Décryptage

Handball : pourquoi le Qatar flambe à son Mondial

Très majoritairement composée d'étrangers naturalisés pour l'occasion, l'équipe du pays hôte s'est qualifiée pour la finale du Mondial. Pas si surprenant.
par Gilles Dhers
publié le 29 janvier 2015 à 13h37
(mis à jour le 30 janvier 2015 à 18h26)

Ecrit jeudi matin au lendemain de la qualification du Qatar pour les demi-finales du Mondial de handball, cet article a été réactualisé après le succès contre la Pologne, vendredi.

Petite devinette. Dans quelle formation de handball évoluent Hassaballah, Hamdoon, Mallash, Markovic, Roiné, Capote, Memisevic, Vidal, Ben Ali, auteurs d'un retentissante performance ce vendredi? 1- Le Handball Club d'Hollywood, vainqueur de la coupe intercontinentale des clubs. 2- L'Etoile sportive de Saint-Locdu-le-Vieux, gagnante pour la quinzième fois de rang du Tournoi du bas-bocage ? 3- L'équipe nationale du Qatar, qualifiée pour la finale de «son» Mondial, à Doha ? Réponse 3, bien sûr. Et c'est bien un exploit que les joueurs sus-cités, tous buteurs vendredi en demi-finale contre la Pologne (31-29), ont réussi. Le Qatar n'avait jamais fait mieux qu'une 16e place dans un Mondial de handball (en Russie en 2003) et devient la première équipe non-européenne à atteindre la finale de la compétition(l'Egypte en 2001 et la Tunisie, à domicile en 2005, s'étaient arrêtées en demi). Miraculeux ? Fruit d'éhontées faveurs arbitrales ou d'inavouables manœuvres de coulisses ? Plutôt le premier résultat sportivement tangible de l'hyperactive diplomatie du survêt' que mène, à coups de gazo-dollars, l'émirat depuis des années.

Première victoire, l’organisation

En janvier 2011, flanqué de la fine fleur du handball tricolore (Karabatic, Omeyer, Fernandez), Joël Delplanque, président de la Fédération française, s’avance confiant dans un hôtel de Malmö (Suède) où la Fédération internationale doit désigner le pays hôte du Mondial 2015. Eu égard à son poids sur la planète handball, comment pourrait-on le refuser à la France ? La gifle est d’autant plus violente quand c’est le Qatar, deux mois après avoir obtenu l’organisation du Mondial de foot 2022, qui décroche le ponpon. Et les réactions balancent entre incrédulité et suspicion. Si le terme corruption n’est pas prononcé, on s’interroge, côté français, sur les méthodes des Qataris et de leur lobbying survitaminé.

Aujourd'hui, tout est oublié. La France organisera le Mondial 2017 et les relations avec le Qatar sont au beau fixe. L'émirat s'est offert le PSG Handball et y a fait venir quelques stars de la discipline, BeIn Sports a acquis les droits du championnat de France et la fédération française a fait bénéficier son homologue émiratie de son expérience logistico-sportive pour la réussite du Mondial 2015. «Tout le monde sait que l'école française est une des meilleures, expliquait Abdellatif Bohli, directeur technique des équipes qataries à Libération il y a deux ans. Des programmes d'échange entre nos deux pays ont été mis en place pour la formation.»

Une équipe cosmopolite

Gaël Monthurel, ancien international français de la génération Barjots, s'est exilé au Qatar pour entraîner une équipe de jeunes. Il expliquait à Libération en 2013 le peu d'engouement des locaux pour le sport en général et le handball en particulier : «Pour recruter les jeunes, il faut longuement discuter avec les parents. On est même obligés de payer les gamins pour qu'ils viennent. Dans mon club, c'est 600 euros par mois.» Alors, comment le Qatar s'est-il bâti une équipe demi-finaliste du Mondial ? En profitant des largesses des règlements de la Fédération internationale de handball selon lesquels la nationalité est tout sauf gravée dans le marbre de l'état civil. Seulement trois Qataris pur souche figurent dans la sélection nationale où leurs coéquipiers sont d'origines française, monténégrine, bosnienne, tunisienne, égyptienne, espagnole ou cubaine. Ce phénomène des naturalisations de circonstances n'est pas propre au handball, où il est simplemement facilité : on peut changer de sélection au cours de sa carrière à condition d'attendre trois ans pour retourner son maillot.

Ainsi le Français Bertrand Roiné, champion du monde avec les Experts en 2011, joue-t-il «à domicile» ce Mondial 2015. Il a raconté son expérience au Monde. Avouant ne pas se sentir Qatari. Mais démentant les rumeurs sur les montants extravagants (jusqu'à 1 million d'euros évoqués) des primes à la naturalisation versées à ces mercenaires des parquets. « Il y a trois ans, ils ont commencé à approcher des joueurs, a raconté Gaël Monthurel à RMC Sport. Je me rappelle qu'à ce moment-là, certains refusaient de jouer avec leur sélection nationale, car ils étaient en pourparlers avec le Qatar. Ce dernier a des moyens énormes, difficiles à refuser.» Quand Libération évoquait ces naturalisations avec lui en 2013, Abdellatif Bohli, lui même d'origine tunisienne, s'emportait : «Nous préparons le Mondial 2013 dans la légitimité des règlements. Tout le monde sait qu'on a naturalisé quelques joueurs dans cette perspective.»

Le Qatar peut-il gagner le titre ?

«Un quart de finale, et pourquoi pas plus», répondait Abdellatif Bohli il y a deux ans quand on lui demandait quelles seraient les ambitions du Qatar, lors de «son» Mondial. Objectif atteint. Pas de quoi surprendre Claude Onesta, le sélectionneur de l'équipe de France, qui pronostiquait avant de s'envoler pour Doha : «Chacun est libre de penser ce qu'il veut de la manière dont cette équipe a été montée, mais elle a un très bon niveau qui lui permettra de jouer un véritable rôle dans cette compétition, bien plus important que celui de simple trublion.» Huit des seize joueurs, ont pu peaufiner leurs automatismes dans le mêmee club d'Al Jaish, celui de l'armée. Et depuis des mois, le championnat a été laissé en jachère, pour mieux préparer le Mondial.

Porté par un public qui n'a sans doute pas perçu toutes les subtilités du handball mais dont l'enthousiasme enfle au fur et à mesure que son équipe progresse , les Qataris peuvent-ils aller plus haut ? Les Polonais n'étaient pas les pires adversaires à affronter en demi-finale. Et Daniel Costantini, prédécesseur d'Onesta à la tête des Bleus, a souligné, sur RMC Sport, le métier de l'entraîneur «qatari», l'Espagnol Valero Rivera : «Un coach extraordinaire, qui a remporté six Ligues des champions avec Barcelone et a gagné le titre mondial avec l'Espagne en 2013. C'est un grand monsieur du handball par rapport à la pratique de l'entraînement et à la dynamique de groupe. Il a fait un recrutement intelligent. Il avait besoin d'un grand pivot de deux mètres, qu'il est allé chercher en Espagne (Borja Vidal) et qui se révèle très brillant. Il avait besoin d'un tireur, arrière gauche, il est allé chercher un Cubain (Rafael Capote, 6 buts vendredi).» Et il peut compter sur Danijel Saric, un gardien statistiquement aussi efficace que son homologue français, Thierry Omeyer, qui passe pour le meilleur du monde à son poste.

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