
La police niçoise a convoqué, mercredi 28 janvier, un enfant de 8 ans en compagnie de son père à la suite d'une plainte de son école primaire. Il lui serait reproché d'avoir tenu des propos relevant de l'apologie du terrorisme. Qu'en est-il ?
1. Que s'est-il passé ?
C'est par le tweet d'un avocat, Sefen Guez Guez, que l'affaire a été relayée : un enfant de 8 ans, Ahmed, aurait été convoqué par la police pour avoir dit au sein de son école à Nice être « du côté des terroristes » au lendemain des attentats à Charlie Hebdo, et avoir refusé d'observer une minute de silence.
Selon Nice Matin, qui cite la phrase sans en donner la source, l'enfant aurait dit, en classe : « Il faut tuer les Français. Je suis dans le camp des terroristes. Les musulmans ont bien fait, les journalistes méritaient leur sort. » Une version démentie par la famille et l'avocat de l'enfant.
Le directeur de l'école aurait été entendu au commissariat, et le père de l'enfant convoqué en sa présence mardi, avec l'avocat, pour une audition.
2. La version de l'avocat
Selon l'avocat, l'enfant serait « poursuivi pour apologie d'acte de terrorisme ». Il aurait cependant été entendu libre. Il affirme que c'est l'enseignant qui aurait déposé plainte. L'avocat indique également que l'enfant nierait la plupart des propos qu'on lui prête, ne reconnaissant qu'avoir dit « être du côté des terroristes ».
Le père de l'enfant serait également poursuivi pour « intrusion dans l'établissement ». Il aurait, toujours selon l'avocat, voulu inciter son fils à ne pas s'isoler et à aller jouer avec les autres enfants.
3. La version du Comité contre l'islamophobie en France
Le Comité contre l'islamophobie en France (CCIF), association qui lutte contre les actes et les propos antimusulmans, ajoute plusieurs précisions sans en donner la source. Selon l'association, l'enfant aurait évoqué le fait qu'on l'ait privé d'insuline à la suite de cet incident alors qu'il est diabétique. Dans un tweet, Me Guez Guez assure que ces déclarations de l'enfant ont été inscrites au procès-verbal.
Autre information : le directeur de l'école aurait interpellé l'enfant, qui jouait dans le bac à sable, en lui disant : « Arrête de creuser dans le sable, tu n'y trouveras pas de mitraillette pour tous nous tuer. » Là encore, le CCIF ne précise pas d'où vient l'information, même si l'avocat confirme que ces propos ont été tenus. Aucune confirmation n'est venue l'étayer. Enfin, le CCIF évoque une « audition de deux heures » du père et de l'enfant, la police parlant de 20 minutes.
4. La version de la police
D'après le directeur départemental de la sécurité publique, Marcel Authier, l'enfant avait déjà refusé de participer à la minute de silence et de prendre part à une ronde de solidarité dans l'école au lendemain de l'attaque de Charlie Hebdo.
D'après la commissaire divisionnaire Fabienne Lewandowski, interrogée sur France Info, le père et l'enfant ont été entendus pour « comprendre ce qui s'était passé, de voir ce qui avait poussé cet enfant à tenir ce genre de propos ». « On peut regretter que ça ait pris la forme d'une audition formelle, mais compte tenu de l'importance de sa déclaration et du contexte, il nous a semblé qu'on pouvait aller plus loin. Le père a été entendu en tant que civilement responsable, il a regretté les propos de son fils et manifesté plus de regret que d'encouragement. »
5. Le profil de la famille
De source proche de l'enquête, il semble que le directeur de l'école ait commencé par discuter avec le père de l'enfant après ses propos. Ce dernier aurait été hostile et menaçant. Le directeur aurait ensuite tenté de discuter avec la mère, sans plus de résultat. L'école ayant alors porté plainte, la police a souhaité convoquer l'enfant et ses parents. La direction de l'école se serait par ailleurs plainte de l'intrusion répétée du père, qui serait venu s'expliquer avec les camarades de classe de son fils sur ses paroles.
Parallèlement, deux petits garçons de 3 et 5 ans de la famille devraient être entendus pour des soupçons de maltraitance parentale.
6. Qui est l'avocat ?
Sefen Guez Guez, avocat inscrit au barreau de Nice, est un habitué des passes d'armes juridiques avec la mairie de Nice et ses services. Régulièrement opposé à la politique du maire UMP, Christian Estrosi, Me Guez Guez a déclaré que l'audition du jeune garçon et de son père par les forces de police, illustre un « climat d'hystérie collective » en France. En réponse, Christian Estrosi a apporté son total soutien au chef d'établissement et dénonce « une tentative de susciter l'émotion chez quelques parents d'élèves ».
La précédente escarmouche entre l'homme de droit et l'homme politique date de juin 2014, quand Me Guez Guez s'était opposé à un arrêté municipal « interdisant l'utilisation ostentatoire de tous les drapeaux étrangers sur l'hypercentre » de la ville. « C'est une mesure réellement symbolique et xénophobe », dénonçait alors l'avocat. Il obtient finalement gain de cause, le tribunal administratif suspendant l'exécution de l'arrêté.
Il est également le défenseur de la mère d'un élève niçois, porteuse d'un voile, qui s'était vu refuser d'accompagner une sortie scolaire par un référé du tribunal administratif de Nice. En effet, la circulaire Chatel de 2012 prévoyait d'interdire le foulard islamique aux mères d'élèves accompagnant leurs enfants lors des sorties scolaires. Me Guez Guez obtient finalement du Conseil d'Etat, en décembre 2013, que les mères voilées accompagnant des sorties scolaires ne soient pas soumises, par principe, à la neutralité religieuse.
En janvier 2014, c'est contre la préfecture des Alpes-Maritimes que l'avocat obtenait, auprès du tribunal administratif de Nice, la suspension à la décision du préfet des Alpes-Maritimes retirant à un musulman, soupçonné de radicalisation, l'autorisation de travailler dans la « zone réservée » de l'aéroport de Nice.
7. Peut-on convoquer un enfant de 8 ans ?
Lors d'un dépôt de plainte, dénonciation ou relevé d'infraction, une enquête préliminaire peut être ouverte à l'initiative des forces de police ou sur instruction du procureur.
Un enfant de 8 ans ne peut, comme tout mineur de moins de 10 ans, subir de peine, ni être placé en garde à vue. Il peut en revanche être entendu par la police avec ses parents, et peut également être poursuivi et jugé devant un tribunal adéquat, ainsi que ses parents, à condition qu'on estime qu'il est « capable de discernement », donc qu'il sait ce qu'il fait ou dit.
La ministre de l'éducation a d'ailleurs salué l'équipe de l'établissement où était scolarisé l'enfant, estimant que « c'est bien naturel que l'équipe pédagogique ait réagi ainsi ».
« Je le dis avec force, non seulement cette équipe a bien fait de se comporter ainsi, mais son travail de suivi, et pédagogique et social, est une oeuvre utile et je l'en remercie.
Comme c'est la règle en la matière, l'équipe de l'établissement scolaire a veillé à ce qu'un suivi pédagogique soit apporté à cet enfant qu'on a reçu, avec lequel elle a discuté. Elle a très bien fait de le faire, et elle a très bien fait de convoquer son père aussi ».
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