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Comment s'enrichit Jeanne, le microparti de Marine Le Pen

Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen, a été de nouveau mis en examen pour les activités de sa société Riwal avec le microparti Jeanne.

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Publié le 31 janvier 2015 à 14h21, modifié le 31 octobre 2019 à 15h42

Temps de Lecture 6 min.

Marine Le Pen dans le Doubs, le 23 janvier.

Officiellement, il n'a rien à voir avec Marine Le Pen. La masse des témoignages récoltés par la presse à longueur d'enquêtes depuis plusieurs années ne laisse pourtant guère de doute : Jeanne, le microparti de la nébuleuse frontiste, dans le viseur de la justice, est bien la machine de guerre de la présidente du Front national, même si son nom n'apparaît nulle part dans ses statuts.

Créée à l'automne 2010 pour l'aider à succéder à son père, cette structure est au cœur du « système Le Pen », qui doit préparer sa candidature pour l'élection présidentielle de 2017. L'information judiciaire confiée en avril 2014 aux juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi a donné lieu, le 23 janvier, à la mise en examen de Frédéric Chatillon, un proche de Marine Le Pen, soupçonné d'être l'un des principaux bénéficiaires du système mis en place autour de Jeanne.

Si l'enquête n'a pas encore livré toutes ses conclusions, la seule étude des comptes de campagne du microparti, disponibles en ligne, permet de se faire une idée des mécanismes en jeu.

Des recettes par millions

Bien davantage qu'un simple microparti censé soutenir la carrière politique de Marine Le Pen, Jeanne manipule une manne financière qui n'a rien à envier aux grands partis de la vie politique française. En 2012, année présidentielle, le microparti était la quatrième formation politique en termes de rentrées financières, à 9,6 millions d'euros, derrière le PS, l'UMP et le PCF... mais devant le FN.

Chez Jeanne, l'argent ne provient pas des cotisations d'adhérents : elles s'élèvent à peine à 120 à 180 euros annuels au total. Ce n'est pas non plus une structure de recueil discret de dons, comme pouvait l'être Cotelec, le microparti de Jean-Marie Le Pen. Aucun don n'a été enregistré en 2013, contre à peine 11 500 euros en 2011.

L'essentiel des recettes provient des « produits d'exploitation », qui font de Jeanne une véritable PME au service de et servie par la galaxie frontiste. En 2011 et 2012, plus de 90 % des rentrées d'argent de Jeanne étaient constituées de la facturation des « services rendus aux candidats pour les campagnes électorales ». Essentiellement les « kits de campagne » (tracts, affiches, sites Web...) de 16 500 euros proposés – puis quasiment imposés – à l'ensemble des candidats du Front national (99 % des candidats aux législatives de 2012 y ont souscrit, selon l'ancien commissaire aux comptes de Jeanne).

Ces kits sont au cœur des soupçons des juges : fabriqués par la société Riwal, dirigée par Frédéric Chatillon, l'un des plus proches conseillers de l'ombre de Marine Le Pen, ils auraient été largement surfacturés aux candidats frontistes, qui les payaient grâce au financement public des campagnes électorales en cas de score supérieur à 5 %. En plus de bénéficier à Riwal, qui a réalisé, selon L'Obs, plus de 2 millions de marge en 2012, ce mécanisme a peut-être profité à Jeanne, qui aurait pris des marges au passage en tant qu'intermédiaire.

Les recettes de « Jeanne »

En 2011
L'intégralité des produits d'exploitation provient de la "facturation des services rendus aux candidats pour les campagnes électorales". Les recettes des cotisations d'adhérents (180 €) sont trop faibles pour apparaître sur le graphique.
En 2012
L'intégralité des produits d'exploitation provient de la "facturation des services rendus aux candidats pour les campagnes électorales". Les recettes des cotisations d'adhérents (150 €) sont trop faibles pour apparaître sur le graphique.
En 2013
Les recettes des cotisations d'adhérents (120 €) sont trop faibles pour apparaître sur le graphique.

Source : CNCCFP

Le reste des recettes de Jeanne vient pour l'essentiel des « produits financiers », qui correspondent à un autre volet des soupçons des juges chargés de l'instruction : pour financer leur fameux « kit de campagne » de 16 500 euros, les candidats frontistes aux législatives se sont quasiment tous vu proposer par le microparti un prêt standard de... 16 500 euros, avec un taux d'intérêt (6,5 %) bien supérieur à celui proposé par les banques.

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L'occasion pour la « banque » improvisée Jeanne d'empocher au passage un joli pactole. Pour se justifier, l'état-major du FN explique qu'il s'agit là du seul moyen de contourner la réticence des banques à financer ses candidats.

Le fonctionnement présumé de Jeanne.

A quoi sert cet argent ?

En face de toutes ces recettes, le fonctionnement de la machine Jeanne ne pèse pas bien lourd : à peine 5 000 euros annuels de salaires (charges comprises) en 2013, 271 euros de loyers en 2012 (mais plus rien en 2013), et quelques milliers d'euros en déplacements.

La lecture des comptes nous apprend que les plus gros postes de dépenses sont :

  • la « propagande et communication », qui a coûté au microparti plus de 8 millions en 2012, lors de la campagne de Marine Le Pen, et seulement 630 000 euros en 2013 ;
  • les « autres charges externes », non détaillées, qui peuvent aller de l'achat de matériel à la location de salles, qui ont culminé à 730 000 euros en 2012.

Les dépenses de « Jeanne »

En 2011
En 2012
En 2013

Source : CNCCFP

Des dépenses qui pourraient servir à financer des frais courants, mais qui seraient surtout dédiées à l'achat des kits de campagne à la société Riwal, avant de les revendre aux candidats. Pas de quoi vider les caisses de Jeanne ; pourtant, le parti affiche chaque année un bilan déficitaire (près de 300 000 euros de pertes en 2013).

Les recettes de

L'explication est simple : le microparti met chaque année de côté un demi-million d'euros dans ses « dotations aux amortissements et provisions », un poste des comptes censé anticiper les dépenses à venir l'année suivante. Un magot qui pourrait servir à Marine Le Pen de cagnotte en vue de l'élection présidentielle de 2017.

Tout cela est-il illégal ?

En soi, le montage mis en place autour de Jeanne et Riwal n'est pas illégal. Cependant, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) et, derrière elle, les juges, s'interrogent sur plusieurs aspects potentiellement frauduleux :

  • Jeanne peut-il prêter de l'argent ?

Oui, rien de l'interdit, mais tout est question de mesure. La justice pourrait considérer qu'en industrialisant ce système de prêts, Jeanne s'est mis en contravention de la loi, qui « interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel ».

La loi autorise bien une formation politique A à prêter de l'argent à un parti B, mais seulement si l'emprunt « relaie » un prêt bancaire consenti par A, avec les mêmes intérêts. Il était donc a priori interdit à Jeanne de puiser dans ses fonds propres pour consentir un prêt aux candidats frontistes.

L'autre problème vient du fait que les candidats frontistes ont déclaré les (gros) intérêts payés avec le remboursement du prêt comme frais de campagne, pour pouvoir se les faire rembourser par l'Etat. Indirectement, l'Etat a donc financé la gourmandise financière de Jeanne – à hauteur de 400 000 euros pour les seules législatives de 2012, selon l'Obs.

Marine Le Pen avait déjà ainsi tenté d'incorporer à ses comptes de la campagne présidentielle de 2012 les intérêts des prêts que lui avaient consentis le micro-parti de Jean-Marie Le Pen, Cotelec (319 000 euros pour un prêt de 4,5 millions) et Jeanne (19 000 euros d'intérêts pour un prêt de 450 000 euros). Elle s'était alors fait rappeler à l'ordre par la CNCCFP, qui rappelait que les prêts entre deux formations politiques ne doivent pas « procurer un enrichissement sans cause » au prêteur.

En revanche, pour l'instant, la CNCCFP n'a annulé aucun compte de campagne de candidat frontiste aux législatives pour ce motif, même si elle a rectifié plusieurs irrégularités.

  • Des prêts imposés ?

Selon Mediapart, certains candidats frontistes ont déclaré aux juges ne pas avoir été mis au courant du prêt qu'ils avaient souscrit auprès de Jeanne. Un tel contrat forcé, forcément paraphé avec une signature frauduleuse, relèverait du faux et usage de faux et de l'escroquerie. Les motifs retenus pour la mise en examen de Frédéric Chatillon, le 23 janvier.

  • Des contrats antidatés ?

Toujours selon Mediapart, l'entourage de Marine Le Pen aurait demandé à certains candidats d'antidater des conventions de prêt avec Jeanne qui n'avaient pas été signés dans les temps, c'est-à-dire pendant la campagne.

  • Des prestations surfacturées ?

De nombreux témoignages et éléments matériels suggèrent que le kit de 16 500 euros était largement surfacturé aux candidats (et donc à l'Etat, qui remboursait les frais de campagne des candidats dépassant les 5 %). Selon une enquête de l'Obs, certaines prestations étaient facturées jusqu'à cinq fois le prix du marché, ce qui aurait eu pour but d'accroître la marge de Riwal.

Mise à jour le 31 janvier à 20 h 45 : correction d’une imprécision sur l’objet des dépenses courantes de Jeanne.

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