorer la propreté des rues.

"Près d’un million d'Égyptiens travaillent dans le secteur du ramassage d’ordures "

Près d’un million d'Égyptiens sont employés dans le secteur du ramassage, triage, recyclage des ordures. Le projet du ministre Hanafi, "nourriture contre déchets" sera pour nous catastrophique. Il met en péril notre profession. La collecte et le triage des ordures est une tâche qui nous revient. Elle a déjà été mise à mal par l’arrivée des entreprises étrangères. L’État doit nous soutenir. Que deviendront toutes ces personnes ? Elles n’ont pas reçu de formation. Où est l’idéal de justice ? Pourquoi ne pas nous aider à nous enregistrer comme entreprise plutôt ?

Nous avons aujourd’hui un syndicat indépendant. Il n’est pas très puissant mais nous entendons défendre nos droits, défendre notre travail, montrer à quel point il profite à toute la société. Prenez l’exemple de notre dernier projet. Nous récupérons du matériel informatique, nous le remettons en état de fonctionner et nous le donnons aux plus pauvres pour qu’ils puissent se former aux nouvelles technologies."

Lise Debout, maître de conférence en urbanisme à l'Université de Nanterre Paris X et spécialiste de la question, nuance toutefois les conséquences de ce programme pour les chiffonniers. S'il pourrait en effet être un manque à gagner pour ces ramasseurs, il demeure qu'ils s'aventurent rarement dans les quartiers les plus pauvres pour récupérer les déchets. Or c'est cette population qui pourrait bénéficier de ce programme.

Cet article a été écrit en collaboration avec Dorothée Myriam KELLOU, journaliste à France 24 et avec l'aide du blogueur Makarios Nassar

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