Journée contre l'excision: "Ne les touchez plus, elles ont assez souffert"

Ce vendredi, c'est la journée internationale contre l'excision

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Par Julie Calleeuw
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Mutilations génitales féminines : 10 questions, 10 réponses...

 

1. Combien de femmes sont concernées par les mutilations génitales dans le monde?

La dernière étude menée par les Nations Unies (2014) fait état d’environ 130 millions de femmes dans les 29 pays d’Afrique et du Moyen-Orient où la pratique se concentre. En réalité, ce chiffre est plus élevé car des études locales ont démontré que la pratique a également lieu, bien qu’à plus petite échelle, dans des pays non inclus dans l’étude ONU (Iran, Indonésie, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis…). On peut donc estimer qu’il y a entre 130 et 140 millions de femmes sexuellement mutilées dans le monde. Aujourd’hui, on estime que 3,6 millions de fillettes sont encore mutilées chaque année.

2. Où le phénomène se concentre-t-il ?

L’Afrique compte 80% des victimes vivant avec une FGM (feminin genital mutilation) – toujours sur base de l’estimation de 130 millions. 13 pays africains ont un taux de prévalence de + de 50%.

Le phénomène est extrêmement présent en Afrique de l’Ouest (Guinée, Mali, Sierra Leone…), en Afrique de l’Ouest (Djibouti, Soudan, Ethiopie) et bien sûr en Egypte, qui compte 27 millions de femmes excisées à lui seul (+ de 90% des Egyptiennes).

Dans des pays comme la Somalie, la Guinée, Djibouti ou l’Egypte, plus de 90% des femmes ont été excisées. Numériquement, le plus grand nombre de femmes excisées se retrouvent en Egypte (27 millions), Ethiopie (24 millions), Nigéria (20 millions) et au Soudan (12 millions). Ces 4 pays comptent près des 2/3 des victimes dans le monde.

3. Constate-t-on une évolution ?

Globalement, la prévalence est en baisse : une adolescente d'aujourd’hui court 30% moins de risques d’être mutilée qu’il y a 30 ans. La baisse est donc de 1% par an.

Dans plus de la moitié des pays dans lesquels on dispose de données solides, le taux de mutilation chez les adolescentes est aujourd’hui inférieur à celui de leurs mères. Parfois de façon très importante. Au Bénin, en République centrafricaine, au Libéria et au Nigéria, par exemple, la prévalence a chuté de 50% parmi ces adolescentes. En Tanzanie, les adolescentes sont aujourd’hui 3 fois moins victimes de l’excision que leurs mères.

Mais globalement, la réduction de la prévalence n’est pas assez rapide, notamment pour faire face à la croissance démographique. Au Mali, où la réduction reste très faible, la population féminine va tripler d’ici 2050. Outre le Mali, des pays comme l’Egypte, le Soudan ou le Tchad connaissent une baisse très faible de la prévalence.

A l’échelle globale, si le taux de déclin opéré depuis 30 ans reste le même, le nombre de victimes passera de 3,6 millions/an actuellement à 4,1 millions/an dans 30 ans. Il faut donc accélérer les choses : doubler le taux de déclin actuel maintiendrait le nombre de filles mutilées à 130 millions en 2050.

L’évolution la plus positive porte sur le rejet croissant de cette pratique au cours des 20 dernières années grâce aux campagnes d’information. Les femmes – et de nombreux hommes – intériorisent de moins en moins la nécessité de cette mutilation, même dans les pays à taux extrêmement élevés comme l’Egypte, le Mali ou le Soudan. Au Soudan, le soutien à l’excision chez les femmes est passé de 79% en 1990 à 48% en 2010. Au Mali, de 80% en 2001 à 73% en 2010.

4. Quels sont les facteurs qui, aujourd’hui, expliquent encore cette pratique ?

Les FGM sont avant tout une pratique liée à des facteurs sociaux et culturels qui sont bien plus lents à faire changer que les législations – d’ailleurs 24 des 29 pays qui concentrent les FGM ont des lois qui condamnent cette pratique.

Les enquêtes de terrain montrent que la justification première est souvent celle de l’acceptation sociale. Il faut exciser les jeunes filles pour "faire comme les autres", pour faire ce que l’on pense que la communauté attend de nous, pour montrer que l’on protégera la virginité de la fille jusqu’au mariage – notamment par le biais de l’infibulation.

Sur cette pression sociale viennent se greffer des croyances liées à la beauté (une fille excisée est plus "propre", plus "belle") ou à ce que l’on pense être – de façon erronée – des obligations religieuses.

Ce sont ces éléments "lourds" qu’il faut parvenir à faire évoluer au sein des communautés si l’on veut parvenir à éradiquer cette pratique. C’est exactement ce que Plan fait en travaillant avec les jeunes, avec les chefs coutumiers, les exciseuses et les responsables religieux.

5. Les FGM n’ont donc aucune base religieuse ?

La pratique est sociale et culturelle. Aucun texte religieux ne prescrit cette mutilation, et historiquement, la pratique a été relevée tant dans l’islam que dans la chrétienté et le judaïsme.

Aujourd’hui, beaucoup associent à tort excision et islam du fait de la haute prévalence dans les Etats musulmans. En réalité, des populations musulmanes ne la pratiquent pas ou peu, et certains groupes non-musulmans ont un taux d’excision supérieur. Au Niger, par exemple, plus de la moitié des femmes chrétiennes sont excisées, contre 2% des musulmanes. En Erythrée, en Guinée, en Sierra Leone et en Egypte, la majorité des femmes chrétiennes sont aussi excisées. Il ne faut donc pas faire de raccourci.

Cela étant dit, il est vrai que les autorités religieuses adoptent des positions variables sur la question, créant la confusion. Certains imams prônent les FGM comme un rite de purification nécessaire pour qu’une femme puisse prier "correctement". Au Mali, 2/3 des filles pensent encore que l’excision est une obligation religieuse. En Egypte, où la quasi-totalité des femmes sont excisées, le conseil suprême de la recherche islamique a ordonné une fatwa contre l’excision.

6. Qui est affecté par les FGM ?

La plupart des victimes sont des fillettes entre 5 et 15 ans, mais dans la moitié des pays où la pratique a cours, la majorité des filles excisées l’ont été avant leurs 5 ans. C’est notamment le cas au Nigéria, au Mali ou en Erythrée, par exemple.

Les filles des zones rurales/reculées sont également plus susceptibles d’être victimes de FGM. AU Kenya par exemple, les filles rurales ont 4 fois plus de risques que les urbaines.

Enfin, l’éducation joue un rôle clé. Les enquêtes menées au Soudan ou en Ethiopie montrent que les filles qui ont eu accès à l’école secondaire rejettent bien plus les FGM que celles n’ayant jamais eu accès à l’école. Et les mamans qui ont eu accès à l’école laissent beaucoup moins leurs filles subir cette mutilation.

7. Quel est le lien entre FGM et mariage précoce ?

Les deux sont intrinsèquement liés en ce qu’ils constituent un moyen de contrôler la sexualité des filles, et de garantir l’honneur familial. Les FGM sont un moyen de préparer les filles au mariage. Il n’est pas surprenant que de nombreux pays connaissant de forts taux de mariages d’enfants aient également un taux de FGM très important : Tchad, Mali, Guinée, République centrafricaine, Ethiopie, Somalie…

Coupler FGM et mariage précoce est le moyen le plus puissant de garantir un comportement chaste dans le chef des filles.

Mais le lien entre FGM et mariages d’enfants n’est pas automatique pour autant. Le Niger et le Bangladesh, par exemple, ont les taux les plus élevés au monde de mariages d’enfants alors que la pratique des FGM y est très rare.

8. Quel est l’impact des FGM sur les filles ?

Les conséquences sont catastrophiques, tant au niveau physique que mental. A court terme, la pratique entraîne des infections et problèmes de santé potentiellement mortels tels que des hémorragies, le tétanos ou la septicémie.

A moyen et long terme, les mutilations sont la source d’infections récurrentes de la vessie et des voies urinaires, de kystes voire même de stérilité. En outre, les femmes ayant subi une mutilation génitale ont un risque accru de complications lors de l’accouchement et de décès des nouveaux nés.

En cas de fermeture ou de rétrécissement de l'orifice vaginal – comme c’est le cas lors de l’infibulation – il faudra procéder à une réouverture pour permettre à la femme d’avoir des rapports sexuels et d’accoucher.

L’orifice vaginal est parfois refermé à plusieurs reprises, y compris après un accouchement, ce qui accroît et multiplie les risques immédiats et à long terme.

Enfin, cette mutilation a des effets psychologiques et sociaux qui dureront eux aussi toute la vie.

9. Que fait Plan et quels sont ses résultats ?

Combattre les FGM nécessite d’agir à tous les niveaux : politique, juridique et social. Se cantonner à demander une pénalisation plus grande sans s’attaquer aux racines culturelles et sociales ne sert à rien.

Plan agit d’abord au cœur des communautés afin d’ouvrir le débat là où il est absent, d’impliquer les jeunes, les familles, les chefs religieux, les leaders communautaires, etc. L’objectif est de faire se délier les langues, de montrer que le soutien n’est pas si répandu au sein même de la communauté. Plan casse aussi les croyances liées à cette mutilation en impliquant des chefs religieux opposés aux FGM, en invitant des membres de communautés voisines qui ont abandonné la pratique. Nous travaillons aussi avec des anciennes exciseuses qui témoignent de l’impact de leur pratique sur les filles, et des raisons pour lesquelles elles ont arrêté ce travail. Ce travail de longue haleine permet une prise de conscience communautaire, qui se concrétise par l’abandon pur et simple des FGM.

Au Mali, 61 villages où Plan œuvre à l’éradication des FGM se sont engagés à abandonner la pratique. Cet abandon se fait lors de cérémonies où leaders communautaires, autorités locales, chefs religieux et tous les membres de la communauté officialisent l’engagement lors de cérémonies. Un engagement qui sera suivi de près par les membres de la communauté, qui pourront ensuite en référer aux autorités ou à Plan si des cas se présentent.

10. Quelle est la situation en Belgique ?

En Belgique, le SPF Santé Publique estime que fin 2012, plus de 13 000 femmes étaient "très probablement excisées", et que plus de 4000 fillettes étaient "potentiellement à risque". Ces femmes et filles sont surtout issues de Guinée, Somalie et Egypte, mais aussi du Nigéria, d’Ethiopie, de Côte d’Ivoire, du Mali, du Burkina…

Le GAMS organise des actions de sensibilisation auprès de ces communautés et soutient les démarches médicales et juridiques de femmes excisées. Elle offre aussi un appui psychologique et des groupes de parole. Son travail est appuyé par une autre institution, INTACT, qui sert de centre juridique spécialisé sur les FGM pour le volet judiciaire.

L’excision se passe rarement chez nous où elle est interdite par la loi et reprise spécifiquement dans le code pénal (même si l’excision a été pratiquée à l’étranger). Mais les témoignages de médecins indiquent que cela arrive, et les enquêtes menées auprès des gynécologues indiquent que certains reçoivent des demandes d’excision.

Le plus souvent, les excisions ont lieu lors de voyages dans le pays d’origine de la famille. En mai dernier, un médecin a ainsi prévenu les autorités du risque encouru par deux fillettes guinéennes. Une maman et ses deux fillettes devaient se rendre en Guinée – sans le papa ni les frères. Le parquet a demandé un placement en urgence des fillettes. Les parents ont dû suivre des séances de sensibilisation à l’excision.

Depuis 2010, la Belgique a un Plan D’Action National (PAN) contre les violences faites aux femmes qui intègre la question des FGM et du mariage précoce. Mais contrairement à la France, les consultations ONE n’intègrent pas systématiquement d’examen des organes génitaux.

 

Françoise Wallemacq, avec Plan

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