Depuis la mort de son pilote Maaz Al-Kassasbeh, brûlé vif
par l’Etat islamique (EI, ou Daech [acronyme arabe]), la Jordanie est
de plus en plus entraînée dans la guerre contre l’organisation terroriste. Elle a ainsi annoncé que son armée de l’air avait “détruit 56 cibles de Daech en trois jours, équivalent de 20 % de
ses capacités”. Si le chiffre reste invérifiable, il traduit
surtout l’ambition du pays de se placer au centre des opérations militaires en
Irak et en Syrie.

“La
Jordanie ranime l’alliance contre Daech”, titre ainsi le quotidien jordanien Al-Arab Al-Youm. Ce
serait même elle qui “dirigerait la coalition internationale”, voire “prendrait seule ses décisions, puisque les Américains ne pensent qu’à leurs intérêts
régionaux et considèrent que Daech est simplement une carte à jouer dans leurs
négociations avec l’Iran”.C’est aux Arabes de prendre les choses en main

En
réalité, la Jordanie était et reste un des plus solides appuis des Occidentaux
dans la région. D’ailleurs, le roi Abdallah de Jordanie était à Washington au moment même de l’annonce de la mort du pilote, le 3 février.

Cette vision d’une Jordanie pièce maîtresse d’une politique arabe
indépendante est également promue par la presse saoudienne : “Face
à un président américain qui théorise ses hésitations depuis deux
ans, c’est aux Arabes de prendre les choses en main”, écrit un des principaux éditorialistes du quotidien
saoudien Asharq Al-Awsat. “Cela doit être notre guerre. La lutte
contre Daech doit être une lutte des Arabes sunnites si nous voulons empêcher
Bachar El-Assad et son allié iranien de tirer les marrons du feu. Il faut former
des forces terrestres arabes et équiper l’Armée syrienne libre [opposition modérée]
à partir de la Jordanie.”Une seule personne à la hauteur de la tâche

Même son
de cloche chez Jamal Khashoggi, proche des milieux diplomatiques saoudiens, dans le journal saoudien Al-Hayat : “Le roi Abdallah a clairement
laissé entendre sa volonté d’escalade militaire. Avons-nous besoin qu’un autre
pilote soit brûlé vif ? Que Daech fasse des incursions en Jordanie pour prendre
des personnes en otages ? Ou que des Saoudiens se fassent enlever pendant qu’ils
font du tourisme en Turquie ? La question qui se pose est de savoir comment mener
cette guerre, et comment rétablir la situation régionale de telle sorte qu’il
n’y aura pas d’autres EI.”Et de répondre : “Le cœur du problème se situe en
Syrie. Tant qu’il y a Bachar El-Assad, rien ne sera réglé. Il faut mener la
guerre à l’EI et à Assad en même temps. Or on sait la difficulté de l’opposition
syrienne à faire émerger des dirigeants capables de mener la transition
post-Assad. Ils doivent être sunnites, modérés, avoir une légitimité, garantir
les droits des minorités, être acceptables pour la communauté internationale,
garantir la sécurité des pays voisins.”

Et de
conclure qu’une seule personne serait à la hauteur de la tâche : “C’est
le roi de Jordanie. On pourrait lui conférer, par consensus entre les pays
arabes, la communauté internationale et les Nations unies, un mandat sur la
Syrie pour la période de transition.”

Reste à
savoir comment l’opinion publique arabe accueillera cette idée aux airs de déjà-vu.
Car Abdallah de Jordanie est le descendant de la dynastie hachémite qui avait
régné à Damas et à Bagdad du temps des mandats français et britannique sur la
Syrie et l’Irak au début du siècle dernier.