
POLITIQUE - Traitement présidentiel pour premier ministre présidentiable? C'est un Manuel Valls à la popularité revigorée par sa solide gestion des attentats contre Charlie Hebdo qui a atterri jeudi 29 janvier en Chine pour un déplacement de trois jours aux allures de visite d'Etat.
C'est à bord de l'A330 présidentiel que le chef du gouvernement a fait le voyage. Certes, ce fut également le cas pour Jean-Marc Ayrault en décembre 2013. Mais ce clin d'oeil logistique a de quoi faire sourire ceux qui, à gauche, surveillent de près le retour en grâce de l'hôte de Matignon.
Entouré de deux ministres de son exécutif, dont le ministre d'Etat Laurent Fabius, accompagné d'une escadrille de grands patrons (le PDG d'Airbus Fabrice Brégier, les patrons récemment nommés d'EDF, Jean-Bernard Lévy, et de Thales, Patrice Caine ou encore les patrons d'Areva, SNCF, Schneider, GDF Suez...), le premier ministre a opté pour la nouvelle première puissance économique mondiale pour ce premier déplacement long-courrier en dehors de la zone euro.
Sur place, l'accueil a été chaleureux, en phase avec le réchauffement des relations franco-chinoises. Manuel Valls rencontrera à deux reprises à Pékin son homologue chinois, le Premier ministre Li Keqiang, mais aussi le président Xi Jinping vendredi dans le cadre du 50e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine communiste en 1964.
"Les investissements chinois sont les bienvenus en France", a affirmé Manuel Valls, credo qu'il avait martelé en entamant au matin son voyage en Chine, à Tianjin, métropole dynamique à une centaine de kilomètres de Pékin.
Au programme: visite d'une usine Airbus et de la Cité interdite, rencontre avec des expatriés, mais surtout renforcement des liens économiques et discussions diplomatiques en vue de la Conférence climat qu'accueillera Paris fin décembre. Un agenda de chef d'Etat qui tombe à pic au moment où Manuel Valls a, de l'avis de ses supporters, gagné ses galons de présidentiable socialiste.
Vendredi, le premier ministre a vanté une France "qu'il ne faut pas craindre". Manuel Valls, qui a également qualifié la France et la Chine d'"alliés fidèles l'un à l'autre", selon le texte de son discours remis à la presse, a une nouvelle fois souligné que la France était la cinquième puissance économique mondiale. Mais pour la première fois il a mentionné que c'était "ex aequo" avec le Royaume-Uni, en passe de redépasser légèrement l'économie française à la faveur d'une croissance plus forte.
Une popularité dopée par Charlie
Alors que sa cote de popularité suivait la même pente que celle de François Hollande fin 2014, Manuel Valls a pleinement profité de ce que les analystes qualifient sous le manteau "d'effet Charlie". Réendossant son costume de premier flic de France, s'accaparant le ministère de l'action tandis que François Hollande se chargeait de celui de l'unité nationale, l'ancien ministre de l'Intérieur a vu sa courbe repartir brutalement à la hausse.
Dans le baromètre Ifop publié par le Journal du dimanche, le chef du gouvernement recueille 53% d'avis de Français satisfaits, soit un bond de 18 points par rapport à décembre. Manuel Valls gagne encore 8 points, à 53%, selon le baromètre Odoxa-Orange/Presse régionale/France Inter/L'Express publié ce mardi.
Dans le même temps, François Hollande progresse aussi fortement mais dans une moindre mesure, d'autant qu'il partait de beaucoup plus bas.Une étude Odoxa pour le Parisien dimanche est venue consacrer cette dichotomie en révélant 72% des Français pensent que le premier ministre ferait un meilleur président de la République que l'actuel titulaire de l'Elysée.
Au point de réveiller une hypothétique rivalité avec le chef de l'Etat? "Valls n'a pas vocation à se positionner pour 2017, si ce n'est en tant que recours en cas de circonstance exceptionnelle. Aujourd'hui, cette criconstance n'existe pas", tranche un député légitimiste du Parti socialiste, plutôt sur la ligne Valls. Et de préciser: depuis les attentats, "tout se décide à l'Elysée en parfaite osmose avec Matignon".
Un paratonnerre anti-Sarkozy
La complémentarité avec François Hollande est d'autant plus manifeste que Manuel Valls fait aujourd'hui office de paratonnerre au retour de Nicolas Sarkozy sur la scène politique. En cas de duel avec le président de l'UMP, le premier ministre fait désormais quasiment jeu égal avec Nicolas Sarkozy (47% contre 52%). Et les Français voit en lui un dirigeant qui a des "convictions profondes" (69%), "courageux" (68%), "compétent" (64%), même s'ils le trouvent aussi "autoritaire" (74%), "impulsif" (51%), et "arriviste" (49%).
Un style qui n'est pas sans rappeler de celui du Nicolas Sarkozy de 2007 et qui empêche le champion de la droite de trouver son tempo face au premier ministre. En témoigne la polémique sur le terme "apartheid", terme "consternant" pour Nicolas Sarkozy, mais qui a rencontré un écho positif au sein de l'opinion.
Ironie conglante pour l'ancien président UMP: c’est la popularité de Manuel Valls auprès des sympathisants de droite qui lui permet de remporter son duel, 16% d’entre eux lui faisant plus confiance dans le domaine de la sécurité contre 8% de sympathisants de gauche faisant davantage confiance à Nicolas Sarkozy.
Loi Macron, départementales, congrès
"La grande force de Valls, c'est qu'il a fait 5% à la primaire en annonçant précisémment ce qu'il se passe aujourd'hui. Sa ligne a gagné", s'emballe un parlementaire socialiste anti-frondeurs. Voilà l'autre grand bénéfice du retour en grâce du premier ministre.
Car le climat d'union nationale, prolongé par le brillant discours de Manuel Valls à l'Assemblée, a (temporairement) étouffé dans l'oeuf la révolte des députés frondeurs à l'Assemblée nationale. Même Martine Aubry, devenue la plus critique à gauche après Jean-Luc Mélenchon, a salué l'action de son meilleur ennemi sans pour autant se résoudre à le suivre lors de son déplacement en Chine, malgré son expertise sur les relations Paris-Pékin.
Fini les supputations sur un départ de Valls avant la fin de l'année 2015? Oublié le bras de fer historique annoncé sur la loi Macron? Depuis Charlie, les partisans de la ligne du premier ministre veulent croire que les frondeurs se contenteront de "se réfugier dans l'abstention" et parient sur un consensus inespéré lors du congrès de juin.
C'es oublier un peu vite que 2015 est l'année électorale de tous les dangers pour la majorité. Effet Charlie ou pas, les départementales de mars et les régionales de décembre s'annoncent cataclysmiques pour le Parti socialiste et, a fortiori, pour le patron de la majorité. Le premier ministre, lui, l'a bien compris et a choisi l'offensive en se rendant ce mardi dans le Doubs, où le PS affronte une législative partielle très tendue.
"Il faut aller voter pour défendre les valeurs de la République, la République telle que nous la défendons, la République avec sa fermeté, la République avec la laïcité, la République luttant contre les injustices", a lancé le premier ministre en nationalisant l'enjeu; Un pari risqué mais assumé. Si le PS l'emporte, Manuel Valls pourra revendiquer la paternité de la victoire et mettre un terme à une série ininterrompue de défaites électorales. S'il échoue, Manuel Valls pourra toujours assumer qu'il ne s'est pas dérobé face à l'obstacle, pense un de ses soutiens, comme un homme d'Etat.