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Retour sur les deux premières semaines du procès Bettencourt

L'audition des enregistrements clandestins du majordome, mardi, a constitué un moment fort de l'audience.

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Publié le 09 février 2015 à 10h23, modifié le 09 février 2015 à 18h08

Temps de Lecture 6 min.

Le procès Bettencourt, après deux petites semaines de débats à Bordeaux, a connu mercredi 4 février une sorte d'acmé, après l'audition d'un extrait des enregistrements clandestins du majordome de Liliane Bettencourt, l'héritière de L'Oréal. Vingt minutes, captées en douce le 4 mars 2010, qui ont ruiné le subtil échafaudage monté depuis cinq ans par la défense.

La vieille dame a alors 87 ans, elle ne s'est guère remise d'une mauvaise chute en septembre 2006 avec son époux aux Baléares. Lui a l'épaule cassée, elle a perdu le sens de l'orientation, se trompe de pièce dans son propre appartement, se croit aux Seychelles quand elle est à Neuilly, ne reconnaît pas sa copine Lucienne, qu'elle appelle tous les jours depuis cinquante ans. Tout le monde l'a remarqué – sauf les dix prévenus qui comparaissent depuis le 26 janvier devant le tribunal de Bordeaux pour « abus de faiblesse » et ont bénéficié de ce que les magistrats appellent pudiquement ses « libéralités » – en clair, qui s'en sont mis plein les poches.

Cela n'a pas beaucoup gêné Liliane : sa fortune est évaluée entre 17 et 19 milliards d'euros, et elle touche chaque année 400 autres millions de dividendes. Elle a donné toutes ses actions à sa fille Françoise Meyers, mais il lui reste de quoi voir venir, et une petite cour d'intrigants a bien vu le bénéfice qu'ils en pouvaient tirer et de quel côté leur tartine était beurrée.

Une vieille dame qui signe à l'aveugle

Ce 4 mars 2010, Pascal Bonnefoy, le majordome de madame, a une fois encore glissé un micro derrière le fauteuil de la vieille dame lors d'une rencontre avec Patrice de Maistre, son très compétent gestionnaire de fortune. La défense de l'homme d'affaires a très curieusement souhaité faire entendre l'enregistrement au tribunal, et l'effet a été terrible : la pauvre Liliane ânonne quelques mots, elle a un mal fou à articuler, n'entend pas grand-chose et signe à l'aveugle une brassée de contrats qu'elle n'a matériellement pas le temps de lire, si tant est qu'elle en ait encore la force.

Patrice de Maistre, lui, est parfaitement à l'aise et visiblement pressé. Il la noie dans un tourbillon de paroles, lui dit de signer là et là, pour un appartement, pour un quatuor musical, un monsieur qui, paraît-il, bataille contre l'illettrisme, et quelques amis de l'UMP, Valérie Pécresse, Eric Woerth et Nicolas Sarkozy qui récupèrent chacun 7 500 euros – c'est peu, mais comme dit Patrice de Maistre, « en ce moment, il faut qu'on ait des amis. Je pense que c'est bien, c'est pas cher et ils apprécient. Bon, ça, c'est fait ».

Il en profite aussi pour lui faire augmenter ses honoraires, déjà confortables – il gagnait 1,2 million d'euros par an, il passe en dix minutes à 2 millions – il a déjà obtenu 8 millions deux ans plus tôt « pour ses vieux jours ». Habilement placés, ils devraient lui rapporter 250 000 euros par mois pour sa retraite.

Le récit (en édition abonnés) : Article réservé à nos abonnés Procès Bettencourt : la vieille dame et l’indigne de Maistre

Le président prend les faits en amont

L'autre tête d'affiche du procès est évidemment le photographe François-Marie Banier. Qui a tenu les premiers jours la dragée haute au tribunal ; l'homme est drôle, culotté, d'un aplomb colossal, et doté d'un certain panache qui s'est peu à peu effrité au fil des audiences. Le président Denis Roucou ne peut visiblement pas le supporter, et n'arrive guère à le dissimuler. Mais le magistrat a une méthode : il prend les faits très en amont, bien plus tôt que ce qu'on reproche effectivement aux prévenus. L'abus de faiblesse, après moult expertises, remonte pour la justice à septembre 2006, mais il arrive qu'il y ait des doutes sur les années précédentes.

C'est-à-dire que tous les millions distribués par Liliane Bettencourt à son entourage ne constituent pas un délit avant septembre 2006 : après tout, chacun fait ce qu'il veut de son argent. François-Marie Banier a ainsi touché 108 millions d'euros avant 2006 (au moins 450 millions après) et le président a pris un malin plaisir à détailler chaque donation de la vieille dame, ses assurances-vie, ses dons de tableaux.

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Lire : Procès Bettencourt #4. L’étonnant monsieur Banier

Ce n'est pas poursuivable, mais cela crée assurément l'ambiance. A la grande fureur des avocats, qui n'ont pas d'autres choix que de pinailler sur un point ou un autre, mais qui sentent leurs clients s'enfoncer doucement dans les sables mouvants. Le photographe s'est battu pied à pied – les domestiques de Liliane qui disent du mal de lui ont été achetés par la fille de Liliane, ses propres gens de maison sont « des dingues », les amis de la vieille dame, de vieilles pies jalouses, ses propres notes peu amènes sur Liliane ou André Bettencourt, le vieil époux qui tarde « à clamser », des licences d'artiste, que le tribunal ne peut pas comprendre.

Mais François-Marie Banier est tombé de son escabeau mardi 4 février au matin, lorsqu'il est apparu bien nettement que faute d'avoir pu se faire adopter par la vieille dame, il a manœuvré pour en devenir le légataire universel. Le photographe nie hautement avoir voulu se faire adopter, et balaie les témoignages qui disent qu'André Bettencourt était à peine froid (il est mort à 6 heures du matin) qu'il mettait déjà le sujet sur le tapis au déjeuner. L'adoption posait un problème – il aurait fallu passer devant un juge. L'héritage est plus facile : il suffit de deux notaires complaisants, le sien, qui pour une raison obscure, n'a pas été renvoyé devant le tribunal, et MJean-Michel Normand, maître patelin s'il en est, un bon vieux monsieur sympathique blanchi sous le harnais et qui a réponse à tout.

Le récit (en édition abonnés) :  Article réservé à nos abonnés Quand M. Banier voulait se faire adopter par Liliane Bettencourt

L'affaire a été rondement menée. Le 11 décembre 2007, moins d'un mois après la mort d'André Bettencourt, François-Marie déjeune avec la veuve et son notaire personnel ; on siffle entre la poire et le fromage l'aimable MNormand pour obtenir un rendez-vous en début d'après-midi. Il tape un « testament authentique » qui fait de François-Marie le légataire universel de la milliardaire, et son ami, le jeune Martin d'Orgeval, le légataire en second, si d'aventure son compagnon venait à trépasser – comme ils ont vingt-six ans d'écart, la chose était possible. Personne ne prend le temps de boire un verre pour fêter ça – contre toutes les habitudes, s'émeut le notaire – et François-Marie rasséréné, repart avec quelques milliards en poche dont 1,5 milliard d'actions L'Oréal que Liliane détenait dans une holding.

Le testament, une « connerie » selon Me Normand

Le malheureux Me Normand assure aujourd'hui qu'il a fait signer l'acte en songeant dans son for intérieur que c'était « une connerie » mais sans rien dire de bien fort à l'extérieur. « J'ai senti une détermination absolue chez cette femme, assure le vieux monsieur, mais cette disposition m'a tétanisé. Pour moi, c'était un acte de violence pure. » Il assure n'avoir eu de cesse de faire révoquer la disposition, ce que le nouvel avocat de Mme Bettencourt, Georges Kiejman, a finalement obtenu en 2010, pour tenter d'éteindre l'incendie que n'auraient pas manqué d'allumer Françoise Meyers et ses enfants. La fille de la milliardaire a d'ailleurs porté plainte le 19 décembre 2007, et après mille procédures, est arrivée à ce premier procès devant le tribunal de Bordeaux – deux autres suivront.

Chacun a un peu le sentiment que les dés sont jetés, et que Patrice de Maistre, François-Marie Banier et Jean-Michel Normand auront du mal à s'en tirer sans éraflures. Reste le cas de Claire Thibout, la comptable des Bettencourt et témoin clé de l'accusation, que les avocats de la défense attendent avec un fusil à lunettes. La dame s'est fait porter pâle, le tribunal lui a envoyé un expert, qui a estimé qu'elle risquait probablement de craquer mentalement à l'audience, et de s'effondrer seulement un peu si elle était entendue en visioconférence. Le président n'a pas encore pris de décision. Il y a encore de nombreux tiroirs nauséabonds à explorer.

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