Exemple de recherche de film sur Allociné.

Exemple de recherche de film sur Allociné.

CNC

On est tenté de dire : "Enfin !" Depuis le temps qu'on en parle, un moteur de recherche pour trouver en quelques clics où voir un film - légalement - en vidéo à la demande, voit le jour. Aussi absurde que cela puisse paraître, cela n'existait pas encore, ou presque (qui connaît le portail MySkreen ?). Le ministère de la Culture a fini par prendre le taureau par les cornes, avec le CNC (Centre national du cinéma). Il lance un portail, dont les services seront aussi distribués sur les sites français de référence pour le cinéma, comme Allociné. Mais, en matière culturelle, tout est affaire d'exception. Malheureusement pour le public, manquent encore des sites dans la base de donnée et pas des moindres, puisque ni Apple, ni Netflix ne sont référencés.

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10.000 films disponibles sur 12 sites

Le travail du CNC a consisté à créer une gigantesque base de données de films, et à la croiser avec les bases de données des plateformes de VOD. Elle référence 25.000 films, dont environ 10.000 sont disponibles en téléchargement ou en streaming sur ces plateformes. Les catalogues sont mis à jour en temps réel. Cette base est disponible, et c'est sa force, là où se trouve l'audience : sur Allociné, Première, Télérama et SensCritique, c'est-à-dire les sites vers lesquels renvoie Google lorsqu'on tape un titre de film dans son moteur. Concrètement, sur la fiche du film va figurer un bouton "voir ce film", qui renverra vers les sites qui le proposent à la location (à l'acte ou à l'abonnement) et à l'achat. Avant de faire son choix, l'internaute saura si le film est en VO, en HD, et pour 10 des 12 sites référencés, à quel prix il peut le visionner.

12 plateformes de VOD sont présentes dans cette base : Arte VOD, CanalPlay, FilmoTV, FranceTV Pluzz, Imineo, MontparnasseVOD, MyTF1VOD, Orange à la demande, OCS, UniversCiné, Vidéofutur, Wuaki. Pour l'instant, la base ne comprend que des films, mais elle a vocation à s'enrichir des séries, puis du reste de l'offre vidéo.

Sans Netflix, ni Apple

Apple, première plateforme pour le téléchargement définitif, n'est pas dans la base. Netflix - service américain de VOD par abonnement - n'y est pas non plus. Alors que ses concurrents français CanalPlay et FilmoTV, si. La raison tient en une phrase : respect des quotas d'investissement et de visibilité des oeuvres françaises. Netflix ne respecte pas la réglementation applicable aux acteurs basés en France (le décret "SMAD"), qui implique de reverser 12 à 15% de leur chiffre d'affaires à la création, et d'intégrer dans leur catalogue 60% de films européens, dont 40% de films français.

Le ministère de la Culture est très clair, seuls les sites qui respectent ce cadre légal peuvent bénéficier de la visibilité garantie par le nouveau moteur de recherche. C'est donc ça, finalement, l'arme anti-Netflix du gouvernement. Non pas un raccourcissement des délais de mise à disposition des films, comme l'avait imaginé Aurélie Filippetti, mais plus de visibilité, gratuitement.

En fait, il n'y a eu aucun contact entre les équipes de la Culture et du CNC, et Netflix. Ni dans un sens, ni dans l'autre. Au ministère, on doute que Netflix soit de toute façon enclin à ouvrir son catalogue, qualifié pour le moment de "véritable boîte noire". Du côté de Netflix, contacté par L'Express, on se contente de déclarer : "C'est très bien que le CNC et le ministère de la Culture proposent un autre moyen de trouver des films à voir en ligne. Netflix, cependant, fournit une expérience de découverte simple et extrêmement personnalisée, basée sur ce que nos membres regardent et sur des algorithmes qui détectent les titres à leurs goûts." Pourtant, un petit coup de pouce ne lui ferait pas de mal, car Netflix ne serait pas en ligne avec ses objectifs en France.


Pas exhaustif, mais pragmatique

Le consommateur français restera donc un peu sur sa faim, mais c'est mieux que rien, quand on sait quel mal le service public a eu pour sortir un moteur de recherche de ce genre. En effet, le CNC s'y est pris à plusieurs fois. En 2010 déjà, il avait lancé un appel à projets pour un portail de l'offre légale. Il avait donné lieu à la création de trois sites, qui ont fait long feu.

Pour faire oublier ces ratés, la rue de Valois insiste sur le pragmatisme de la démarche : "un service au public qui s'inspire de ses pratiques et répond à ses besoins réels", développé pour pas cher - par Cap Gemini pour quelques dizaines de milliers d'euros -, et qui s'appuie sur les sites qui sont déjà les mieux référencés pour optimiser sa force de frappe. A eux quatre, les sites partenaires représentent une audience de 15 millions de visiteurs uniques par mois. "On s'est appuyé sur le parcours consommateur, qui passe par une recherche sur Google", explique Julien Neutres, chargé de mission auprès de la présidente du CNC. Le conseiller se félicite par ailleurs des futures retombées. "Ce sera une mine d'informations à analyser pour la connaissance du marché et des usages."

Un camouflet de plus pour Hadopi

Ce que le CNC vient de réaliser, Hadopi s'est cassé les dents dessus depuis sa création. La Haute Autorité n'a jamais réussi à créer un moteur de recherche par oeuvre. Ce n'est pas faute d'avoir tendu des perches, mais les éditeurs de sites n'étaient pas prêts à donner accès à leurs bases de données. Hadopi s'était donc rabattue sur un site référençant les plateformes de VOD légales, Offrelegale.fr, permettant accessoirement de signaler les oeuvres introuvables. Grâce à cette initiative, certaines de ces plateformes ont commencé à ouvrir leurs catalogues pour qu'ils soient réutilisés dans un moteur de recherche. Ça s'est arrêté là.

"Offrelegale.fr a le mérite d'exister, mais le site n'a manifestement pas rencontré son public", explique Fabrice Bakhouche, le directeur de cabinet de la ministre de la Culture, qui justifie d'être reparti de presque zéro. "Le service que nous lançons est complémentaire", nuance-t-il, notant également que le blocage de ces dernières années nécessitait "l'intervention d'un tiers de confiance", rôle qu'a donc joué la rue de Valois.

"Ce n'est pas à l'État de faire un moteur de recherche d'oeuvres, en réalité. Mais d'expérimenter et impulser, ça oui", déclarait en mars dernier le secrétaire général de l'Hadopi, Eric Walter, à Libération. Il aura donc été à moitié écouté. Peut-être cela impulsera-t-il de nouvelles initiatives, privées, mais il faudra attendre. Pour l'heure, l'API du CNC n'est pas ouverte. La base de données ne peut donc pas être intégrée à une autre application, mais uniquement être insérée telle quelle sur un site, via un widget. L'ouverture "fait partie des réflexions à moyen terme", indique le ministère.





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