Un mois après les attentats : déconstruire les théories du complot en classe

Deux enseignants d'une classe de Seine-Saint-Denis ont décidé de "prendre au sérieux" les théories du complot pour développer l'esprit critique des élèves.

Source AFP

Deux enseignants de Saint-Denis ont décidé de
Deux enseignants de Saint-Denis ont décidé de "prendre au sérieux" les théories du complot pour mieux les démonter avec les élèves. © AFP

Temps de lecture : 3 min

Contre le poison du doute qui s'insinue jusque dans les classes, deux enseignants de Saint-Denis ont décidé de "prendre au sérieux" les théories du complot pour mieux les démonter. Objectif : développer l'esprit critique des élèves pour qu'ils ne soient plus la proie de manipulateurs de l'ombre. Très vite après l'attentat contre Charlie Hebdo, les élèves de cette classe de seconde du lycée Paul-Éluard à Saint-Denis ont émis des doutes sur la réalité de ce qui s'était passé le 7 janvier.

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Comme Hanane. "On a eu des confusions à cause d'Internet qui transmettait de mauvaises informations ou qui donnait d'autres idées, qui nous faisait douter en fait... Il y a en qui disent que c'était un complot, que le policier à l'entrée de Charlie Hebdo, il n'a pas été tué", témoigne la jeune fille. Face à ces discours, "les leçons de morale descendantes ne servent à rien : il faut partir des discours des élèves, de leur pratique des réseaux sociaux", explique Guillaume Gicquel, professeur d'histoire-géo dans ce lycée de Seine-Saint-Denis.

Avec Anne Pellegrini, sa collègue de français, il a donc proposé aux élèves de montrer en classe des vidéos trouvées sur Internet ou Facebook. L'une d'elles est diffusée et analysée en classe. "À quoi a-t-on affaire ? Allez, je vous aide : c'est comme au théâtre. Une mise en scène, exactement. Que remarquez-vous d'autre ? Quel est le temps utilisé ? Le conditionnel. Et quelle expression est répétée souvent ? Soi-disant. Quel est le but ? Quel est l'intérêt de poser une série de questions sans donner la réponse ?" Réponse de Sélène : "Pour nous mettre le doute, mais quand il parle là, il me remet le doute !" Réaction de la prof : "Donc, c'est très efficace !"

Éducation aux médias

Tout est passé au crible, avec méthode : l'anonymat du locuteur, l'effet de dramatisation suscité par la musique, la focalisation sur des détails... Anne Pellegrini prend soin de faire le lien avec des études de texte récentes qui ont permis aux élèves de se familiariser avec la rhétorique, la différence entre "conviction" et "persuasion", les structures narratives, etc.

Comme le reconnaît une élève, si le discours complotiste est aussi efficace, c'est qu'il donne l'illusion qu'on "pense par soi-même". Et à un âge où l'on conteste volontiers la parole des adultes, il est porteur d'une charge transgressive. "Il y a le discours scolaire, mais pour les élèves la vérité est ailleurs", souligne Anne Pellegrini. "C'est pourquoi il m'est apparu important de prendre au sérieux les théories du complot", ajoute-t-elle, convaincue que l'école ne doit pas être "séparée de la vie".

Guillaume a, lui, déniché une vidéo, réalisée par le quotidien 20 minutes, qui démonte point par point les arguments complotistes. L'occasion de faire de "l'éducation aux médias, d'expliquer en quoi consiste le travail des journalistes, le croisement des sources, la vérification".

"L'esprit critique, ça se travaille tout le temps"

À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Un travail qui sera prolongé par la création d'un blog, pour sensibiliser les élèves aux contraintes et responsabilités - y compris juridiques - attachées à une "écriture publique". Après la pause, une autre vidéo est projetée qui met en cause, cette fois, l'authenticité d'une conversation téléphonique, diffusée par BFM TV, entre un journaliste et Chérif Kouachi, un des tueurs de Charlie Hebdo. Malgré le travail de mise à distance accompli, beaucoup d'élèves expriment des doutes. "Comment peut-on être sûr que c'est bien Kouachi au bout du fil ?" s'interrogent-ils. Et les enseignants de recommencer...

Pour Guillaume Gicquel, "l'esprit critique, ça se travaille tout le temps". Avec une pointe de découragement, il décrit des élèves aux opinions versatiles, "tiraillés entre les multiples discours qu'ils peuvent entendre". "Aujourd'hui, la crédibilité de l'enseignant, elle se gagne, notamment par la confiance", confirme Anne Pelligrini. Qui renvoie la société à sa responsabilité : "Ce travail, il est à faire partout, pas seulement à l'école." La sonnerie retentit. Les élèves quittent la salle. On s'attarde à discuter. Une demi-heure plus tard, dans le couloir, une jeune fille nous attend : "Madame, comment on devient journaliste ?"

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Commentaires (3)

  • vingas

    Pas des mains de comploteurs...

  • Dumè

    Bon courage aux "deconstructeurs", ils ont vraiment "du pain sur la planche"...

  • danmey

    Et quand enfin ils auront un esprit critique digne de ce nom, la soi-disant théorie du complot, leur apparaitra considér...ablement moins théorique que ce que l'on essaye par tous les moyens de nous faire admettre !