Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

Latifa Ibn Ziaten, au secours des « copains » de Mohamed Merah, le tueur de son fils

Avec l'association qu'elle a créée après la mort de son fils, la mère du premier soldat mort lors de la tuerie de 2012 veut « sauver » les jeunes des quartiers difficiles qui n'ont plus de repères.

Par 

Publié le 08 février 2015 à 15h02, modifié le 13 février 2015 à 17h45

Temps de Lecture 8 min.

Latifa Ibn Ziaten à Toulouse, le 31 janvier 2015.

Lorsque Latifa Ibn Ziaten nous reçoit ce samedi matin dans l'hôtel toulousain où elle séjourne depuis 48 heures, une longue semaine est sur le point de s'achever. Après quelques interviews, elle doit s'envoler pour Rouen retrouver sa famille. « Ce soir, je rentre chez moi Inch Allah », nous dit-elle de sa petite voix douce, qui tranche avec la force et la détermination dont cette femme de 55 ans fait preuve.

Depuis la mort de son fils Imad, le soldat français qui fut la première victime de Mohamed Merah, le 11 mars 2012, Latifa Ibn Ziaten consacre presque tout son temps aux autres. Elle va au contact de la jeunesse isolée, des parents désœuvrés, « pour qu'il n'existe plus d'autres Merah ». Cette semaine, elle a rencontré une jeune fille de 15 ans qui a renoncé à partir en Syrie le jour de son départ. Elle s'est aussi rendue dans deux établissements scolaires, a participé à un débat sur la jeunesse et donné des dizaines d'entretiens à des journalistes. Sans compter les centaines d'appels et de textos auxquels elle a répondu.

Les tueries du début d'année ont donné une résonance particulière à la démarche de Latifa Ibn Ziaten, car il existe des similitudes entre Mohamed Merah et les tueurs de Charlie Hebdo, de Montrouge et de la Porte de Vincennes. Tous les quatre ont grandi sans repère, sont passés par la délinquance, la prison, la radicalisation. C'est ce cercle infernal que la mère d'Imad Ibn Ziaten cherche à enrayer depuis près de trois ans, depuis que les « copains du tueur de [s]on fils » l'ont appelée à l'aide.

« MORT UNE SECONDE FOIS »

Deux mois après la mort du deuxième de ses cinq enfants, Latifa Ibn Ziaten, s'est rendue aux Izards, cité du nord-est de Toulouse où vivait Mohamed Merah, à la recherche d'explications. Là-bas, son fils Imad est « mort une seconde fois » lorsqu'un groupe de jeunes garçons qui traînaient au pied des tours lui a lancé que le terroriste était « un héros, un martyr de l'islam ». Elle leur a alors révélé son identité et le ton a changé. Les enfants se sont excusés et ont fini par se confier à elle : « On s'excuse Madame, mais vous voyez bien. Regardez autour de vous : là où on vit. On n'a pas de vie, on est perdus, enfermés. On est comme des rats. Et les rats, Madame, quand ils sont enfermés, ils deviennent enragés. »

Quelques jours plus tard, elle fonde l'association « Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix » qui vient en aide aux jeunes des quartiers difficiles. Son rôle au sein de l'association, elle le vit comme une mission : « Ils attendent que je les aide. Donc il faut que je fasse tout ce que je peux pour leur tendre la main, pour qu'ils s'en sortent. C'est important. »

Française d'origine marocaine et musulmane pratiquante, Latifa Ibn Ziaten porte aujourd'hui le foulard en signe de deuil. Elle est arrivée en France à l'âge de 17 ans, en 1977, pour rejoindre son mari Ahmed, cheminot à la SNCF. Après des premiers moments rendus difficiles par la solitude et la barrière de la langue, Latifa Ibn Ziaten s'acclimate vite à sa vie « de l'autre côté de la Méditerranée ». Avec l'appui de voisins et des structures sociales de sa mairie, elle se souvient avoir été accompagnée et avoir toujours réussi à concilier sa foi avec son activité professionnelle. « J'ai toujours travaillé et j'ai toujours fait ma prière », assure-t-elle. A force de sillonner la France, Latifa Ibn Ziaten constate que tout le monde n'a pas eu cette chance. De sa rencontre avec les jeunes des Izards elle se rappelle : « Je savais que cette situation existait, mais je n'y avais jamais été confrontée. »

Son travail au sein de l'association passe principalement par l'échange. Un voyage en Israël et en Palestine sur le thème du « vivre ensemble » a déjà été organisé, un autre est prévu à Washington et un troisième au Maroc, mais Latifa Ibn Ziaten consacre surtout son temps à partager son témoignage avec les parents et les enfants qu'elle rencontre. « Ma mère est quelqu'un de très dynamique. Elle a trouvé un moyen de vivre sa souffrance de manière intelligente. Elle ne s'est pas laissée aller à la haine, mais a cherché à s'ouvrir aux autres », explique Hatim, 35 ans, aîné des fils de Mme Ibn Ziaten et vice-président de l'association.

Cours en ligne, cours du soir, ateliers : développez vos compétences
Découvrir

La réinsertion des jeunes dans la société se fera, selon sa mère, par l'écoute et le dialogue. « Ces jeunes, ils ont un vide dans leur vie, et si on ne remplit pas ce vide, si on ne leur donne pas d'espoir, si on ne leur donne pas une chance, si on ne les sort pas des ghettos où ils sont enfermés, quelqu'un d'autre va venir à leur rencontre. Leur dire : "Vous voyez, vous n'êtes pas aimés, vous n'êtes pas considérés, vous n'avez pas de chances dans ce pays-là. Alors moi je vais vous donner une chance. Je vais vous donner de l'argent, je vais vous donner de l'importance, je vais vous donner de l'amour." Et ces jeunes, ils tombent dans le piège, malheureusement. »

« CHACUN A SA RESPONSABILITÉ »

Latifa Ibn Ziaten à Toulouse, le 30 janvier 2015, aux côtés de Laurent Lesgourgues, adjoint au maire de Toulouse à la diversité, et de membres de l'association locale ADEN-S.

Sa démarche a cependant des limites. Pour porter ses fruits, elle doit s'inscrire dans une action globale, que doit mener à ses côtés le gouvernement, mais aussi l'ensemble des acteurs sociaux : « Bien sûr que je ne peux pas faire ça seule, chacun a sa responsabilité. Il faut former des éducateurs, des assistantes sociales qui ne soient pas là juste pour parler paperasse. Il faut aussi comprendre ces jeunes, aller vers eux, ne pas attendre qu'ils viennent dans les bureaux. Dès les premiers signes de faiblesse, de violence, il faut les encadrer. On ne peut pas continuer à les ignorer. »

Partout où elle se rend pour témoigner, Latifa Ibn Ziaten est accueillie avec la même émotion, un mélange de respect et d'admiration profonde. On vient l'écouter car on sait que son discours d'apaisement est ce dont la société a besoin en ces temps de tensions et de divisions. Devenue une véritable icône, même si elle tient à rappeler qu'elle n'est qu'« une mère de famille », on dit d'elle qu'elle a un « don » pour parler en public. Son fils Hatim la décrit comme une « militante de la paix ». « Ce qu'elle fait est honorable. Elle délivre un message de paix, dit que la religion est conciliable avec la République », saluent deux jeunes militantes présentes au débat sur la jeunesse citoyenne organisé vendredi 30 janvier à Toulouse.

Dans un amphithéâtre comble, 150 personnes, jeunes et moins jeunes, profs et habitants des quartiers, sont venus l'interpeller sur leur mal-être, lui demander conseil ce soir-là. A l'image de cette femme qui dit souffrir des inégalités de traitement entre les « Français de souche » et les Français issus de l'immigration sur les questions d'accès au logement. Latifa Ibn Ziaten, qui refuse la victimisation, lui répond : « Madame, je suis d'accord avec vous, mais rien ne vous empêche d'aller vivre ailleurs que dans ces quartiers, rien n'empêche vos enfants d'en sortir. Il faut enfoncer les portes, passer au travers des barrières. » Certains pleurent pendant sa prise de parole, touchés par son témoignage. « Comment a-t-elle la force de se battre ? Et elle le fait pour nous tous, pour la République... », s'émeut une mère de famille.

« DISCOURS RÉPUBLICAIN FORT »

Dans les écoles, il lui arrive cependant de rencontrer de la résistance auprès d'élèves qui se disent ne pas « être Charlie », contrairement à elle. Pour Latifa Ibn Ziaten, caricaturer le prophète n'est « pas intelligent », mais elle n'est pas heurtée pour autant par les représentations publiées par Charlie Hebdo : « C'est pas des dessins qui vont changer ma foi ». Un raisonnement que ne partagent pas certains enfants, qui lui répondent qu'ils ne peuvent pas « accepter ça ».

Mais le plus difficile pour elle est de se retrouver face à des collégiens, bien conscients de certaines injustices. « Quand un jeune de 12 ou 13 ans vous dit : "Vous savez madame, on habite à Versailles, mais on n'a jamais visité le château de Versailles. Pourquoi ? On ne le mérite pas ?", ça fait mal. Il faut connaître son pays, visiter ses monuments. Comment l'aimer si on ne le connaît pas ? Pourquoi certaines écoles ont les moyens d'organiser ces visites et d'autres, non ? C'est la même école de la République. Si on ne donne pas les mêmes droits à tous les enfants, ils ne vont pas grandir de la même façon. »

En début d'année, Latifa Ibn Ziaten est intervenue devant les classes de troisième et de quatrième du collège Irène Joliot-Curie d'Argenteuil. La principale de l'établissement estime que sa venue aura un impact. « J'ai été impressionnée par la justesse de son intervention. Elle a livré un discours républicain fort. Son histoire dramatique fait qu'elle touche les élèves, ça n'est plus virtuel pour eux », confie Susanna Dutsch.

Latifa Ibn Ziaten n'a, pour l'heure, pas d'autre activité. Avant le drame, elle travaillait comme surveillante et hôtesse d'accueil au musée des beaux-arts de Rouen. Avant cela encore, elle a été femme de ménage, a vendu des fruits et légumes sur les marchés et a été responsable d'une cantine scolaire. Elle est aujourd'hui en arrêt maladie et n'est pas prête à reprendre son poste : « Je n'ai pas la force d'être enfermée. Et pleurer devant les gens ça ne serait bon ni pour moi, ni pour les visiteurs. » Dans le militantisme, elle a trouvé un moyen de s'exprimer, de « sortir ce qu'il y a à l'intérieur de moi », explique-t-elle en rapprochant les deux mains de son cœur. Et puis, son mari et ses enfants partagent son combat. « Moi, par rapport à ma vie professionnelle, je n'ai pas la possibilité de suivre ma mère dans ses déplacements. Mais je l'aide comme je peux, je lui apporte mes compétences. Le combat qu'elle a pris est ambitieux mais elle en a les épaules et elle met du cœur à l'ouvrage. Je suis derrière elle a 120 % », détaille Hatim Ibn Ziaten, qui est professeur d'EPS dans les établissements spécialisés pour les handicapés.

Surtout, sans apaiser sa souffrance, qui ne diminue pas avec le temps, « au contraire », sa démarche continue de faire vivre son fils Imad. « A chaque bonne action que je fais avec cette association, je vois mon fils grandir. Et ça, c'est important pour moi. Il n'est pas mort pour rien, Imad. »

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.