
Victime, témoin ou auteur de faits répréhensibles, qu'un enfant, même très jeune, soit entendu par les forces de l'ordre n'a rien d'exceptionnel. Mais les récentes auditions de mineurs pour un soupçon de délit d'apologie du terrorisme revêtent un caractère inédit.
Fin janvier, Ahmed, 8 ans, a été entendu par la police de Nice (Alpes-Maritimes). Le motif ? L'enfant a refusé d'observer la minute de silence en hommage aux victimes de l'attaque contre Charlie Hebdo et soutenu verbalement les terroristes au sein de son école. Mardi 3 février, c'est cette fois une fillette de 10 ans qui a dû faire face aux questions des forces de l'ordre pour des propos tenus dans l'enceinte de son école primaire.
Le délit d'apologie du terrorisme est un délit de droit commun. Toutefois, « l'audition sur des faits que l'on veut imputer à une personne suppose le discernement », précise Jean-Pierre Rosenczveig, ancien président du tribunal des enfants de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et auteur du blog Droit des enfants sur Le Monde.fr. Dans le cas d'Ahmed, le « discernement » implique que le jeune garçon devrait maîtriser des concepts ou des principes comme la laïcité, la caricature, la liberté d'expression. « Il n'est pas besoin de faire appel à un expert pour estimer qu'un enfant de cet âge n'a pas le discernement exigé par l'article 122-8 du code pénal. Combien d'adultes seraient capables de disserter sur l'apologie de terrorisme ou les atteintes à la laïcité ? », interroge le magistrat.
L'ÉDUCATION PRIME SUR LA RÉPRESSION
Pour Jean-Pierre Rosenczveig, ces réactions relèvent de l'émotion consécutive aux attaques des 7, 8 et 9 janvier. « D'évidence le pays traumatisé par ces événements est en risque de perdre “les pédales”. Vigilance, réaction oui, mais pas n'importe quoi et n'importe comment ! », avertit le magistrat.
Alors que les attentats de janvier ont été suivis de nombreuses condamnations à de la prison ferme pour apologie du terrorisme, « maintenant, pour les mineurs, on va entendre des enfants qui ont moins de 10 ans pour des propos qu'ils tiennent dans la cour d'école ou parce qu'ils ont refusé de faire la minute de silence, c'est complètement aberrant », s'indigne Etienne Lesage, avocat spécialiste en droit des mineurs et membre du Conseil de l'ordre. Selon l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante, les principes de protection, d'assistance, de surveillance et d'éducation priment sur la répression. « Faire entendre un enfant de 8 ans dans un commissariat pour des propos qu'il a tenus, c'est violent comme méthode. Que le proviseur le convoque, que les éducateurs lui parlent d'accord, mais l'attitude adoptée est disproportionnée », déplore Me Lesage.
SE MÉFIER DU CONTEXTE
La parole de l'enfant doit cependant être écoutée. Dans un contexte de tension où la population est menacée, où les enfants perçoivent de la nervosité chez leurs proches, « leur parole ne doit pas être annulée, mais comprise », déclare au Monde.fr Jacques Toubon, défenseur des droits. « Il y a quelques années, la même parole n'aurait pas entraîné la même réaction des enseignants et aurait été considérée comme une vétille », poursuit l'ancien garde des sceaux, qui rappelle aux acteurs – enseignants, forces de l'ordre ou magistrats –, « l'influence du contexte ».
Une analyse partagée par Jean-Pierre Rosenczveig : « Dans ces circonstances ce ne sont pas de minutes de silence dont les enfants ont besoin, mais de temps de parole ! On ne doit pas laisser passer des propos ou un geste contestable – comme on réagit quand un enfant casse ou frappe –, il faut montrer son désaccord, mais en expliquant pourquoi avec les mots adaptés. Il nous faut retrouver d'urgence calme et raison sinon on va transformer nos commissariats en crèches ou haltes-garderies. »
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Selon la convention internationale des droits de l'enfant, celui-ci a la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique... « Cette liberté, il faut permettre à l'enfant de l'exercer, martèle Geneviève Avenard, défenseure des enfants, et aux adultes de l'entendre même si elle nous sidère parfois, même si elle nous culpabilise, car elle met en exergue nos défaillances et le manque d'exemplarité des adultes. »
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