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Mort de l'écrivain sud-africain André Brink

L'auteur avait reçu le prix Médicis étranger pour son roman sur l'apartheid « Une saison blanche et sèche », en 1980.

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Publié le 07 février 2015 à 10h33, modifié le 08 février 2015 à 16h20

Temps de Lecture 3 min.

L'écrivain sud-africain André Brink en 1993.

 Il était l'ami de Nelson Mandela, un infatigable défenseur des droits humains et surtout l'un des plus grands romanciers sud-africains. L'écrivain, universitaire et intellectuel André Brink est mort vendredi 6 février à l'âge de 79 ans.

Avec les Prix Nobel J.M. Coetzee et Nadine Gordimer, disparue le 13 juillet 2014, deux autres figures majeures du paysage littéraire sud-africain, cet humaniste hypersensible aura marqué littérairement et politiquement des générations entières.

Lire l'entretien avec André Brink : "Nous ne sommes pas une espèce tout à fait réussie"

Né le 29 mai 1935 à Vrede – une petite ville qui fut un bref moment la capitale de l'Etat libre d'Orange, pendant la seconde guerre des Boers, et dont le nom en néerlandais comme en afrikaans signifie prophétiquement « paix » –, Brink était le fils d'une institutrice et d'un magistrat eux-mêmes descendants de colons boers installés en Afrique depuis trois siècles. Autant dire qu'il n'avait pas nécessairement hérité, si l'on peut dire, des ferments de la rébellion.

Au Monde, en 2010, il décrivait d'ailleurs son adolescence privilégiée, dans un village afrikaner reculé. Celle d'un garçon ne se posant guère de questions sur l'ordre établi ni sur la politique de Pretoria. Un jeune homme qui avouait même n'avoir jamais connu le nom de la nounou noire qui l'avait porté sur son dos et lui avait appris la langue sotho. Et puis… il y eut l'éveil — ou la « bifurcation », pour reprendre le titre d'un de ses livres . « Une seconde naissance », avait-il coutume de dire.

LA VOIE DES MOTS

En 1959, après une double maîtrise d'afrikaans et d'anglais obtenue à l'université de Potchefstroom, il part pour Paris. Il a 25 ans lorsqu'il rencontre à la Sorbonne des étudiants noirs qui – c'est la première fois qu'il voit ça ! – ne sont en apparence aucunement exclus du système social. Sa prise de conscience des abominations de l'apartheid coïncide avec une « histoire d'amour » pour la France, où la littérature – Hugo, Zola, Anouilh, Colette, Simenon et surtout Camus, dont il était le traducteur en afrikaans – jouera un rôle décisif.

Peu à peu, sa position contre l'apartheid se durcit, comme en témoigne son œuvre, écrite en deux langues originales – en afrikaans et en anglais – et entamée en 1964 avec L'Ambassadeur (Stock, 1986), sorti comme nombre de ses ouvrages d'abord en afrikaans puis en anglais (Die Ambassadeur, 1964, File on a Diplomat, 1967).

En 1968, ayant fait le choix de quitter la France, il regagne son pays et déclare à propos des différents types d'actions possibles contre l'apartheid : « On peut opter pour une action pratique et “efficace” (soit en jetant des bombes, soit en faisant de la politique) ; ou l'on peut opter pour l'écriture, qui, dans le contexte du tiers monde devient une forme d'action significative » (Le Monde du 26 octobre 1984 ).

Brink choisit la voie des mots. Après L'Ambassadeur viennent plus d'une vingtaine de livres — romans, mémoires, essais… — parmi lesquels Au plus noir de la nuit (Stock, 1976, interdit par la censure sud-africaine), Une saison blanche et sèche (Stock, 1980, prix Médicis étranger en France), adaptée au cinéma en 1989 par la réalisatrice Euzhan Palcy, Le Mur de la peste (Stock, 1984), Un acte de terreur (Stock, 1991), ou encore, plus récemment, Philida (Actes Sud, 2014, « Le Monde des livres » du 19 septembre).

ÉCLAIRER LA « RÉALITÉ AMBIGUË »

Relire Brink à la lumière des attaques djihadistes de janvier est une expérience saisissante. Prenez Un acte de terreur, par exemple. L'écrivain y explore justement ce mode d'action « pratique et efficace » qu'il a toujours écarté. Son héros, Thomas Landman, un rêveur plongé dans ses livres, ses photographies et ses pensées, est un solitaire qui au début du roman s'écrie : « On ne me convaincra jamais, jamais, que la violence peut se justifier. »

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Pourtant, l'on suit son itinéraire intérieur qui le conduit à faire exploser une bombe lors d'une sortie officielle du président — la bombe manquera sa cible et fera des victimes innocentes. Suspense, émotion. « La réflexion sur le terrorisme aboutit volontiers à une interrogation sur la condition humaine », disait Tolstoi.

A cette visée métaphysique, Brink disait qu'il voulait adjoindre deux buts supplémentaires. « Même dans l'écriture, plusieurs choix sont possibles, soulignait-il. On peut devenir si habile et ingénieux que seule une poignée de lecteurs initiés comprendra l'œuvre. Ou l'on peut descendre au niveau d'une propagande vulgaire. » Considérant ces deux options comme « indignes », il soulignait qu'en littérature, seule doit être éclairée la « réalité ambiguë » dont parle Barthes. « Je dois m'efforcer d'être digne des exigences et des complexités de l'univers sociopolitique auquel j'appartiens, répétait-il. Et en même temps, je dois m'efforcer d'être digne des exigences de la création littéraire. Seule la qualité détermine l'efficacité. » Une conception très haute de la liberté d'expression.

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