
Il couvait depuis longtemps déjà mais, jeudi 29 janvier, le conflit est devenu ouvert entre l'Assemblée nationale et le Sénat. En préambule de la séance de questions au gouvernement au Sénat, et de manière totalement inédite, les responsables des six groupes sénatoriaux ont pris la parole pour déplorer unanimement les propos tenus le matin même par le président de l'Assemblée, Claude Bartolone.
Au micro de RMC, ce dernier s'était de nouveau prononcé « pour la fin du bicamérisme sous cette forme » et en faveur du rapprochement du Conseil économique, social et environnemental et du Sénat « pour avoir un Bundersrat à l'allemande qui s'intéresserait beaucoup plus au long terme ». Des propos « stupéfiants », a dénoncé le président du groupe UMP du Sénat, Bruno Retailleau, devant ses pairs, l'après-midi même. « Claude Bartolone vient de rompre violemment et de manière spectaculaire l'union nationale en déclarant la guerre à une institution qui a le tort de ne pas être à gauche », a tonné le sénateur de Vendée.
Des critiques qui n'étaient pas réservées aux seuls rangs de l'opposition. Le président du groupe RDSE, à majorité radicale, Jacques Mézard (Cantal) a à son tour regretté ces paroles, suivi par le centriste Vincent Capo-Canellas (Seine-Saint-Denis), la communiste Eliane Assassi (Seine-Saint-Denis), l'écologiste Jean-Vincent Placé (Essonne) – qui a regretté des propos « inadaptés et inoportuns » – et même le socialiste Jean-Pierre Sueur (Loiret), en l'absence du président de groupe PS, Didier Guillaume (Drôme).
« UNE GROSSE BOULETTE »
Pourtant, rien de nouveau dans les propos de Claude Bartolone, qui avait déjà fait savoir à plusieurs reprises son vœu de réforme du Sénat. Mais cette fois l'étincelle a pris au vu du contexte. Pour un conseiller du président de la République, c'est « une grosse boulette » qu'a faite le président de l'Assemblée. D'ailleurs, le président du Sénat, Gérard Larcher, n'avait pas attendu l'après-midi pour réagir vigoureusement aux propositions de son homologue.
Alors que les deux hommes devaient se voir, jeudi matin, pour une première réunion sur la mission que leur a confiée François Hollande après les attentats sur l'engagement républicain, la rencontre a tourné court. En dix minutes à peine, le sénateur des Yvelines a fait savoir à M. Bartolone qu'il mettait fin unilatéralement à cette mission commune. Dans un communiqué, il s'en est ensuite expliqué : « Constatant le profond désaccord sur leurs conceptions institutionnelles, à un moment où la situation dans le pays appelle à l'unité et au rassemblement, le président du Sénat a considéré que le travail en commun avec le président de l'Assemblée nationale n'était plus possible en conscience et en responsabilité. Il ne poursuivra pas cette réflexion commune, mais remettra directement ses conclusions au président de la République. »
« Un prétexte pour sortir de l'unité nationale », a réagi M. Bartolone auprès du Monde. « M. Larcher connaissait ma position sur le sujet depuis longtemps, cela ne l'a pas empêché de venir lors de mes vœux aux parlementaires, ni de m'accueillir pour ses vœux au Sénat », s'est défendu l'accusé, qui a répondu par écrit à M. Larcher après la séance de questions au gouvernement. « Je ne vois là qu'un alibi pour refuser un travail en commun », dit-il dans ce courrier, rappelant que son homologue avait déjà refusé son invitation à créer une mission d'information commune après les attentats.
Lire l'intégralité de la lettre de Claude Bartolone à Gérard Larcher :
Pour l'entourage de Claude Bartolone, M. Larcher a surtout voulu allumer un contre-feu après la diffusion, mercredi soir, d'un numéro du magazine de France 3 « Pièces à conviction », intitulé « Nos très chers sénateurs » et peu glorieux pour l'image du Sénat.
GUERRE DE COMMUNICATION
De son côté, s'engouffrant dans la guerre de communication, le camp de Gérard Larcher n'a pas tardé à ressortir une intervention de M. Bartolone datant d'avril et dans laquelle il arguait que le bicamérisme, « si important », faisait « partie de notre ADN démocratique ». « Mais depuis que le Sénat est repassé à droite, il veut le supprimer ! », dit-on dans l'entourage de M. Larcher. « Les députés UMP ont la mémoire courte », a rétorqué le camp Bartolone, rappelant l'existence d'une proposition de loi UMP déposée en mars 2012 visant à… fusionner le Sénat avec le Conseil économique et social.
Depuis quelques jours déjà, le torchon brûlait entre les deux hommes. Dans un des épisodes précédents, ces derniers s'étaient opposés sur la question d'une fusion entre les deux chaînes parlementaires Public Sénat et LCP-AN. Proposé par M. Bartolone, l'idée avait été « écartée » à l'unanimité par le bureau du Sénat, mercredi 28 au matin. « Les membres du bureau du Sénat manquent ainsi une occasion de montrer aux Français que le Parlement s'inscrit pleinement dans la modernité, dans la sobriété et dans l'effort commun de redressement des comptes publics », avait alors asséné l'élu de Seine-Saint-Denis.
De son côté, Gérard Larcher ne s'était pas non plus privé pour critiquer la décision de M. Bartolone de boycotter la remise du prix du Trombinoscope, qui couronnait, entre autre, le maire FN d'Hénin-Beaumont, Steeve Briois, en tant qu'« élu local de l'année ». « Cette omerta collective ne fait que renforcer les populismes », avait réagi M. Larcher.
Pourtant, malgré cette bataille politique, « les relations personnelles sont toujours aussi bonnes », assure-t-on des deux côtés. Les deux hommes se connaissent bien et depuis longtemps, pour avoir partagé, notamment, de nombreuses parties de chasse au très select domaine de Chambord. Quand ils sont armés, les deux chasseurs tirent habituellement dans la même direction. La prochaine fois, attention aux balles perdues.
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