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Rumeurs et fausses informations autour d'un projet de mosquée à Tulle

La rumeur circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux, avec pour cible le président de la République. Explications et retour aux faits.

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Publié le 10 février 2015 à 16h59, modifié le 11 février 2015 à 04h17

Temps de Lecture 7 min.

« Hollande fait construire à Tulle une mosquée disproportionnée », « financée par l'argent public », « la future mosquée de Tulle sera inaugurée par Hollande »... Depuis quelques jours, cette rumeur circule sur les réseaux sociaux, spécialement dans les milieux d'extrême droite, prompts à relayer ce type d'informations anxiogènes autour de l'islam. Et sans surprise, l'information, sans être totalement fausse, est très fortement déformée.

1. Quelle est la rumeur ?

Une mosquée géante construite sur fonds publics, avec le soutien de Hollande ? C'est ce qu'on lit dans des dizaines de tweets évoquant ce lieu de prière à Tulle, photos à l'appui :

Selon certains, elle est même « actuellement en construction » :

On trouve d'ailleurs plusieurs photos de chantier. Qui ne sont pas les mêmes :

Sur Facebook également, l'information se répand, avec des raffinements. François Hollande, accusé d'être à la manœuvre, compterait inaugurer lui-même cette mosquée, qui serait financée sur fonds publics et donc payée par les contribuables, non seulement de Corrèze, mais aussi de toute la France.

Ce qu'on peut lire sur Facebook à propos de la mosquée de Tulle
La fameuse mosquée qui serait inaugurée par François Hollande.

2. Qui est à l'origine de cette rumeur ?

A l'origine de ces informations, plusieurs sites spécialisés dans ce type d'intox : d'une part le site, La Gauche m'a tuer, émanation de Mike Borowsky, ancien « jeune populaire » de l'UMP passé depuis à l'extrême droite. Dans un article du 6 février, il évoque longuement le projet, qu'il assure être financé sur fonds publics, citant pour toute source un article du 3 février publié sur 24 Heures Actu, autre site groupusculaire de droite dure, spécialisé lui aussi dans ce type de désinformation.

Cet article, qui ne cite pour source qu'une « brochure » distribuée par « les opposants » à cette mosquée, multiplie les chiffres et les superlatifs : « Quatre salles de cours qui posent la question légitime de savoir s'il est également prévu l'installation d'une école coranique », un « minaret d'une hauteur de 13,96 m installé sur cette colline [qui] surplombera la ville, comme un symbole de domination »...

A aucun moment ces deux sites ne donnent la moindre information sur le fameux financement public annoncé en titre. Autre détail révélateur : le site du Front national de Corrèze reprend l'information, et va plus loin, en diffusant à sa suite un « témoignage et question légitime d'un Tulliste ». Il s'avère, en fait, être intégralement repris de deux chapitres de l'article de 24 Heures Actu.

L'information est également relayée par le site Boulevard Voltaire, fondé par l'actuel maire apparenté FN de Béziers, Robert Ménard. Sans pincettes, on y lit que « cette mosquée, sous couvert d'être un immeuble culturel et pas seulement cultuel, sera en partie financé par les deniers publics ».

Résumons donc les rumeurs trouvées sur ces divers sites :

  • Une mosquée géante serait sur le point d'être construite, voire déjà en chantier ;
  • On peut déjà voir des photos du chantier ;
  • Elle serait payée sur fonds publics par les contribuables ;
  • François Hollande, qui suivrait le dossier personnellement, viendrait l'inaugurer.

Problème : la quasi-intégralité de ces informations est fausse.

3. Quelle est la réalité ?

On peut donc reprendre point par point :

La ville n'est pas décidée à mener le projet à bien

Il suffit de se reporter à la presse locale. Dans un article du 5 février, La Montagne précise les choses : le dossier date en réalité de plusieurs années. La communauté musulmane de Tulle (l'association des musulmans compte 200 adhérents) prie actuellement dans un local trop petit, de 40 m², qui se révèle inadapté. 

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Les fidèles musulmans ont donc lancé une collecte afin de financer la construction d'un bâtiment plus grand. Rappelons que la loi de 1905 interdit à l'Etat, et donc aux collectivités locales, de financer la construction de lieux de culte. En janvier 2014, il y a donc un an, l'association signe, pour 146 000 euros, une promesse de vente d'un terrain sur lequel se trouve un bâtiment en ruines. Incidemment, ce terrain n'est absolument pas situé en haut d'une colline qui le rendrait visible de partout à Tulle.

L'association a ensuite demandé à un architecte un projet de rénovation de cet ancien bâtiment. Ce dernier a proposé d'en réaménager les locaux en deux salles de prière (une de 226 m² et une autre de 56 m², quatre salles de cours, une salle de conférence et un logement de fonction pour l'imam, salarié de l'association). Le projet prévoit un minaret deux mètres plus haut que le bâtiment, qui fait 14 m de hauteur.

Mais ce projet est pour l'instant demeuré lettre morte, faute d'autorisation de la mairie. Deux obstacles bloquent le projet : l'éventualité d'une extension de l'installation de traitement des eaux voisine, qui pourrait empiéter sur le terrain, et qui pose donc un problème de règles d'urbanisme ; et le manque de volonté du maire PS, Bernard Combes. Ce dernier est en effet tout sauf enthousiaste : « Je ne peux envisager un nouveau lieu de culte qu'en considérant qu'il recevra l'accord de la population avec laquelle il voisinera. »

Dans le magazine municipal de février, il répète : « Certains se sont étonnés qu'un nouvel édifice soit à l'étude pour remplacer la petite mosquée actuelle. Il faut pourtant reconnaître que celle-ci se trouve sur un site inadapté. La municipalité veillera à ce que ce projet entièrement privé soit mis en œuvre dans des conditions acceptables par tous, dans le respect strict de la loi. »

Les photos du « chantier » ne sont pas celles de l'éventuelle future mosquée

Puisque le permis de construire n'est pas signé, le chantier n'a jamais débuté. Et donc les photos qui circulent ne viennent pas de Tulle. Le cliché le plus fréquemment vu, par exemple, a déjà été utilisé en 2010 pour évoquer la mosquée de... Strasbourg. Impossible de retrouver son origine. Il peut tout à fait provenir de l'étranger. Pendant ce temps, La Montagne a publié un cliché du bâtiment que souhaite racheter l'association musulmane, et qui n'a rien à voir avec l'image circulant sur les réseaux sociaux.

La photo supposée montrer la mosquée de Tulle en construction était déjà utilisée en 2010 pour celle de.. Strasbourg

Aucun minaret ne « surplombera » la ville

On l'a vu, le plan d'architecte ne prévoit pas un minaret géant, mais un « mini-minaret » de deux mètres. Et encore ne s'agit-il que d'une esquisse de l'architecte, qui n'a donc rien de définitif, puisque le permis n'est pas accordé, et que la mairie n'a pas avalisé le projet.

Par ailleurs, les musulmans de Tulle ne tiennent pas spécialement au minaret : « Nous on ne veut choquer personne. Le minaret on peut s'en passer si ce n'est que cela qui gêne », témoigne un membre de l'association dans La Montagne. La localisation de l'éventuel projet, elle, est en périphérie de la ville, dans une zone plutôt industrielle, et en bas d'une colline. Elle ne va donc pas « surplomber la ville » comme on peut le lire.

De même, les salles de cours ne sont pas destinées à fonder une « école coranique » mais à donner des cours d'arabe et d'éducation religieuse.

Si elle se fait, cette mosquée sera financée sur fonds privés

Autre intox : le projet n'a jamais été prévu sur fonds publics. La loi de 1905 interdit explicitement le financement de lieux de culte par des fonds publics. Donc c'est bien l'Association des musulmans de Tulle qui compte assumer l'intégralité du coût du projet, rendu nécessaire par la vétusté de son actuelle salle de prière, qu'on peut voir dans ce reportage de France 3.

Le maire de Tulle a publié un communiqué pour répondre aux rumeurs :

« Depuis quelques jours, des oiseaux de mauvais augure diffusent des insinuations malveillantes concernant le projet de nouvelle salle de culte musulman à Tulle.  Je veux aujourd'hui rétablir la vérité : il n'a jamais été question que la ville de Tulle participe, de quelque façon que ce soit, au financement de ce projet privé de déménagement, porté par l'Association des musulmans de Tulle. Seule incombe à la mairie l'instruction du permis de construire, qui doit être conforme au plan local d'urbanisme. Cette instruction est en cours. Toute autre information mettant en cause la municipalité dans cette affaire relève de la diffamation. »

L'association précise à La Montagne avoir déjà recueilli 131 000 euros de dons, sur un projet au coût global de 330 000 euros environ. Elle explique vouloir « réaliser les travaux par étapes, sur trois ou quatre ans, en commençant par la grande salle de prière ».

Enfin, même l'opposition municipale n'est pas opposée au principe du projet, mais réclame surtout plus de « transparence ».

François Hollande n'a jamais été mêlé au projet

Dernière fausse information : l'implication de François Hollande. S'il est ancien maire de la ville, le chef de l'Etat n'a rien à voir avec ce projet, issu d'une association locale, et plutôt accueilli froidement par l'actuelle majorité municipale socialiste. De même, il n'est aucunement question qu'il vienne « inaugurer » ce bâtiment (qui, s'il obtient un permis de construire, ne sera de toute façon pas achevé avant plusieurs années). 

Bref, la seule information véridique dans tout cela, c'est qu'il y a un projet de nouvelle mosquée à Tulle. C'était déjà le cas voici un an.

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