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DSK au centre du procès du Carlton

Dominique Strauss-Kahn et treize autre prévenus comparaissent à Lille pour « proxénétisme aggravé ».

Par  (Lille, envoyée spéciale)

Publié le 02 février 2015 à 08h42, modifié le 19 août 2019 à 13h35

Temps de Lecture 5 min.

L'enseigne de l'hôtel Carlton de Lille.

Ouvrir les 210 pages de l’ordonnance signée des juges d’instruction Stéphanie Ausbart et Mathieu Vignau, c’est d’abord entrer dans un téléfilm assez médiocre que l’on croirait droit sorti des années 1950. Une capitale régionale, Lille, ses rues pavées et sa poignée d’hôtels plus ou moins chics où des couples désaccordés se rejoignent entre « cinq et sept » pour des amours tarifées. Le patron accorde un tarif préférentiel, payé d’avance et en espèces, le réceptionniste ne pose pas de questions en donnant la clé, chacun apprécie que les accompagnatrices, prostituées professionnelles ou occasionnelles, aient le bon goût de se montrer discrètes sur leurs qualités et que leurs clients soient plutôt des gens comme il faut.

Lire notre décryptage : Cinq questions sur le procès de l'affaire du Carlton où va comparaître DSK

Regarder l’infographie animée : Comprendre l'affaire du Carlton en trois minutes

Le casting est parfait. Il y a parmi les clients un huissier de justice, un avocat, un assureur, quelques chefs ou cadres d’entreprise, un chirurgien dentiste ou un marchand de chaussures. Ainsi va la vie à Lille en ce début d’année 2011, quand des « renseignements » parviennent à la direction interrégionale de la police judiciaire concernant les activités d’un certain René Kojfer, officiellement chargé des relations publiques de deux hôtels lillois, le Carlton et les Tours, officieusement entremetteur proposant à des hommes « ayant de bonnes références » les services tarifés de jeunes femmes, avec la complicité du gérant et du propriétaire des hôtels.

Les premières surveillances téléphoniques sur la ligne de René Kojfer sont fructueuses et mènent à un homme connu des services pour des activités de proxénétisme en Belgique, propriétaire de plusieurs maisons closes le long de la frontière franco-belge, Dominique Alderweireld, dit Dodo la Saumure. Les conversations interceptées ne laissent pas de doute sur leur objet, trouver des filles – la seule précaution prise est d’évoquer des « dossiers » –, en recruter de nouvelles, d’autant que la demande est forte et variée et qu’il faut satisfaire le client en quête de nouveautés : « de la jeune Black cochonne », une « petite Asiatique » qu’on pourrait proposer en « bouquet garni » dans les chambres d’hôtel ou « du pays de l’Est, genre Ukrainienne » pour accompagner des séminaires d’entreprise. Dodo la Saumure part recruter en Espagne : « Je fais de la remonte de cheptel », confie-t-il à l’un de ses interlocuteurs qui se renseigne – « C’est bien ? – Euh non, d’la grosse mais que veux-tu ! » Les temps sont durs et René Kojfer se lamente – « On n’a rien en stock, j’en ai marre » –, d’autant que le chargé des relations publiques est aussi « essayeur gratis » pour son ami belge et renseigne les clients réguliers – « Si tu veux tirer, c’est magnifique ».

Dominique Strauss-Kahn en février 2013.

Remerciements en « bouquets garnis »

L’enquête se complique quand les écoutes révèlent les liens étroits qui unissent Dodo la Saumure, René Kojfer et quelques clients à plusieurs fonctionnaires de police retraités ou en activité, dont Eric Vanlerberghe, ancien président de la Mutuelle du ministère de l’intérieur devenu détective privé, et Jean-Christophe Lagarde, commissaire divisionnaire chef de la sûreté départementale Nord. La plupart appartiennent à la même loge maçonnique, dînent régulièrement en compagnie de l’avocat Emmanuel Riglaire – frère de loge lui aussi, qui défend Dodo la Saumure – et acceptent les remerciements en « bouquets garnis ».

Le 15 mai 2011, une étrange conversation téléphonique interceptée entre Dodo la Saumure et René Kojfer suscite la curiosité des enquêteurs. La veille, Dominique Strauss-Kahn a été arrêté à l’aéroport John-F. Kennedy de New York, à la suite de la plainte d’une femme de chambre de l’hôtel Sofitel qui l’accuse de viol. « T’as vu, euh, Strauss-Kahn ? C’est pas étonnant, tu sais quand je lui avais ramené des filles… Là, il est foutu », philosophe le proxénète belge.

Il est question de plusieurs soirées « libertines » organisées à Paris, mais aussi à Vienne ou à Madrid, en présence de Dominique Strauss-Kahn, « le roi de la fête »

Mais ce n’est que quelques mois plus tard, en octobre 2011, que l’affaire du Carlton change réellement de dimension avec les interpellations et mises en examen du directeur d’une filiale du groupe de BTP Eiffage, David Roquet, du responsable d’une société de matériel médical, Fabrice Paszkowski et du commissaire Lagarde. Il est question de plusieurs soirées « libertines » organisées à Paris, dans des restaurants, des hôtels de luxe ou des appartements, mais aussi à Vienne ou à Madrid, en présence de Dominique Strauss-Kahn, « le roi de la fête » auquel étaient notamment « offertes » des jeunes femmes recrutées par Dodo la Saumure ou René Kojfer et rémunérées par les deux chefs d’entreprise. Apparaissent aussi trois voyages à Washington, en janvier et décembre 2010 et en mai 2011, organisés et financés par les mêmes en compagnie de femmes dont certaines sont des prostituées, destinées à des soirées « libertines » avec le patron du FMI.

DSK, « pivot central et principal bénéficiaire »

Son nom, ses besoins et pratiques sexuelles « hors norme », détaillées dans de (très) longs et (très) crûs extraits des dépositions des jeunes femmes – « abattage », « boucherie » disent-elles – occupent les deux tiers de l’ordonnance des juges qui voient en DSK « le pivot central et le principal bénéficiaire, parfois exclusif, des rencontres sexuelles », même s’il ne « payait pas ». Sa « position, sa notoriété, ses ambitions », estiment-ils, lui confèrent le rôle de « leadership » sur les organisateurs et les participants des rencontres autour « du sentiment d’un secret partagé avec un homme de pouvoir », espérant obtenir « en retour un avantage personnel ou professionnel de son accession attendue à la présidence de la République ».

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Le 26 mars 2012, l’ancien patron du FMI était en conséquence mis en examen pour « proxénétisme aggravé commis en bande organisée », un crime passible de vingt ans de prison qui le renvoyait devant la cour d’assises. De ce dossier, le parquet a fait une lecture radicalement différente, en requérant trois mois plus tard un non-lieu pour DSK sur les faits de proxénétisme. Les juges sont passés outre, en abandonnant toutefois la qualification aggravante de « bande organisée » et en le renvoyant devant le tribunal correctionnel aux côtés de treize autres prévenus.

Dans leur ordonnance, ils accordent une importance toute particulière aux scènes de sodomie décrites pour fonder leur conviction que DSK ne pouvait ignorer, contrairement à ce qu’il soutient, qu’il avait affaire à des prostituées. Elles donnent lieu à ce propos étrange : « Indépendamment de tout jugement de valeur morale sur ce type de pratique sexuelle qui, lorsqu’elle est consentie librement, n’intéresse pas le droit pénal, force est de constater que ce type de pénétration sexuelle est même parfois refusé par des prostituées. Un tel comportement pouvait donc a fortiori nécessiter de recourir à des professionnelles rémunérées. » Ces considérations, qui laissent davantage percevoir la réprobation des juges à l’égard du comportement sexuel du célèbre prévenu que la solidité d’une argumentation pénale, constituent l’enjeu majeur du procès qui s’ouvre lundi 2 février devant le tribunal correctionnel de Lille.

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