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Sa femme raconte son calvaire - Raif Badawi, le blogueur condamné

Ensaf Haidar espère la clémence de la justice saoudienne pour son mari, Raif Badawi.
Ensaf Haidar espère la clémence de la justice saoudienne pour son mari, Raif Badawi. © DR
Anthony Verdot-Belaval , Mis à jour le

Depuis 2013, Ensaf Haidar a trouvé refuge avec ses trois enfants à Sherbrooke, une petite ville du Québec. Là-bas, elle attend désespérément la clémence de la justice saoudienne sur le cas de son époux, Raif Badawi, le blogueur condamné en novembre dernier par la cour d'appel de Riyad à 10 ans de prison, 1000 coups de fouet et 260 000 dollars d'amende. En exclusivité pour Paris Match, Ensaf Haidar livre les conditions de détention de Raif, son quotidien avec les enfants, ses espoirs mais aussi ses inquiétudes.

Paris Match : Cela fait maintenant deux semaines que les coups de fouet sont annulés pour «raisons médicales». Pouvez-vous nous dire comment va réellement Raif ?
Ensaf : Raif ne cicatrise pas et ne mange pas bien. Tout du moins, pas suffisamment. Je suis terriblement inquiète pour sa santé. Dans cet état, comment pourrait-il résister à une nouvelle séance de flagellation ? De plus, son moral est au plus bas. Il faut comprendre que mon époux est toujours dans l'attente d’une décision de la Cour suprême et n'a aucun repère sur sa situation. Il est même constamment sous pression. La preuve, vendredi dernier, la séance de coups de fouet a été annulée car il avait une tension trop haute.

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Arrivez-vous à communiquer directement avec lui ?
Oui, je peux parler au téléphone avec Raif. La prison a donné des autorisations pour cela. Quelques minutes seulement qui me permettent d'entendre sa voix… A chaque fois, Raif est tellement courageux. Il me demande des nouvelles des enfants, il veut que je lui raconte notre quotidien. Jamais un mot ou presque sur lui et ses conditions de détention.

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Quelles sont les conditions d'incarcération de Raif ?
Il y a trois semaines, Raif a été transféré dans une autre prison. Depuis, même si je sais qu'il fait tout pour ne pas m'inquiéter, il semblerait qu'il soit mieux traité. C'est déjà une première victoire car avant cela, Raif était incarcéré dans une prison insalubre, surpeuplée où près de 600 hommes étaient agglutinés dans une salle commune. Il n'y avait pas assez de nourriture, il ne pouvait pas dormir… Imaginez tout de même qu'entre son emprisonnement en 2012 et sa flagellation le 9 janvier 2015, mon mari n'a jamais vu la lumière du jour !

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"Je n'ai pas vu mon mari depuis 2009"

Le roi Abdallah a demandé un recours devant la Cour Suprême pour juger à nouveau le dossier de Raif. Sa mort va-t-elle changer quelque chose ?
Raif a épuisé tous ses recours devant la justice saoudienne en novembre dernier. C'est le roi lui-même qui avait demandé le recours devant la Cour Suprême en décembre 2014. Rien n'a bougé depuis… Le roi Salmane est de la même famille qu'Abdallah et, surtout, ne va pas révolutionner le régime. Donc pour le moment, Raif reste en danger. Il est en mauvaise santé, il est diabétique et la flagellation de vendredi devrait avoir lieu. Le médecin de la prison n'a pas encore statué.

Raif avec ses trois enfants.
Raif avec ses trois enfants. DR

Avant 2012, Raif avait-il déjà reçu des menaces du pouvoir saoudien ? Peut-on dire qu'il gênait le pouvoir ?
Pas vraiment. Le début des ennuis, c'est 2009. Le père de Raif ordonne à son fils de stopper ses activités de blogueur devant un tribunal saoudien. Il faut savoir que dans notre pays, un fils, quel que soit son âge, a un devoir d'obéissance total envers son père. Le pouvoir a alors commencé à surveiller et ennuyer mon mari : interdiction de sortir du territoire, retrait du permis de conduire, interdiction de travailler… C'est à ce moment-là que j’ai quitté le pays avec les enfants. Pour nous protéger. D’abord en Egypte, puis au Liban. C'est lorsque le père de Raif a essayé de me prendre les enfants que nous sommes partis loin, au Canada, le 31 octobre 2013. Je n'ai jamais revu Raif depuis 2009.

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Vous étiez déjà partie avec les enfants, mais que savez-vous de son arrestation en 2012 ?
Raif appelait plusieurs fois par jour pour prendre des nouvelles. On lui manquait terriblement. Un matin, plus rien… Je me souviens avoir pris mon téléphone, avoir appelé. Au bout du fil, un homme qui n'était pas mon époux répondait : «Qu'est-ce que vous voulez ?» J'ai très vite compris que quelque chose n'allait pas. Des amis à moi, en Arabie saoudite, ont confirmé cette impression en m'apprenant qu'il était en prison. Trois jours après, j'avais Raif au téléphone. J'étais dévastée. On ne savait pas pourquoi il était en prison, nous pensions même que c'était encore pour l'histoire de son père. Ce n'était que le début de l'enfer .

A quoi ressemble votre quotidien à Sherbrooke, au Canada ?
Jusqu'à récemment, nous avions une vie normale. Plus ou moins. Les enfants allaient à l'école. J'allais à des cours de français. J'ai tout fait pour éviter aux enfants de connaître la vérité sur leur père.

Vous vouliez les protéger …
Oui, les enfants n'avaient pas à savoir que leur papa adoré était en prison, dans ces horribles conditions. Mais le 9 janvier, lorsque mon mari a été flagellé sur la place de la mosquée à Djeddah, je n'ai plus rien contrôlé. Les télévisions du monde entier, les radios, la presse écrite et surtout le web ont parlé de Raif. J'ai tenté d'expliquer la situation, mais en vain. La vérité est trop dure pour mes trois enfants : leur père est torturé à coups de fouet.

Quand vous viviez ensemble, quel genre d'homme était Raif ?
C'était un homme bon, le meilleur qui soit. Parfois, il était peut-être même trop gentil. Si une personne lui faisait un mauvais coup, il pardonnait toujours. Il aimait les gens et le contact à tout prix. Avec les enfants, c'était un "papa-poule". C'était toujours moi qui avais le mauvais rôle. Je grondais toujours les enfants, jamais lui. Ils l'avaient d'ailleurs bien compris !

"Pour ne pas le rater"

La communauté internationale s'organise depuis plusieurs semaines pour faire pression sur la justice saoudienne. Est-ce que cela vous aide à surmonter cette épreuve ?
J'en ai parlé à Raif pendant nos discussions au téléphone. Ce soutien est incroyable, cela nous aide à tenir. A chaque fois que l'on parle de lui, j'ai l'impression que c'est un signe et que sa libération approche.

Ce soutien mondial peut-il faire céder le pouvoir ?
Longtemps on a fermé les yeux sur ce qu'il se passait en Arabie saoudite, sans doute parce qu’il existe des liens très forts entre ce pays et la communauté internationale. Aujourd'hui, on ne peut plus. Le silence est brisé, des situations comme celle de mon mari sont connues. Il faut agir et vite.

Quelle est la place des droits de l'Homme en Arabie saoudite ?
C'est assez simple, il n'y en a pas. En Arabie saoudite, la liberté d'expression, les organisations de défense des droits de l’homme, ou encore les droits des femmes n'existent pas ! Les femmes sont considérées comme des mineures à vie : elles n'ont pas le droit de se déplacer seules, de se faire opérer sans l'autorisation de leur mari ni même de conduire. L'Arabie est aussi dans le top 5 des pays qui recourent le plus à la peine de mort. En 2013, 87 personnes ont été tuées, soit un être humain tous les 4 jours. En 2015, les chiffres semblent en augmentation.

Votre fils Doudi a écrit une lettre bouleversante à son père . Il imaginait le retour de Raif à l'aéroport de Montréal et leurs retrouvailles. Cela vous arrive-t-il d'y songer ou refusez-vous d'y penser pour ne pas souffrir ?
Oui, et ce sera le plus beau jour de ma vie. A l'annonce de sa libération et de son retour, je pense que j'irai dormir deux jours avant à l'aéroport pour être sûre de ne pas le rater !

Remerciements à Mireille Elchacar, d'Amnesty International Canada, pour son aide lors de l'interview, que ce soit pour la traduction ou pour la contextualisation des droits humains en Arabie saoudite.

Retrouvez le site d'Amnesty International

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