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Swissleaks : « En France, la lutte contre la fraude fiscale internationale est inopérante »

Pour Roland Veillepeau , ancien patron de la Direction nationale des enquêtes fiscales, Bercy n’a pas les moyens de réagir face à des systèmes d’évasion comme celui d’HSBC.

Propos recueillis par  et

Publié le 05 février 2015 à 11h35, modifié le 19 août 2019 à 13h32

Temps de Lecture 5 min.

Roland Veillepeau, le 28 janvier, à Paris.

Ancien patron de la Direction nationale des enquêtes fiscales, Roland Veillepeau était l’homme derrière l’opération « chocolat » : c’est lui qui avait décidé et mené le recrutement par les services fiscaux français, à Genève, de l’informaticien d’HSBC Hervé Falciani et l’exploitation de ses listings explosifs, qui ont révélé un système mondial et organisé de fraude fiscale.

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L’ampleur de cette fraude lui a même coûté sa fin de carrière : il a été contraint au départ forcé en raison de pressions politiques. Désormais à la retraite, le haut fonctionnaire reste toujours lié par le secret fiscal.

Dans un entretien exclusif au Monde, il explique pourquoi la fraude fiscale a, sans doute, encore de beaux jours devant elle, si Bercy ne modifie pas en profondeur son fonctionnement.

Le fisc français a-t-il tiré les leçons du dossier HSBC ?

Je ne peux parler de ce cas précis, étant lié à vie par le secret fiscal. Mais je peux vous assurer que notre politique de lutte contre la fraude fiscale internationale est aujourd’hui inopérante, comme l’a souligné d’ailleurs la Cour des comptes, à l’été 2013, en adressant un « référé » à Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre.

Quel est le souci, alors ?

La création de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), en avril 2008, nécessaire, s’est traduite par une nouvelle culture, marquée par la primauté de la conformité comptable. Les responsables opérationnels du contrôle ont rapidement compris que l’heure n’était plus aux initiatives ou aux procédures offensives. Le frein a été clairement mis, dans les faits, sur la coopération avec les services de renseignement et les autres directions du ministère.

En août 2012, Bruno Bézard, le nouveau patron de la DGFIP, qui n’avait aucune expérience du contrôle fiscal, a entrepris de remplacer, à la tête des grandes directions nationales du fisc, les professionnels qui y étaient par des hauts fonctionnaires, qui n’avaient, eux, que peu d’expérience dans le domaine du contrôle fiscal. Un événement positif est cependant intervenu au second semestre 2014, à savoir la nomination de deux nouveaux directeurs généraux qui sont de fins connaisseurs du contrôle fiscal.

Vous estimez donc que des erreurs ont alors été commises ?

Bien sûr. Prenez l’épisode des comptes suisses de Jérôme Cahuzac. Ce manque de confiance affiché envers les cadres de terrain a vite débouché, comme c’était prévisible, sur des initiatives surprenantes pour des professionnels du contrôle. C’est Bruno Bézard, et lui seul, il l’a revendiqué, qui a pris l’initiative de saisir le fisc suisse d’une demande d’assistance administrative pour savoir si son ministre de tutelle avait ou avait eu des comptes chez UBS.

« Le manque de confiance envers les cadres de terrain a débouché sur des initiatives surprenantes »

Le fisc suisse est-il rétif à toute coopération ?

Le fisc suisse, cela est inscrit dans ses gènes, soit ne répond pas, soit s’arrange pour faire une réponse qui ne puisse être exploitée. Ce n’est pas nouveau, car il a toujours agi comme cela. Et penser qu’un coup de téléphone aux responsables suisses pourrait faire changer les choses relève au mieux de la naïveté. La crédibilité du fisc et celle du contrôle fiscal n’en sont pas ressorties grandies.

La fraude fiscale hors de nos frontières est-elle mieux traitée désormais par le fisc français ?

Clairement, non. En 2008, des administrations fiscales ont porté, quasi simultanément, des coups au secret bancaire. C’est le fisc allemand, contre la banque LGT au Liechtenstein, le fisc américain contre la banque UBS et le fisc français contre la banque HSBC, en Suisse. Ces actions ont mis en évidence le rôle central et néfaste des banques spécialisées dans la gestion de fortune dans la mise en place de schémas de fraude fiscale, en assurant le transfert à l’étranger des fonds considérables provenant de la fraude, grâce à l’interposition de structures établies dans les paradis fiscaux.

Les politiques ont-ils pris la mesure de ce fléau ?

Malheureusement, il y a un double langage permanent de nos Etats, qui sont les premiers à condamner les paradis fiscaux et dans le même temps à en profiter. Le pire exemple est donné par Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne, qui, comme premier ministre du Luxembourg, a encouragé les multinationales à lui verser quelques milliards d’impôts en dépouillant les autres Etats européens de dizaines de milliards de recettes fiscales leur revenant. Combien de temps les citoyens européens et les Etats membres pourront-ils accepter ce conflit d’intérêts, sinon ce scandale ?

Quels sont les paradis fiscaux les plus en pointe, de nos jours ?

Ma définition du paradis fiscal est un mix de celle du magazine Forbes et de l’ONG Tax Justice Network : un paradis fiscal est un pays qui pratique le secret de manière efficace et qui ne répond pas aux demandes d’entraide. Selon ce critère, les dix plus dangereux paradis fiscaux sont : l’Etat du Delaware aux Etats-Unis, le Luxembourg, la Suisse, les îles Caïman, le Royaume-Uni (la City of London et ses satellites, comme Jersey, Guernesey, Gibraltar, l’île de Man), l’Irlande, les Bermudes, Singapour, le Liban et Hongkong. Et il est difficile de ne pas souligner que c’est là, principalement, que nos banques françaises ont établi leurs filiales. Selon une étude publiée en 2014, nos cinq principales banques ont plus de 570 filiales dans les paradis fiscaux.

« Le fisc n’a pas les moyens d’intervenir efficacement dans les paradis fiscaux, ou même auprès du Royaume-Uni »

D’où provient l’argent dissimulé dans ces paradis fiscaux ?

L’argent des particuliers vient surtout d’activités illégales, telles que le crime, la drogue, la corruption, et d’activités légales non déclarées.

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Par exemple, un chirurgien esthétique qui demande des suppléments « sous la table et en liquide », en plus des honoraires facturés à la Sécurité sociale. Le montant des avoirs en espèces est tel qu’il ne peut être recyclé localement. Il est alors converti en contrats d’assurance-vie au Luxembourg ou versé sur un compte au Luxembourg, en Suisse, à Singapour ou à l’île de Man, toutes ces opérations étant réalisées depuis la France, à partir d’agents d’assurances, ou de banques françaises ou étrangères. Or, le fisc est impuissant. Il ne possède pas les moyens d’intervenir efficacement dans les paradis fiscaux ou même auprès du Royaume-Uni pour avoir des informations sur les trusts.

Du coup, faut-il faire sauter le fameux « verrou de Bercy » ?

Evidemment. En droit français, le ministère public a seul le pouvoir de décider ou non de poursuites lorsqu’une infraction pénale lui est dénoncée, et de déclencher ou de ne pas déclencher l’action publique. Sauf pour les poursuites pour fraude fiscale.

Ce « verrou de Bercy » constitue une exception qui n’a plus aucune légitimité depuis la mise en place du Parquet national financier (PNF), qui a justement compétence sur les infractions fiscales graves.

Il s’agit en fait d’une volonté politique, bien ancrée. Cet état de fait entraîne nombre de conflits d’intérêts et de dérives. L’administration fiscale s’en sert comme moyen de pression ou monnaie d’échange pour faire accepter des redressements. Le ministre peut également écarter un dossier de poursuites pour des motifs politiques ou amicaux.

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